Sur 14 pages, sans compter la Une, un entretien fleuve a été accordé cette semaine à nos confrère du magazine casablancais TelQuel, le ministre de la Justice et leader du parti du Tracteur, Abdellatif Ouahbi a dit tout haut ce que ses collègues dans l’Executif disent tout bas. Égal à lui même, M. Ouahbi n’a pas esquivé les questions qui fâchent et du coup exprimé le fond de sa pensée en dévoilant sa nostalgie pour la liberté de ton quand il était dans l’opposition.
« L’opposition me manque », a-t-il répondu sincèrement à ses interviewers. Par ailleurs, « l’avocat des pauvres » n’a ni usé ni abusé de la langue de bois pour réaffirmer ses positions sur le respect des libertés individuelles, les peines alternatives, le Hirak Rif, la corruption et l’abrogation des textes de loi relatifs à la peine capitale et le respect de la vie privée des gens. « Il n’y a pas de place pour l’ingérence dans la vie privée d’un individu au Maroc », plaide-t-il.
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À une question sur le chantier controversé de la réforme de la justice dans le Royaume, M. Ouahbi a révélé que l’avant-projet du Code de procédure civile et le projet de Code de procédure pénale sont bel et bien « entre les mains » du Secrétariat général du gouvernement (SGG).
Et de préciser, qu’au Parlement, les élus du peuple ont « adopté le projet de loi sur l’arbitrage et la médiation conventionnelle. Le projet de loi organique sur l’organisation judiciaire revient à la Chambre des représentants pour une quatrième lecture, tandis que celui sur l’exception d’inconstitutionnalité est actuellement à la Chambre des conseillers ».
Et d’ajouter : « Entre-temps, nous avons présenté un décret, adopté ensuite par le Conseil de gouvernement, relatif à la définition des régimes alimentaires des personnes et des mineurs en garde à vue, ainsi que l’organisation du service des repas. Nous avons également terminé les discussions au sujet de l’Agence nationale de gestion et de recouvrement des biens saisis et confisqués. Tout cela pour vous dire que le processus législatif suit son cours avec un rythme soutenu. Le projet de Code pénal nécessite, lui, un grand débat ».
Le ministre estime que d’ici Octobre prochain les textes seront prêts et en ce moment-là, « le grand débat sur ce projet de loi va redéfinir la politique pénale au Maroc ».
+ Il n’y a pas de place pour l’ingérence dans la vie privée d’un individu +
Quand on lui demande que compte-t-il défendre au juste, M. Ouahbi rappelle sa position de toujours et qui n’a pas changé d’un iota : « Il n’y a pas de place pour l’ingérence dans la vie privée d’un individu. Certaines choses que nous considérons comme des crimes ne devraient pas être qualifiées ».
Bien évidemment, il s’agit des libertés individuelles au sens large du mot.
En Abordant la peine capitale qui connaît un moratoire depuis l’exécution du fameux commissaire Tabit en 1993, M. Ouahbi rappelle sans détour : « Je suis pour l’abolition de la peine de mort. Mais il s’agit d’une décision de l’État: il y a des interactions entre différentes parties qui devraient mener à un résultat ; il se peut qu’il y ait des développements à l’avenir, il ne faut pas précipiter les choses. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a un débat sur ce sujet et nous allons voir si l’on peut prendre des mesures dans ce sens. D’autant que le Maroc devrait bientôt se prononcer sur les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies visant à un moratoire sur l’application de la peine de mort.
Il est à noter que le Maroc s’est toujours abstenu.
Face au surpeuplement des prisons et l’influence négative du milieu carcéral sur les jeunes délinquants, un débat est en cours sur « les peines alternatives » y compris le port bracelet électronique.
Selon M. Ouahbi : « Effectivement, il y a cette loi relative aux peines alternatives que nous avons préparée. Celle-ci devrait nous éloigner davantage de la détention préventive, d’autant plus qu’elle donnerait une deuxième chance aux jeunes qui ont commis une faute, mais qui ne sont pas criminels par nature » .
+ Quand j’affirme quelque chose, je ne recule pas +
Abordant la polémique sur l’approche du ministère de la Justice d’empêcher les associations de défense des deniers publics de porter plainte contre les élus, M. Ouahbi est revenu à la charge en disant : «Quand j’affirme quelque chose, je ne recule pas. Pour vous répondre, comment se fait-il que l’État avec toutes ses institutions puisse fermer l’œil sur la corruption, si corruption
il y a ? Quand j’ai abordé le sujet, j’ai dit que l’État doit agir pour lutter contre la corruption. Soit. Venons-en à ces associations qui prétendent défendre l’argent public. Je connais pertinemment la nature des relations qui les lient aux présidents de commune, quand on dépose autant de plaintes. Sur le plan législatif, je suis responsable en tant que ministre de la Justice de la protection de l’individu innocent ».
Et quand les journalistes de TelQuel s’interrogent si la protection des innocents doit-elle passer par « l’interdiction à porter plainte » contre les élus, le ministre de la Justice répète à qui veut l’entendre : « Si nous laissons les gens porter plainte contre eux et les offenser, cela signifie tout simplement qu’il y a des voleurs partout et qu’il n’y a pas d’innocents sous nos cieux. Le voleur sera interpellé un jour ou l’autre, que ce soit à travers une plainte d’une association de protection des biens publics ou à travers l’Etat. qui m’importe ici, c’est l’individu innocent. Quand son affaire est massivement relatée dans la presse et sur Facebook et que sa réputation est bafouée, comment pourrait-il changer le regard porté sur lui après l’acquittement? Il est inadmissible que des individus s’activent pour nuire à des innocents ».
Tout a été dit ou presque…