Visa et Visu : quand des chancelleries occidentales manquent sciemment de respect aux Marocains

Par Ali Bouzerda –


Une célèbre citation arabe rappelle à ceux qui ferment les yeux sur leur comportement « irrespectueux » et « hautain » vis-à-vis des autres en ces termes : « إن لم تستح فاصنع ما شئت » (Si tu n’a pas honte, fais ce que bon te semble ). Et pour cause, chaque jour ouvrable que Dieu fait, les habitants de la rue Al-Koufa se réveillent sur un cauchemar des coups de klaxon, le bruit des embouteillages de voitures et de brouhaha… et parfois des querelles entre automobilistes dans un quartier résidentiel autrefois tranquille.

Un véritable souk à ciel ouvert s’installe en face d’un immeuble de quatre étages avec les enseignes d’une dizaine de chancelleries, notamment celles de la Suède, du Danemark, la Finlande, l’Autriche, l’Ukraine, la Hollande et le Portugal… D’humbles citoyens marocains, venus des quatre coins du pays, tentent leur chance pour obtenir un visa, après avoir déposé une tonne de papiers justifiant, entre autres, leur « engagement » de retourner dare-dare chez eux, suite à un voyage en terre de chrétienté.

À quelques centaines de mètres de l’entrée principale du Palais Royal de Rabat, une société privée est chargée par ces chancelleries de s’occuper des dossiers des demandeurs de visa et surtout de passer leurs dossiers au peigne fin. Ce sont de jeunes employés de nationalité marocaine en général qu’on met face à leurs frères, alors que les employés européens eux sont à des kilomètres de là, loin des tracas quotidiens… Les dossiers sont souvent incomplets et les demandeurs de visas doivent galérer pour répondre à la lettre aux instructions des bureaucrates de Bruxelles, sinon c’est le rejet illico presto du dossier et un retour à la case de départ.

Dans cet immeuble mal choisi et qui ne sied nullement à sa mission dans une zone non commerciale, les employés de cette société qui d’interface accèdent librement aux données privées de leurs « clients », y compris l’état de santé, les biens mobiliers, la situation familiale et financière etc… Et le plus révoltant dans cette histoire, nos compatriotes sont obligés de signer un papier affirmant « la cession » de leur droit sur ce précieux stock de data.

En contrepartie, la société intermédiaire est libre comme le vent et ne livre aucun papier sur sa responsabilité en cas d’impair. En d’autres termes, une curieuse procédure quand on se rappelle de la levée des boucliers au sein de l’Union Européenne contre les GAFA à ce sujet en particulier.

Et pourtant, ces mêmes chancelleries traitaient, par le passé, directement les dossiers des visas avec élégance et considération. Il y avait moins de paperasse et pas d’urgence d’engagement par écrit des Marocains riches ou pauvres. On était en face de serviteurs d’un État responsable et non d’une entité privée…. Malheureusement, les temps ont changé et les règles des pays du Nord aussi, mais en pire.

Revenons à rue Al-Koufa qui géographiquement donne accès à Bab Rouah sur l’Avenue Annasr (La Victoire), où des centaines de demandeurs de visa, souvent accompagnées de leurs enfants étudiants, font la queue sous un soleil de plomb en été et sous la pluie en hiver, comme du bétail…

Les diplomates de ces pays dits démocratiques, qui font de l’esprit sur la démocratie et les droits de l’homme dans les réceptions officielles, ne se sont pas donnés la peine d’exiger de leur intermédiaire privé – – qui se fait payer rubis sur l’ongle contre son service de contrôle – – de construire un abri et des sièges pour personnes âgées à l’extérieur et pour ces Marocains réduits au statut de « quémandeurs » d’un morceau de papier.

En fait, le traitement des dossiers de visa doit être exécuté dans un bâtiment qui répond aux normes sanitaires, de convivialité et de respect de la dignité humaine, et non pas n’importe quoi et n’importe où. C’est scandaleux et honteux de laisser les gens pendant des heures dans la rue comme « des mendiants ». Ce ne sont ni les moyens financiers de ces pays riches ni les locaux adéquats qui manquent à Rabat pour ce « commerce bureaucratique » dans une petite ruelle encombrée par le trafic des véhicules et où il n’y a même pas de toilettes publiques…

Cet état des choses qui dure depuis plusieurs années, et sur lequel ces dix chancelleries ferment sciemment les yeux, est inacceptable dans un pays souverain et dit « partenaire privilégié »…

À titre de comparaison, les citoyens du Nord débarquent chez nous sans qu’on exige d’eux la moindre « réciprocité ». Par contre, ils sont reçus à bras ouverts et avec des affiches « Welcome to Morocco », dans le respect traditionnel de la légendaire hospitalité marocaine.

Curieux paradoxe quand il s’agit de la dignité des Marocains face à l’arrogance des décideurs de ces pays dits « civilisés », comme si les pays du Sud vivent dans la jungle. Certains politiciens occidentaux prêchent en public le respect des valeurs morales, d’équité, d’égalité et de dialogue entre les cultures etc… Mais la réalité est tout autre quand il s’agit de migration légale ; tandis que l’autre migration, n’en parlons pas ici…

Par ailleurs, un petit détail: ces demandeurs de visa s’interrogent sur le devenir de leurs « données privées » et le risque qu’elles ne soient divulguées un jour par « accident » ou par « une tierce partie » ou tout simplement faire l’objet de « transactions illégales » par des personnes physiques ou morales malveillantes ? Quelles sont les garanties légales?

En ces temps sauvages de ChatGPT & Co., Messieurs les ministres de la Justice, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, le doute n’est-il pas permis et même légitime? C’est un sujet d’actualité, me semble-t-il.

In fine, pour tout vous dire, c’est du respect de « la vie privée » et de « la dignité humaine » des citoyens marocains dont il s’agit ici ni plus ni moins.

En fait, j’ai oublié les élus du peuple et leur travail de contrôle et d’investigation sur ce genre de situation kafkaïenne ? Les pauvres, ils ont sûrement d’autres chats à fouetter en attendant les prochaines élections en 2026.

D’ici là, « تصبحون على وطن… » (Bonne nuit patrie…), comme a dit le célèbre poète palestinien Mahmoud Darwich.

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