La « boulitique » en 2017***

Par Ali Bouzerda

« Le brouillard… » telle est l’image qu’aurait choisie le politologue Mustapha Sehimi pour décrire la scène politique marocaine par les temps qui courent. Cette métaphore pourrait refléter une image de synthèse de la succession d’événements depuis les élections législatives de 2016, notamment avec « le départ involontaire » de Benkirane de la primature, la paralysie de la classe politique face aux incidents d’Al Hoceima, la crise de leadership au sein du PAM et la « guerre des soucoupes » de l’Istiqlal.

Sans verser dans la polémique ni faire de l’esprit, les fameux analystes politiques des radios et chaînes de télévision se perdent en conjectures car ils n’arrivent pas à suivre objectivement le changement qui s’opère sous leurs yeux. Nombreux parmi eux ont prédit des victoires à la Don Quichotte de leurs leaders préférés mais qui se sont révélées des défaites cuisantes, et ce, à commencer par les trois grandes formations politiques PJD, PAM et Istiqlal.

+Le Makhzen : les coulisses ou simple observateur?+

Dans le flou artistique ambiant, les observateurs les plus avertis ne cachent pas leur « lecture approximative » des transformations en cours mais affirment que le Maroc n’est plus celui de jadis où le Makhzen intervenait directement pour faire ou défaire les choses. Certains parlent d’une « absence flagrante » du Makhzen, tandis que d’autres estiment que ses hommes sont des « observateurs actifs » qui suivent les changements en cours sans trop bousculer les choses.

Bien évidemment, l’époque du puissant ministre de l’Intérieur Driss Basri est révolue même si certains politiques ont « la nostalgie » de cette triste période. D’ailleurs ils ne le cachent même pas en public et rêvent d’un hallucinant « back to the future ». Le Makhzen suit le mouvement, disent les plus avertis « car le monde a changé… »

+ Le PAM est-il en panne? +

Bref, à commencer par le parti du Tracteur. Le « lider Maximo » sans cigare du PAM a rendu son tablier ou plutôt aurait été « prié gentiment de démissionner », selon ses adversaires. Après avoir régné sans partage avec ses camarades rifains à la tête d’un parti qui se voulait moderniste et fédérateur, Ssi Ilyas comme l’appelle ses intimes va laisser derrière lui « une crise de succession » qui risque de se transformer en hémorragie si le phénomène ne s’est pas déclenché déjà. « Le PAM, un bateau qui a été détourné de sa voie initiale par certains, » reproche à Ssi Ilyas, l’ex-SG du PAM, Hassan Benaddi. D’habitude, très discret, Benaddi a même lancé un appel à « une restructuration » du parti et de sa stratégie à l’avenir.

On a l’impression que Benaddi prêche dans le désert car personne ne sait qui sera apte à remplacer, avant la fin 2017, le « lider Maximo » et comment parviendrait-t-il à fédérer les « Nordistes » en force et les « Sudistes » qui aspirent à prendre la relève?  « une véritable guerre de sécession à l’horizon », note un cadre du PAM.

Le PAM risque-t-il à la longue de devenir une pale copie du RNI ou de l’UC ? Difficile à dire. Une chose est claire, le parti du Tracteur ne ratissera plus, ni récoltera des fruits comme en 2016. « Le ver est dans le fruit, » dit-on.

+L’Istiqlal otage des notables du sud?+ 

Le trublion syndicaliste et populiste istiqlalien Hamid Chabat vient de quitter le gouvernail à coups de « soucoupes volantes » réelles et virtuelles. Il a résisté jusqu’au dernier souffle malgré la force de frappe des notables Rguibet, à leur tête le richissime Hamdi Ould Rachid. Du jamais vu dans l’histoire du plus vieux parti du royaume. Le jeune technocrate Nizar Baraka, décrit par ses adversaires comme « le candidat du Makhzen », a été désigné le 7 octobre 2017 par la force des choses à la tête de l’Istiqlal, mais avec cette image des noces fassies où l’élu était transporté sur les épaules ou plutôt dans une « Aamaria »…

La direction du parti de la Balance est de retour dans le giron de la famille de l’un des fondateurs historiques, Allal El Fassi, affirme-t-on. Mais les happy few ont vite oublié que les notables Sahraouis, qui ont fait main-mise sur les sièges du Sahara, sont maintenant entrés par la grande porte de l’Istiqlal et y ont installé confortablement « chef à eux ». Dorénavant, Nizar Baraka sera redevable moralement et matériellement aux notables Rguibet que même le Makhzen a souvent du mal à les satisfaire. On verra bien la suite du conte des Mille et Mille Nuits…

+Benkirane et le jeu « cache-cache’ »+

« Cache-cache » est en fait un jeu d’enfants dans lequel un des joueurs cherche ses camarades qui se sont cachés. En politique, parfois c’est un jeu d’enfants mais où on ne se cache pas mais on cache ses véritables intentions afin d’atteindre un objectif déterminé. Benkirane adopte la même tactique depuis qu’il a été remercié de manière « sauf élégante », disent ses sympathisants.

Benkirane tient toujours les rênes d’un pouvoir moral au sein du PJD et de ses instances islamistes. Benkirane a quitté la primature qui lui conférait d’autres pouvoirs aux yeux des gens mais il ne faut pas se leurrer car il n’en demeure pas moins, à lui seul, « une institution » qui peut faire le beau et le mauvais temps, et ce, grâce à sa capacité de mobilisation et de nuisance, selon les circonstances.

Contrairement à ce que l’on pense dans les sphères du Makhzen, Benkirane n’est ni parti ni fini. Il est bien installé chez lui, sur l’Avenue Jean Jaurès, dans le paisible quartier des Orangers à Rabat à préparer sa revanche.

Tout se jouera lors du prochain congrès du PJD prévu en principe le 9 décembre 2017.

Officiellement Benkirane ne peut pas se présenter pour un 3ème mandat, mais officieusement tout est possible. Et la majorité de cette formation de barbus veut garder son timonier car El Othmani et les autres ne font pas le poids et « ont perdu la confiance » de la base en cédant facilement aux offres du makhzen, affirme un avocat proche du PJD.

Alors deux options pour sortir de l’impasse : soit Benkirane optera pour le forcing et s’oppose aux jeunes loups du PJD qui sont déjà installés dans leurs postes ministériels et c’est « le clash » qui mènera à une scission.

Plan B : Benkirane fait marche-arrière en faisant appel à son sens du pragmatisme mais veillera à la nomination de ses hommes de confiance aux postes stratégiques au sein du parti de la Lampe, tel que Driss El Azami El Idrissi (secrétariat général par exemple).

De son côté, le malin Fqih du PJD, Saad Eddine El Othmani aurait récemment menacé de « démissionner » de la primature « si l’unité » du parti était en jeu », affirme-t-il. Une « manœuvre dilatoire » afin d’écarter Benkirane de la course au secrétariat général, répondent ses opposants.

In fine, au milieu de cette cacophonie politico-médiatique une seule vérité:

Il y a une véritable crise au sein des partis politiques et un manque de vision globale relative au jeu politique qui doit créer une dynamique vertueuse en faveur de la société marocaine et non en faveur des hommes politiques qui se chamaillent pour le pouvoir et l’argent en même temps.

 A tort ou à raison, l’intellectuel et universitaire Hassan Benaddi a récemment décrit cette catégorie d’hommes qui a envahi la scène politique ces deux dernières décennies : « d’opportunistes » et d’affairistes sans scrupules qui tentent de grimper les échelons rapidement pour décrocher le gros lot.

Une question demeure sans réponses : « les trois Mousquetaires », Benkirane, Ilyas et Chabat, une fois hors-jeu, que feront-ils de leurs longues journées ? Broyer du noir…je m’en doute !

L’année 2018 s’annonce dans toutes les couleurs sauf l’arc-en-ciel avait tristement prédit le Prince rouge, il y a quelques années de cela, c’était en avril 2013 plus exactement.

A bon entendeur salut !

*** La boulitique : dans les années soixante et soixante-dix, les paysans décrivaient « la politique » comme une chose dont il faut se méfier comme la peste. Il la prononçait « boulitique » avec un geste de méfiance vis-à-vis du Makhzen de l’époque.

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