« L’aumône » mortelle de Sidi Boulaalam

Par Ali Bouzerda

Avant d’oublier, le Maroc n’est plus à la triste époque de « Aam al-Boun » (l’année des bons) où les autorités distribuaient des tickets de rationnement pour permettre au titulaire d’obtenir de la nourriture ou d’autres denrées rares à cause des conséquences de la 2ème Guerre Mondiale. A cette époque, les gens se bousculaient pour être parmi les premiers à bénéficier de ces malheureux tickets dont parlaient nos grands-parents.

Mais là, on est bien au XXIème siècle et plus précisément en novembre 2017.

« Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson chaque jour », disait le philosophe chinois Confucius. Cela fait plus de 25 siècles que cette sagesse existe et rappelle à ceux qui ont les moyens d’aider les plus démunis, mais de le faire autrement que par « l’aumône » car cela va créer une « dépendance » et un cercle vicieux.

Sans entrer dans un débat byzantin sur l’aide aux pauvres du point de vue musulman, chrétien ou autre, la tragédie de Sidi Boulaalam, province d’Essaouira est « une responsabilité collective » qui nous interpelle tous, interpelle bien évidemment les autorités publiques sur la question de la pauvreté au Maroc et comment y mettre fin? Comment réduire le gap entre les riches et les pauvres, en un mot faire face à « une fracture sociale » de plus en plus visible mais qu’on refuse de voir?

Les faits sont têtus surtout quand ils sont chiffrés. Et sans entrer dans les détails, la richesse du Maroc en terme de Produit Intérieur Brut (PIB) dépassera cette année, pour la première fois, le cap des cent vingt milliards de dollars à prix courants (121,4 milliards).

En 1999, le PIB du royaume était estimé à 43 milliards de dollars, selon les statistiques de la Banque Mondiale. Et sur les 11 dernières années, le PIB  a quasiment doublé passant de 65 milliards en 2006 à 121,4 milliards en 2017.

Ainsi le Maroc occupe actuellement « la 6ème position en Afrique en termes de PIB », selon la Banque Africaine de Développement (BAD). Donc, le Maroc est un pays en voie d’émergence mais continue à faire face à des disparités sociales, flagrantes parfois.

La mort de 15 femmes à Sidi Boulaalam, étaient en majorité des divorcées et des veuves qui n’arrivaient pas à subvenir à leurs besoins. Ces femmes parmi 5000 autres personnes ont été debout dès l’aube afin de pouvoir bénéficier de « l’aumône » annuelle du mécène barbu.

Ce « Mohcine » dirige une curieuse association dite Association Aghissi de Mémorisation du Coran et Oeuvres Sociales qui chaque année distribue gratuitement des tonnes de farine, sucre et huile sous forme de charité. Tout cela se passe avec l’accord des autorités locales et la présence des gendarmes.  Du coup, le bonhomme par son action, il se substitue par la force des choses à l’État et à son rôle premier qui est de protéger les plus vulnérables. Où est l’État dans ces conditions ?

+Des riches en dollars américains …+ 

Le Maroc n’est pas un pays pauvre, nous dit-on. La preuve: « Il abriterait sur son sol pas moins de 4.800 millionnaires, mais reste devancé par des pays comme l’Egypte, le Nigéria, le Kenya et l’Angola. Nonobstant, le Maroc devance l’Algérie, pays adossé à des dizaines de milliards de dollars US en réserve de devises, avec ses 4.700 millionnaires », affirme le site semi-officiel Le360, citant un rapport de 2015. Les millionnaires en dirham, n’en parlons pas et nos milliardaires même s’ils se comptent que sur le bout des doigts, ils n’existaient presque pas à l’époque Hassan II ou disons qu’ils faisaient profil bas par « pudeur » ou par « peur ».

Les temps ont changé, les riches se sont encore enrichis depuis les années 90, époque de la libéralisation économique et de la privatisation de 114 entreprises dÉtat y compris « les joyaux » de l’économie marocaine.

On a l’impression que les pauvres sont restés pauvres ou appauvris car ils ont appris à vivre de « l’aumône », de la charité sous forme de « poisson chaque jour » et l’État a oublié de leur « apprendre à pêcher »… 

La question qu’on se pose : in fine, l’État n’a-t-il pas failli à son devoir d’éradiquer l’analphabétisme qui sévit depuis 1956 et investir et de s’investir sérieusement dans la formation des femmes, des jeunes et des moins jeunes afin de pouvoir faciliter l’accès au marché de l’emploi trouver ou de pouvoir créer leur propre business? N’est-ce pas un péché ? 

Dans le secteur privé où les riches qui doivent contribuer à alléger le fardeau social, passent par contre leur temps à exhiber leur fortunes, à changer de grosses cylindrées et surtout le décor de leur bateaux, de leur divers villas et même l’intérieur de leurs jets privés. Voilà leur souci premier car ils sont malheureusement sur une autre planète …

Rappelons quand-même à ces gens de Casablanca et d’ailleurs qu’à Sidi Boulaalam, les 15 pauvres femmes sont mortes étouffées et écrasées pour une « aumône » (farine, sucre et huile) d’une valeur de 150 dirhams. Cela ne représente même pas le prix d’un cigare Cohiba lors d’un dîner bien arrosé sur la corniche d’Aïn Diab.

Et la solidarité dans tout ça?

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