Par Dr Jaouad Mabrouki
Le phénomène du harcèlement est souvent abordé sous l’angle de la victime, focalisant sur la souffrance morale et psychologique qu’elle endure. Pourtant, une lecture psychanalytique révèle des dynamiques plus complexes, impliquant à la fois le harcelé et le harceleur dans un jeu émotionnel paradoxal, où douleur et plaisir s’entrelacent intimement.
Une approche psychanalytique : de la prise de conscience à la modulation
La psychanalyse invite à une démarche d’analyse, de remise en question et de prise de conscience, permettant ensuite de corriger et d’adapter les comportements. Dans le contexte du harcèlement, l’enjeu est profondément émotionnel : douleur et plaisir sont indissociablement liés. En effet, il n’y a pas de plaisir sans douleur, ni de douleur sans plaisir.
Le harcelé ressent une douleur intense tout en cherchant à éprouver du plaisir ou un apaisement. À l’inverse, le harceleur éprouve du plaisir — souvent lié au pouvoir ou à la domination — pour fuir sa propre douleur psychique. Ces deux dynamiques, apparemment opposées, s’entremêlent et s’alimentent mutuellement.
Les cicatrices invisibles : douleur et plasticité cérébrale
La douleur émotionnelle scarifie le cerveau, créant des circuits nerveux spécifiques qui renforcent la souffrance. Ces cicatrices psychiques sont durables, mais la prise en charge bienveillante, empathique et aimante peut favoriser une neuromodulation cérébrale, permettant au harcelé comme au harceleur de se reconstruire.
Le harcèlement dans l’imaginaire collectif : une vision partielle
Dans notre imaginaire culturel, le harcèlement se résume souvent à la victime souffrante, isolée dans son sentiment d’injustice, d’humiliation et d’impuissance. Cette vision oublie la souffrance du harceleur, qui, bien que paradoxal, est souvent aussi douloureusement affecté. Le harceleur souffre d’une frustration psychique profonde et cherche à exercer un pouvoir pour apaiser ses propres blessures intérieures.
Cela ne légitime en rien ses actes, mais souligne que les deux protagonistes ont besoin d’aide, de bienveillance et d’empathie pour sortir de ce cercle vicieux.
Pourquoi le silence perdure-t-il chez les victimes comme chez les auteurs ?
Le harcèlement trouve souvent ses racines dans le milieu familial, avant de se prolonger à l’école. Plusieurs facteurs expliquent la difficulté à briser le silence :
Au sein de la famille : L’enfant harcelé subit des remarques hostiles répétées de la part de ses parents, qui le comparent défavorablement à d’autres enfants ou le rabaissent. Cette situation apprend à l’enfant à accepter la souffrance et le silence, d’autant plus que toute tentative de révolte est réprimée.
Entre frères et sœurs : La rivalité pour attirer l’attention parentale peut engendrer des moqueries cruelles et des surnoms humiliants. Les enfants imitent souvent les comportements des parents, qui eux-mêmes peuvent être harceleurs. Souvent, ces comportements ne sont ni sanctionnés ni expliqués, perpétuant ainsi un climat de violence silencieuse.
Au sein de la famille élargie : Oncles, tantes ou autres membres peuvent se moquer d’un enfant, et les parents, au lieu d’intervenir, minimisent ou rient de ces moqueries, renforçant le sentiment d’abandon de l’enfant.
À l’école : Les enseignants peuvent, parfois involontairement, contribuer au harcèlement par des remarques humiliantes qui deviennent le point de départ d’une persécution par les pairs.
Ainsi, le harcèlement s’installe dans une normalité perverse où harceler et être harcelé deviennent des rôles appris et reproduits, principalement par imitation des adultes référents.
Comprendre le harcèlement sous un angle psychanalytique permet de dépasser les apparences et d’appréhender les souffrances croisées du harcelé et du harceleur. Cette compréhension ouvre la voie à une prise en charge empathique, qui favorise la neuromodulation et la reconstruction psychique, essentielle pour briser le cycle de la violence et restaurer des relations humaines plus saines.
*Docteur Jaouad Mabrouki
Psychiatre, Psychanalytique