La méfiance du Rif s’est transformée en défiance

Par Omar Bendjelloun

La protestation dans le Rif risque-t-elle de s’exacerber après l’arrestation, lundi, de Nacer Zefzafi, figure emblématique du mouvement «Hirak» ?

Il y a urgence à libérer l’ensemble des activistes du mouvement d’Al Hoceïma poursuivis sous le régime de la détention provisoire. La contestation sociale est devenue, à mesure des réactions autoritaires, un mouvement politique qui a connu une solidarité nationale dans toutes les villes du Royaume qui saisissent l’occasion de rappeler des revendications légitimes liées aux services publics, à la justice, à l’autorité, aux territoires, toujours d’actualité depuis le sentiment d’inachevé provoqué par le quinquennat islamiste dès la Constitution de 2011, et la mort tragique de Mouhcine Fikri dans le port d’Alhoceïma en 2016.

La révolte, marquée au départ, en 2016, par un élan d’indignation s’est transformée en un mouvement à caractère social contenant des revendications politiques. Jusqu’où ce mouvement sera-t-il capable de maintenir la pression?

Le Maroc n’a pas connu une telle mobilisation depuis le mouvement du 20 février 2011. La région du Rif connaît une conscience et un imaginaire collectif propre, articulé autour du fait résistant national de la figure emblématique de Abdelkrim Khattabi, des séquelles de la politique du Roi Hassan II à l’égard de cette région, d’une organisation économique de substitution indépendante de l’Etat. Sa capacité de mobilisation a toujours été forte dans l’histoire du Royaume, facilitée par ces «vieux démons» qui ont la vie longue devant les tentatives de réconciliation collective et territoriale du nouveau règne. Cette méfiance ancienne vis-à-vis du pouvoir se transforme par moment social et politique en défiance, dont la solution se doit de mobiliser des réformes institutionnelles profondes, un retour vers les légitimités partisanes et politiques, notamment locales, et une application participative et urgente des plans de développement déjà prévus pour le Rif au coût de 650 millions de dollars entre 2015 et 2019.

Pensez-vous que cette contestation peut s’étendre à d’autres régions ?

Aujourd’hui les formes de manifestations dans les différentes villes du Royaume prennent une dimension de solidarité avec les évènements du Rif depuis la mort du poissonnier en 2016. Toutefois les mêmes revendications et les mêmes solutions sont valables dans toutes les régions du Maroc, auxquelles sont venues s’ajouter les questions de frontière entre le politique et le religieux qui a provoqué l’arrestation de Nasser Zefzafi après avoir dénoncé le prêche politique de l’Imam d’Al Hoceïma, une dénonciation qui serait dans la ligne des discours et décrets royaux de 2014 qui interdisent l’utilisation du politique dans le religieux et vice-versa.

La situation est précaire en Algérie, elle est explosive en Tunisie. Peut-on parler d’une lame de fond qui traverse tout le Maghreb?

Ce ne sont pas les mêmes environnements malgré la ressemblance entre pays et entre Zefzafi ou Fikri au Maroc et Abbes en Algérie ou Bouazizi en Tunisie. Le Maroc reste une monarchie où le peuple fait parfois appel à sa dimension exécutive même si les intellectuels ou les partis progressistes revendiquent sa forme parlementaire, connaît une hybridité au sein de l’Etat entre gouvernance traditionnelle et approche rationnelle-légale, signant aujourd’hui la faillite des partis et l’inertie du gouvernement. Durant les événements de 2011, le discours du Roi annonçant la réforme constitutionnelle avait amené un calme relatif alors que d’autres pays se sont littéralement désagrégés. Son intronisation en 1999 avait engagé la réconciliation avec le Rif aboutissant à une forme de stabilité par le développement plutôt que par l’autoritarisme. Toutefois les bases logistiques et mentales de ce dernier ont la vie longue et peuvent parfois faire fi des risques potentiels. Certes, le séparatisme ou le chaos ne peuvent être envisagés de par une longue tradition politique, mais le «Hirak» a développé une dimension religieuse qui ne paraissait pas lors des solidarités spontanées avec Mouhcine Fikri en 2016, ce qui pourrait faire écho au sein des groupes de Marocains venant de cette région partis combattre en Syrie ou en Irak, dont le retour serait menaçant pour toute la partie ouest de la Méditerranée. Des investisseurs chinois se sont rendus dans cette région il y a quelques semaines et ont déclaré : «En cinq ans, on peut transformer cet arc en la plus belle région de la Méditerranée». Faudrait-il y apporter un cadre systémique démocratique global qui intègre les volontés populaires et politiques et le potentiel budgétaire pour apporter une réponse prioritaire à la citoyenneté et à la dignité de cette population blessée. S’il y a une troisième voie entre le fondamentalisme et le néo-libéralisme d’un point de vue idéologique et socio-économique, il n’y en a pas entre autoritarisme et démocratie d’un point de vue systémique et institutionnel.

Source: letempsdz.com

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