Cependant, cette représentation n’est pas restée confinée à un cadre humanitaire ou juridique. À partir des années 1980, elle s’est transformée progressivement en un outil stratégique entre les mains de puissances coloniales telles que la Grande-Bretagne et la France, et surtout Israël. Les minorités ont alors été perçues comme un « levier interne » susceptible d’être mobilisé pour démanteler la structure de l’État-nation arabe, ou du moins en neutraliser certains composants, en exagérant l’idée de persécution historique de ces groupes par la majorité islamique ou sunnite.
Le plus dangereux dans cette évolution est l’ancrage d’un récit selon lequel la « protection des minorités » serait une condition préalable à la stabilité et à la démocratie dans la région.
Ces dynamiques ont été accompagnées de fuites dans la presse américaine et israélienne, indiquant l’existence de coordinations sécuritaires et informationnelles impliquant diverses minorités, comme les chrétiens du Liban, les druzes d’Israël, les habitants du Sud-Soudan et du Nord de l’Irak.
Étapes de l’évolution des minorités dans le monde arabo-islamique
🔹 Deuxième phase : La colonisation et la politisation des minorités
🔹 Troisième phase : L’après-indépendance – de la participation à l’exclusion
🔹 Quatrième phase : Après 2003 – les minorités comme projet politique
🔹 Cinquième phase : Après les révolutions arabes – entre victime et acteur des négociations
L’importance de cette phase, qualifiée de « Nouveau Moyen-Orient », réside dans le fait qu’elle révèle l’ampleur des contradictions et de l’hypocrisie des discours politiques. Les minorités se sont transformées en instruments au service de grands projets coloniaux. Elles ont parfois joué un rôle central, en réclamant une protection internationale et en légitimant des interventions étrangères à travers des récits sanglants et des antagonismes historiques, renforçant ainsi les logiques d’occupation passées (britanniques et françaises) et actuelles (israélienne), contribuant à la déstabilisation et à la fragmentation des États.
Le « Nouveau Moyen-Orient », ou ce que certains appellent « Sykes-Picot 2 », ne se limite pas à un redécoupage géographique, mais réorganise les alliances et les entités, faisant des minorités des acteurs sécessionnistes, démantelant l’État-nation pour en faire une mosaïque de micro-États en conflit les uns avec les autres, politiquement, économiquement et identitairement.
Ce processus, mené sous les slogans de libération et de séparation, vise en réalité à désancrer les entités de leur espace vital et à les relier à des projets étrangers via une exacerbation des tensions communautaires, au nom de l’égalité juridique, de la protection internationale, et d’une politisation des identités religieuses et ethniques.
Dans ce contexte, Israël est passé d’un État protégé par l’Occident à une puissance régionale dominante. Cela s’est réalisé notamment grâce à l’usage de ce que l’on peut qualifier de « terrorisme fonctionnel » — que ce soit via les courants salafistes extrémistes ou les milices chiites radicales —, redéfinissant les frontières régionales dans le sang et consolidant la position d’Israël comme garant de stabilité.
Le danger de ce projet se manifeste aujourd’hui en Syrie, notamment avec les événements récents à Soueida, et les conflits entre certaines tribus et communautés druzes, dans le cadre de tentatives suspectes de création d’un canton druze indépendant. Ce type d’initiative sert la vision israélienne du « Grand Israël » ou du « Royaume de David », en exploitant les divisions internes pour construire des entités alliées à Tel-Aviv, ouvertement ou dans la discrétion.
Il est impossible de dissocier ces transformations des guerres géopolitiques plus larges visant à redessiner les sphères d’influence selon des intérêts stratégiques et économiques, notamment : la création de corridors énergétiques alternatifs au gaz russe, l’attraction des investissements internationaux dans les domaines de l’énergie, des infrastructures et des technologies. Ainsi, le « Nouveau Moyen-Orient » n’est plus une carte théorique, mais une réalité concrète façonnée selon des logiques de fragmentation et de domination économique, au détriment de l’État et de la souveraineté nationale.
En conclusion, le système ottoman des millets permettait une représentation relative et des privilèges négociables. Mais l’ère des réformes constitutionnelles (1839–1876) et la soumission croissante aux puissances occidentales ont mené à la perte des droits politiques et sociaux des minorités, malgré certains acquis juridiques formels.
Aujourd’hui, les minorités sont devenues un levier de pression entre les mains des grandes puissances pour faire chanter les États centraux, via des tendances séparatistes destinées à créer des entités fonctionnelles indépendantes. Cette dynamique reflète la vision occidentale du « choc des civilisations », qui présente l’Orient islamique comme un espace d’oppression des minorités, selon des récits orientalistes justifiant la domination occidentale.
Des documents des services de renseignement, publiés par le Carnegie Endowment for International Peace, révèlent qu’Israël tente de répliquer le modèle du Nord de l’Irak à Soueida, en coordination avec des factions druzes libanaises et syriennes, dans une stratégie visant à gérer les conflits en les divisant davantage, et à remplacer l’État central par un modèle fédéral ou confédéral garantissant à Israël une influence régionale durable.
