Édito – L’affaire Ziane et le temps de la clémence

Par Ali Bouzerda


À l’approche de l’Aïd al-Adha, un souffle d’espoir parcourt les milieux des droits humains au Maroc. Ce temps, traditionnellement consacré à la miséricorde et au pardon, suscite de vives attentes, notamment autour d’une éventuelle grâce royale qui pourrait bénéficier à plusieurs détenus, parmi lesquels figure l’ancien bâtonnier Mohamed Ziane.

L’appel à la clémence en faveur de Maître Ziane, ancien ministre des Droits de l’Homme et figure emblématique du militantisme juridique et politique au Maroc, s’inscrit pleinement dans cette logique humaine et réconciliatrice.

Au 1er juin 2025, âgé de 82 ans, Ziane aura passé 559 jours rudes de silence et de solitude dans sa cellule de la prison de Laarjat 1, en périphérie de Salé, ville jumelle de Rabat.

Une longue et douloureuse traversée du désert carcéral pour un octogénaire dans le royaume.

+ De l’autre côté du miroir + 

En 1993, lorsque le Makhzen a fait appel à Ziane dans l’affaire Noubir Amaoui, l’avocat a répondu présent. À la cour d’appel de Rabat, où se déroulait ce procès historique (dans l’actuelle bâtisse de la Chambre des conseillers), il se retrouvait seul face à une centaine d’avocats venus des quatre coins du Maroc pour défendre le syndicaliste socialiste — un esprit critique et courageux durant ces tristes  « Années de plomb ».

 Ziane était là, debout, seul, pour représenter Azzeddine Laraki, Premier ministre de l’époque, un personnage peu sympathique, pour ne pas dire honni par l’opposition socialiste et la gauche en général.

Le syndicaliste était poursuivi pour « injures et diffamation » envers le gouvernement Laraki, suite à une interview accordée au quotidien espagnol El País. Une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre…

Convaincu de la noblesse de sa mission, Me Ziane défend ses clients, qu’ils soient de droite ou de gauche, avec une ardeur sincère qui frôle parfois l’excès de zèle, n’hésitant pas à provoquer ses adversaires — nombreux à vouloir sa tête.

N’est-ce pas lui qui, lorsqu’il était ministre des Droits de l’Homme, a ouvert les portes de la prison de Kénitra aux journalistes ? J’étais présent lors de cette visite inédite de ce pénitencier, où l’humidité venue de la mer ronge les os de ses occupants… Et c’était encore lui que le roi Hassan II avait chargé d’extraire de prison le célèbre opposant Abraham Serfaty et de l’accompagner en France, afin de tourner une page de l’histoire tumultueuse des violations des droits de l’homme dans le Royaume.

+ Serviteur loyal du Trône, Ziane n’a jamais œuvré pour cueillir les lauriers, mais pour honorer sa mission + 

À la veille de la fête religieuse de l’Aïd al-Adha, le Conseil national et international des volontaires de la Marche Verte (CNIVMV) a adressé une demande de grâce au Cabinet royal en faveur de la libération de l’ancien ministre des Droits de l’Homme, en ces termes :

 « Cette démarche ne remet pas en cause les décisions judiciaires, mais repose sur des considérations humanitaires… ». Et de préciser que « Ziane, aujourd’hui d’un âge avancé, se trouve dans une situation sanitaire et humaine délicate », soulignant qu’il est reconnu pour « sa fidélité constante » et « son attachement indéfectible au Trône… ».

In fine, l’association rappelle que « Ziane compte parmi les participants à la glorieuse Marche Verte et les défenseurs de l’intégrité territoriale du Royaume, comme en témoigne son long parcours militant. »

+ Le plus vieux prisonnier politique +

Le soutien à cette demande de clémence est large et comprend également des voix étrangères prestigieuses, à l’instar de Moncef Marzouki, ancien président tunisien. De même, des organisations internationales telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch ou Al-Karama réclament la libération de ce prisonnier politique.

Abstraction faite des procédures judiciaires passées ou en cours, Mohamed Ziane, par son statut d’ancien bâtonnier, d’avocat défenseur de la liberté d’expression et de leader du parti PLM, est aujourd’hui, malheureusement, un prisonnier politique le plus âgé détenu du royaume et même en Afrique.

Dans une déclaration au journal Alhayatalyaoumia, Moncef Marzouki a dit:

« J’appelle les autorités marocaines à libérer notre frère Mohamed Ziane, également en tant qu’ami du Maroc et soucieux de son image. »

Et de conclure :

« J’espère que le Maroc restera l’un des derniers lieux dans ce monde arabe meurtri où subsiste encore une lueur de lumière. »

Quand tout semble figé, l’espoir continue de battre au rythme lent des jours de détention et de solitude…

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