Par Ali Bouzerda
“Souhaitez-moi bonne chance…”, tel était le simple souhait de Fatima Zahra Biaz lors d’un débat « brainstorming » d’Atlantic Dialogues sur l’une des thématiques d’actualité « Afrique : un milliard de jeunes en 2050 ». Si l’échéance semble lointaine pour certains, le nombre de ces jeunes fait peur et découragerait les plus optimistes parmi nos futurologues.
En un mot, Fatima Zahra, cette jeune marocaine qui dirige une startup casablancaise ne désarme pas. Au contraire, elle est parmi la majorité des africains qui ont une conviction inébranlable que ce nombre incroyable de jeunes ne représente pas « un handicap insurmontable », mais plutôt « la force et l’espoir » du continent.
Initiées par OCP Policy Center, les rencontres Atlantic Dialogues, tenues à Marrakech du 13 au 15 décembre 2017, ont réuni plus de 350 participants de 80 pays, dont 60 d’Afrique. Des leaders politiques, notamment trois anciens chefs de gouvernement, d’anciens ministres, des décideurs économiques, des chercheurs et analystes dans divers domaines.
Tout ce beau monde s’est penché sur l’avenir de l’Afrique, un continent avec des potentialités énormes et des ressources humaines extraordinaires qui manquent de plus en plus en Europe, au Japon et ailleurs.
Les questions fondamentales de l’éducation et la formation sont revenues comme des images en boucle pour rappeler aux participants que nous sommes dans un monde globalisé où le savoir et la recherche scientifique sont parmi les clefs de survie car la compétition est rude, sans pitié. Elle se résume en quelques mots: « Tu marches ou tu crèves ».
Et pour « marcher .. », il faut résoudre l’équation: l’adéquation entre éducation et marché de l’emploi pour absorber des millions de jeunes qui envahissent le marché du travail sans être bien outillés pour répondre aux exigences du digital market, entre autres…
Sur cette problématique, les intervenants ont posé un débat serein et sans complaisance. Ils sont venus d’Occident, d’Amérique Latine et d’Asie, y compris de Chine et des dizaines de jeunes africains formés dans des universités anglo-saxonnes avec des approches innovantes où la langue de bois n’a pas eu de place dans ce temple de la réflexion critique et prospective.
+ Un milliard de jeunes: l’épouvantail ? +
D’abord le tableau de bord avec des chiffres à l’appui pour y voir plus clair.
Rappelons à titre comparatif que l’Afrique a actuellement 1,2 milliard d’habitants et aura 2,5 milliards en 2050, dont un milliard de jeunes moins de trente ans. Par contre, en face la vieille Europe dont la population se situe autour de 742 millions en 2017 et qui chutera à 716 millions en 2050.
Des chiffres qui interpellent bien évidemment l’Europe comme l’Afrique. Le vieux continent qui s’enferme de plus en plus dans sa forteresse face aux flux migratoires du sud, et l’Afrique qui souffre de cette terrible hémorragie de jeunes éduqués qui ont perdu espoir dans les politiques publiques de leur pays. Ce triste constat a fait dire à l’ex-ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos :«Ce n’est pas la fin de la géographie européenne…les Africains doivent vivre ensemble dans un monde globalisé… »
Cette question de vivre ensemble et de ne pas s’enfermer chacun dans sa « forteresse », nous ramène au point de départ, à savoir comment l’Afrique peut-elle relever les défis du développement, lutter contre la pauvreté et les disparités sociales, être compétitive malgré les retards enregistrés? In fine assurer le bien-être et la prospérité de ses citoyens afin d’éviter à ce que sa jeunesse (force de travail) déserte le continent à la recherche de rêves farfelus?
En fait, il ne faut se leurrer car il n’y a pas de solutions magiques mais des approches rationnelles qui s’inscrivent dans le temps.
Loin de la politique politicienne, les intervenants pendant ces trois jours pleins sont arrivé à une conclusion: il ne peut y avoir réussite d’un modèle économique en essayant de sauter des étapes ou de faire semblant en fermant les yeux sur les irrégularités et les dysfonctionnement d’un système. Pas de salut, sans le respect d’un certain nombre de principes fondamentaux dont notamment:
- La bonne gouvernance
- La lutte contre la corruption
- Indépendance de la justice et un cadre juridique transparent pour sécuriser l’investissement
- Urgence d’une révision des politiques publiques
- L’État doit encourager et soutenir l’investissement privé surtout à l’échelle des collectivités locales et au bénéfice des populations défavorisées
- La nécessité d’impliquer les jeunes dans les prises de décision au niveau central et régional
+Afrique: transition générationnelle … +
Jeunesse africaine est au coeur de la réflexion en attendant l’action. En fait, plus de 80 jeunes leaders ont pris la parole pour s’exprimer en toute liberté sur la nécessité d’accélérer « la transition générationelle » en cours, un point de discorde, semble-t-il.
Sans se soucier le moindre du monde de la réaction de ses ainés qui l’écoutaient sagement, un jeune congolais a lancé un appel à «la révolution » contre les vieux qui s’accrochent au pouvoir et marginalisent les jeunes africains. Une colère justifiée?
En réalité, l’approche est plus pragmatique car les jeunes expliquent que le continent, qui est au cœur de convoitises mercantilistes, a besoin d’une « révolution culturelle » impliquant un changement de mentalités.
Et si on se fie à l’histoire, disent-ils : « Ce sont les jeunes qui osent initier les grands changements ». Les icônes du panafricanisme, Kwamé Nkrumah et Jamal Abdel Nasser ont accédé au pouvoir «très jeunes, la trentaine… », a tenu à rappeler l’auditoire Zeinab Badawi, la vedette et brillante journaliste de la BBC World News, dans une allusion à la gérontocratie qui fait honte à l’Afrique.
+Établir des relations de confiance Nord-Sud+
Hassan II disait: il faut éviter de se concentrer sur le rétroviseur car on risque d’entrer dans le mur. Et pour cause, dans ce cadre ouvert d’Atlantic Dialogues semblable à des « séances de thérapie » collective pour exorciser les démons du passé, les pays du Nord ne doivent-ils pas revoir leurs cours d’histoire et s’inscrire dans cette nouvelle dynamique de « building trust » (instaurer une confiance) de partenariat Nord-Sud, volontariste et constructive. En des termes plus simples un partenariat « win-win party » qui implique bien évidemment un flux d’investissement Nord-Sud et un transfert de technologie vers l’Afrique?
À Marrakech, la question a été posée plus d’une fois, “les gens du Nord”, comme disait le chanteur Enrico Macias, étaient bien là, à Marrakech, ils ont bien écouté mais on se demande: ont-ils toujours le cœur ailleurs?
Le temps des canonnières est bien révolu, le Nord comme le Sud ont tout à gagner en écoutant les uns et les autres, et c’est pour cette raison que le cadre Atlantic Dialogue a été mis en place rassemblant la fine fleur des quatre continents : Afrique, Amérique Latine, Asie et Europe.
Un dicton africain a été révélé à la clôture des travaux de cette VIème édition Atlantic Dialogues: « Si tu veux marcher très vite, il faut être seul mais pour aller très loin, il faut être à plusieurs ».
Dans un monde globalisé, cette sagesse n’interpelle pas seulement les africains mais tout le monde.
En 2050, signale Karim El Aynaoui, directeur général d’OCP policy center, «la moitié des jeunes de moins de 30 sur cette planète sera en Afrique…c’est un défi mais aussi beaucoup d’opportunités ».
Cela m’a rappelé l’intervention de la jeune Fatima Zahra qui étalait ses modestes mais ambitieux projets d’avenir, notamment hors des sentiers battus: « Souhaitez-moi bonne chance », exhorta-t-elle son audience avec un sourire plein d’espoir.