Le Rif s’est embourbé, malgré lui, dans une révolte pacifique depuis la mort du poissonnier Mohcine Fikri fin octobre 2016, une situation dramatique qui ne semble pas avoir d’issue pour le moment. Pire il y a une fuite en avant du Hirak et du gouvernement : Nacer Zafzafi, l’icône de la mouvance populaire rifaine s’est maladroitement attaqué à la sacralité de la religion musulmane dans un pays très conservateur, et le gouvernement a procédé automatiquement à son arrestation et celle de son cercle de lieutenants et décideurs.
Il semble que des deux côtés l’impulsivité l’a largement emporté sur la sagesse et le bons sens et, par conséquence, le fossé va s’grandir davantage, pourtant le dialogue apaisée est responsable aurait pu résoudre le conflit sachant que le gouvernement à mis la main à la poche et a promis de mettre 1 milliard de dollars sur la table, une somme faramineuse, pour le développement et le désenclavement de la ville et de ses environs. Somme toute aucune ville ou région du Maroc n’a eu la chance d’une telle générosité gouvernementale d’un coup et aussi vite. C’est une aubaine pour le Rif si la promesse est respectée.
Mais, toutefois, il faut dire ouvertement que le Rif souffre en silence depuis un siècle. Il a souffert depuis le début du siècle dernier du joug d’un colonialisme pur et dur et depuis l’indépendance en 1956 du mépris de l’état central sans oublier pour autant la dureté de la nature et tout cela on peut le lire sur le visage des Rifains pétris de pauvreté et d’injustice.
Handicaps structurels :
Le Rif en tant que région et entité culturelle est confronté, depuis belle lurette, a une brochette d’handicaps a la fois d’ordre naturel et humain.
Handicap géographique :
Le Rif est une région majoritairement montagneuse et très escarpée donc généralement accidentée. Elle comporte peu de plaines. Les pentes du sol sont souvent très fortes et supérieures à 50%. Les sols sont peu perméables et très sensibles à l’érosion..Bien qu’il a accès à une pluviométrie importante, en une année humide, toutefois il est aride et manque terriblement d’eau. Le Rif dans sa totalité est sujet à une érosion dévastatrice et continue.
Handicap culturel :
Dans l’imaginaire populaire des Marocains, les Rifains sont à la fois des gens très braves et très honnêtes, chefs de familles responsables et époux fidèles. Ils sont connus sous l’appellation : chlouh al-‘azz, les Amazighs/Berbères valeureux.
Ceci dit, toutefois le Rifain est vu et stéréotypé comme un être louche et infidèle qui peut changer d’avis et de camp vite fait :
– Riffi gheddar ou 9attal (le Rifain est sanguinaire et incapable de fidélité);
– Riffi dirou gouddamek ou ma-tidirou ourak (Le Rifain n’est pas digne de confiance) ;
– Rifi ighadrek, ighadrek (le Rifain te sera infidèle tôt ou tard), etc.
Ces stéréotypes étranges sur le Rifain sont le résultat de sa pugnacité et son sens inné de la survie dans un environnement géographique inhospitalier.
Son visage « cicatrisé » par la vie difficile lui donne l’impression d’être un homme patibulaire et indigne de confiance ayant une propension naturelle à combattre.
Handicap économique :
Le Rif est une région foncièrement pauvre, donc incapable de nourrir les siens. Dans les années 30 du siècle dernier les Rifains immigraient saisonnièrement, en masse, vers l’Algérie française pour travailler dans les champs. Ils appelaient ce mouvement chareq « migration vers l’est ». Dans les années 50, ils traversèrent la Méditerranée pour aller en Europe en pleine reconstruction après les affres de la Deuxième Guerre Mondiale grâce à la générosité américaine du Plan Marshall. Ils s’installèrent surtout en Hollande et Belgique mais aussi en Espagne, France, Allemagne et les pays de la Scandinavie. Grace à l’argent gagné durement ils construiront de belles maisons en dur et investiront dans des commerces et dans l’immobilier dans leur région.
Mais dans les années 80 les Européens fermèrent leurs frontières et les fils du Rif s’investirent dans les études avec l’espoir de faire vivre les leurs.
Une fois le diplôme en poche ils se retrouvent au chômage, et sur les chaises des cafés ils méditèrent longuement sur des jours meilleurs tout en s’organisant dans des associations de défense de la culture amazighe et les droits de l’homme. Très vite Alhoceima devint la capitale marocaine des droits de l’homme et de la contestation en gestation.
Pour calmer le jeu, le Makhzen procéda maladroitement à la cooptation de certaines élites locales en mal de leadership et de stardom, mais très vite ces élites perdirent leur virginité politique et se trouvèrent désavouées par le peuple rifain, pour ne pas dire bannis.
Le Rif brimé par le Maroc officiel :
Le soulèvement armé du Rif de 1958-1959 en réalité n’était pas dirigé contre la monarchie mais plutôt contre le Parti de l’Istiqlal, qui voulait s’accaparer du pouvoir pour instituer le parti unique, comme c’était le cas dans plusieurs pays arabes. Dans le temps, le futur roi Hassan II qui était Moulay Hassan, prince héritier, anxieux de devenir roi à la place du roi a vu en ce soulèvement une occasion en or pour affirmer son autorité politique et militaire et se débarrasser à la fois du Rif frondeur et de l’Istiqlal usurpateur. Contre l’avis de son père Mohammed V, plutôt attiré par le dialogue politique et l’intermédiation sociale. Moulay Hassan écrasa militairement le Rif.
À la fin de Janvier 1959, le soulèvement a été réprimé par une force militaire de 30 000 hommes commandée par le prince héritier Moulay Hassan et mise sous les ordres du général Oufkir. Après la fin du soulèvement, le Rif a été soumis à un régime militaire pour plusieurs années et l’héritage le plus ruineux de ce soulèvement fut la négligence complète et la marginalisation totale de la région par les autorités marocaines au cours des décennies suivantes.
Cette marginalisation allait devenir encore plus accentuée après le soulèvement populaire de 1984 qui fut réprimé, lui aussi, dans le sang parce que pour Hassan II, le Rif était toujours militarisé et la région toujours en dissidence ouverte contre la monarchie et l’état.
A son accession au trône en 1999, Mohammed VI avait entamé, de bon cœur, un processus de réconciliation avec le Rif, faisant plusieurs déplacements à Alhoceima et à Nador et inaugurant maints projets d’envergure mais n’allant pas suffisamment dans le sens des besoins de la population. Les bonnes intentions du Roi Mohammed VI pour le développement du Rif ont été totalement exaspérées par les lenteurs administratives, la corruption des élus et le mauvais choix des élites locales.
Le Maroc du désespoir :
La France pendant le protectorat 1912-1956, pour des fins de colonisation, avait divisé le Maroc en Maroc utile, le Maroc des cotes, des plaines agricoles et des richesses minières et le Maroc inutile celui des montagnes et du désert. Cette subdivision coïncidait grandement à une plus ancienne : bled l-makhzen « terres sous contrôle gouvernemental » et bled siba « terres de dissidence ou plutôt les contrées pauvres des Imazighens » qui refusaient de payer les impôts au gouvernement central, pour cause de pauvreté.
Apres l’indépendance cette subdivision persista, aujourd’hui on peut distinguer entre deux Maroc, à deux vitesses différentes : Un Maroc du triangle d’or et un Maroc du triangle du désespoir. Celui du triangle d’or s’étend de Laayoune à Tanger et à Fès et tout ce qui est en dehors de ce triangle c’est le monde du désespoir, généralement le monde amazigh, sans ressources et sans infrastructures.
Depuis l’indépendance le gouvernement a maladroitement dirigé tous les investissements vers le triangle d’or créant de multiples possibilités de travail donc de richesse. Par contre en dehors de ce triangle, la jeunesse oisive broyait du noir et criait à qui voulait l’entendre à la hogra (humiliation).
La goutte qui a fait déborder le vase
Le tremblement de terre émotionnel qu’a connu le Maroc le 30 octobre 2016 à la suite du décès de Mohcine Fikri a été, sans aucun doute un événement très dangereux pour l’avenir du Maroc. La classe politique et l’establishment devaient, dans le temps, en tirer immédiatement les leçons qui s’imposaient pour l’avenir, et il faut le dire que l’avenir aujourd’hui est très sombre et l’ « exception marocaine » est en grand danger…
Le Hirak du Rif est le résumé du ras-le-bol marocain dans sa totalité. Les événements d’Alhoceima c’est le printemps marocain en gestation. Cette mouvance populaire a mis à nu la précarité des Amazighes et la réalité du jeu politique au Maroc. Les partis politiques ont tous été cooptés par le Makhzen et, par conséquence, ont perdu leur virginité vis-à-vis de la population et le peuple est devenu l’opposition légitime et réelle sur le terrain parce que la nature n’aime pas le vide, et, ainsi, il est descendu dans la rue pour défendre ses intérêts et crier son marasme et son ras-le-bol.
Le Hirak du Rif est pacifique et légitime, l’état doit impérativement le prendre en charge : écoute, dialogue, intermédiation et réactivité et mettre en sourdine les appels des sirènes sécuritaires qui veulent le diaboliser et pousser le Maroc dans l’incertitude. Le Maroc est un pays du dialogue et du juste milieu, mais il va très mal présentement et la monarchie, comme dans le passé, doit se mettre à son chevet pour le remettre d’aplomb.
Au Maroc aujourd’hui, il y a deux classes distinctes : la classe gouvernante, qui est faite de politiques, industriels, argentiers, rentiers, bourgeoisie, etc., riches comme crésus et le peuple qui comprend des fonctionnaires endettés jusqu’à l’os et des démunis qui vivent du jour au jour. Pour rappel, la classe moyenne qui sert d’ « absorbeur de chocs » entre les riches et les pauvres, a disparu il y a fort longtemps.
Le PJD, un « paracétamol » qui ne calme plus les douleurs :
En 2011, au fort du Printemps arabe, le roi, en bon et loyal pompier, proposa au peuple marocain une constitution-relais pour une monarchie constitutionnelle future. Cette constitution ouvra la porte grande pour l’arrivée des Islamistes au pouvoir, ce qui fut le cas en grande pompe.
Pendant 5 ans, de 2011 jusqu’à 2016, les Islamistes « paracétamols » calmèrent les multiples douleurs de la société marocaine sans avoir réussi aucunement à diagnostiquer le vrai mal. Pour justifier leur impuissance à résoudre les grands problèmes et maux, à l’approche des échéances d’octobre 2016, ils évoquèrent le concept de ta7akkoum, qui, en des termes clairs, veux dire que les grandes décisions restent entre les mains du shadow cabinet (entourage du monarque), pour ne pas dire les mains du souverain.
Les Islamistes voulaient se dédouaner craignant le backclash du peuple. Il vrai que certaines décisions peuvent être influencées par l’entourage royal mais c’est minimal. Toutefois, à la stupeur de beaucoup, ils furent réélus avec plus de sièges au parlement mais moins de mordant politique, sur un agenda purement religieux et non économique.
Le mal viscéral du peuple c’est le chômage et la 7ogra :
Durant leurs nombrables campagnes électorales, le PJD et le reste des partis font des promesses creuses au petit peuple de lui fournir amplement l’emploi synonyme de dignité.
Généralement tous les partis politiques marocains font des promesses sans se baser sur des études scientifiques préalables. En clair, les partis politiques marocains n’ont point de programme économique ou autre et ne peuvent aucunement créer les emplois tant souhaités par le peuple pour survivre dans un système économique libéral sauvage et inhumain. Ces partis n’ont que de la littérature politique très fournie qu’ils mettent à jour à l’approche des échéances électorales, d’où leur échec populaire strident ces dernières années.
Déçu, depuis plusieurs lunes, de la performance des partis politiques marocains, le peuple ne daigne même pas voter : 7 octobre 2016 : 57% d’abstention. L’abstention, toutefois, n’arrange en aucun cas les doléances sempiternelles du peuple marocain qui souffre et souffre en silence de la 7ogra (humiliation).
Que faire ?
Le Hirak, est une mouvance sociale et économique, un cahier de doléances d’une région amazighe meurtrie par la marginalisation politique et économique, mais c’est aussi une bombe à retardement qui peux exploser à n’importe quel moment et déstabiliser le pays, sinon toute la région.
Les gens du Rif sont unionistes et pas séparatistes. Ils sont fiers de leur marocanité. La tribu Ait Ouriaghel a défait l’Espagne sous Ben Abdelkrim al-Khattabi, pour la grandeur du Maroc et la tribu Gzennaya a défait la France dans le « Triangle de la Mort » en Octobre 1955, pour l’indépendance du pays et la fin du protectorat.
Malheureusement en dépit de ses grands faits d’arme, Rabat avait carrément oublié le Rif parce qu’apparemment celui-ci avait blessé Hassan II dans son égo et son amour propre, à tel point qu’il avait oublié qu’il était le roi de tout le Maroc avant d’être le citoyen Hassan Ben Mohammed.
Pour éviter l’explosion générale et l’effet domino de la mouvance d’Alhoceima, il est indispensable d’entreprendre d’urgence ce qui suit ;
A court terme :
1- Intervention royale urgente pour calmer les esprits ;
2- Dialogue tous azimuts avec le Hirak et le Rif dans sa totalité;
3- Mettre sur pied un Plan Marshall pour le Rif ;
4- Mettre sur pied un think-tank de chercheurs et intellectuels rifains pour fournir les études nécessaires sur la région (sociologie, anthropologie, culture, appartenance au groupe, économie, etc.), qui est mal comprise par le gouvernement central ;
5- Créer des structures universitaires à Alhoceima et Nador ;
6- Repatrier la dépouille de Ben Abdelkrm al-Khattabi du Caire et lui donner un enterrement officiel et insérer son épopée dans les manuels scolaires ;
7- Célébrer annuellement les batailles d’Anoual et de Dhar Aberran.
A long terme :
1- Créer des « Provinces de Montagne » dans les régions montagneuses du pays, avec budget spécial, pour entreprendre un développement régional équitable ;
2- Créer un centre de recherches pour le développement du Maroc profond ;
3- Faire connaitre le Maroc profond à l’échelle nationale;
4- Adopter un fédéralisme dynamique au lieu d’un régionalisme statique.
Par Dr Mohamed Chtatou