La majorité pour des présidents sans diplômes

La dernière décision de la majorité de ne pas imposer aux présidents de commune un niveau minimum d’instruction n’est pas passée inaperçue. Mohamed Amrani Boukhobza, professeur à la faculté de droit de Tanger, dénonce une décision «unilatérale» des secrétaires généraux de la coalition. «La majorité a fait la sourde oreille au débat sur cette question», déplore-t-il. Elle avait en fait le choix entre 3 scénarios. Le premier était donc d’imposer aux présidents de communes un niveau minimum d’instruction. Le PJD avait proposé d’introduire le niveau baccalauréat comme critère d’éligibilité. Mais la formule a été rejetée par des formations politiques motivant leur décision par la Constitution de 2011 qui consacre le droit d’éligibilité à tous les Marocains sans exclusion. «C’est faux!» affirme Mohamed Hanine, député du RNI, également professeur universitaire. Selon lui, exiger ce type de condition pour la présidence d’une commune n’est pas anti-constitutionnel. «Ce qui serait contradictoire avec la Constitution est de restreindre le droit de se porter candidat aux élections générales en imposant aux candidats l’obtention d’un niveau minimum d’instruction», dit-il. Hanine est catégorique: «Il faut avoir un minimum de compétences pour exercer ce poste de responsabilité».
D’autant plus que «la Constitution est claire sur les compétences requises pour occuper des postes de responsabilité». D’où l’adoption de la loi organique sur la nomination aux hautes fonctions, rappelle-t-il. Certains expliquent le rejet de ce scénario par les intérêts de quelques formations politiques qui misent sur les notables disposant d’un fort pouvoir dans leurs régions mais ne justifiant pas d’un niveau minimum d’instruction pour remporter la présidence d’une commune.
Le 2e scénario, qui n’a pas été retenu, exigeait le diplôme du baccalauréat comme critère d’éligibilité. La mesure n’allait s’imposer qu’aux présidents de communes urbaines, celles de plus de 35.000 habitants. Il s’agit donc d’une forme de «discrimination positive» en faveur des communes rurales. Le dernier scénario, qui a été introduit dans le mémorandum adressé au ministère de l’Intérieur, maintient la situation actuelle.
Autrement dit, il dédouane les présidents de communes de tout niveau minimum d’études. Boukhobza met en garde contre les retombées négatives de cette décision sur la gestion des affaires locales. Selon lui, les missions des communes ne se limitent plus à des tâches administratives. «Elles comprennent aussi l’élaboration de projets de développement dont la réussite est tributaire de la mise en place de plans stratégiques», dit-il. Or, «la gestion stratégique des affaires locales exige un certain niveau de connaissances». Certains avaient même appelé la majorité à imposer un niveau d’études à tous les élus locaux et non pas uniquement aux présidents de communes. Pour Boukhobza, «il fallait retenir cette demande surtout que le Maroc s’est engagé dans une expérience de décentralisation». D’autant plus que le Maroc a besoin d’une nouvelle génération de communes. «Surtout qu’il s’agit des premières élections communales après la Constitution de 2011», ajoute, pour sa part, Mohamed Hanine. D’ailleurs, même le projet de loi organique sur les communes vise l’émergence d’une nouvelle génération. Ni Hanine ni Boukhobza ne cachent en tout cas leur pessimisme.
Pour eux, l’absence d’une véritable élite politique pourrait conduire à l’échec du projet de régionalisation avancée. Selon Boukhobza, la machine bien huilée d’élus habitués à préserver leurs sièges dans leurs arrondissements empêche l’émergence d’une nouvelle élite qui favoriserait une rupture avec l’image des notables locaux. «La non-fixation d’un niveau minimum d’études permettrait à ceux qui ont une influence politique et financière de remporter la présidence des communes», prévient Mohamed Hanine.

article19/L’Economiste