Islam radical
Au Maroc comme dans d’autres pays arabes, l’Islamisme a pris racine dans les zones touchées par la pauvreté, surtout dans les périphéries des grandes villes industrielles connues communément sous le nom de « ceintures de pauvretés » (poverty belts). En 2003, la métropole de Casablanca a subi, de plein fouet, des attaques terroristes dans des lieux touristiques et un cybercafé. Des kamikazes venant des bidonvilles de Sidi Moumen, ont visé, lors de la première attaque, les restaurants pour affecter durement l’industrie touristique considérée comme satanique, si importante, pourtant, pour l’économie du pays tant en entrées de devises que d’emplois directs et indirects. La deuxième attaque avait pour cible un lieu symbolique d’ouverture sur le monde : un cybercafé, peut-être pour décourager l’influence occidentale sur la culture du pays par le biais de l’Internet connu, parmi les extremistes religieux, sous le nom de chabaka chaytaniyya ( la toîle satanique).
Conséquemment, l’Islamisme est perçu par la majorité du peuple marocain comme une terrible menace pour la stabilité du pays parce qu’il invoque, à la fois, la violence aveugle et la destruction néfaste tout en contestant le régime politique en place. Au Maroc, spécifiquement, l’idée de l’Islamisme est un défi direct au roi parce que c’est une approche religieuse qui doute de sa légitimité comme amir al-mu’minin, « Commandeur des Croyants », ou chef incontesté de la religion. L’opposition Islamiste au gouvernement marocain outrepasse, par inadvertance, deux lignes rouges : la légitimité du monarque en matière de statut de chef temporel et son rôle, historiquement légitime, de guide spirituel et de commandeur religieux.
Mohammed Daadaoui, un professeur associé de sciences politiques à l’université d’Oklahoma aux les États-Unis, soutient à cet égard que :
« À partir des années 1970, cependant, un conflit est apparu entre l’état et l’Islam politique résurgent qui a affiché un nouveau genre de défi à la monarchie et son autorité religieuse. Le conflit était centré sur le contrôle de l’espace public religieux et symbolique et sur le contrôle autoritaire du régime sur les institutions étatiques. Après les attaques terroristes de 2003 à Casablanca, l’État a réprimé les Islamistes Salafistes. L’État a également utilisé son contrôle exclusif des médias traditionnels pour revigorer l’importance nationale du Soufisme mystique et, en fait, la récupération et la sécurisation de l’identité spirituelle du pays. L’Islam soufi est au cœur du récit religieux de l’État et a contribué à maintenir le monopole du régime sur l’identité religieuse nationale. Aujourd’hui, les contours de cet espace public continuent d’être contestés et redéfinis, avec peu ou pas d’exemples d’Islamisme violent radical.”
Le soufisme est apolitique
Autant que l’Islamisme est concerné à imprégner toutes les zones extérieures de la vie, le soufisme est axé sur le fonctionnement interne de chaque individu. La religion met l’accent sur l’illumination personnelle en encourageant toutes les personnes à chercher et contempler en eux-mêmes afin de trouver Allah. Les soufis ont concentré leurs efforts sur la recherche d’un chemin en eux-mêmes qui les conduira à Allah et au salut, et croient que le chemin vers Lui peut être trouvé dans la méditation et la purification de l’âme. Parce que le soufisme est intérieurement focalisé, les soufis sont considérés comme intrinsèquement apolitiques et non impliqués dans les affaires publiques. Le soufisme encourage les croyants à se désengager du monde matériel, qui comprend la politique et le gouvernement, afin de mieux s’aligner avec le monde spirituel et d’apprendre la vérité qui les acheminera vers Allah. Le soufisme enseigne que le monde matériel est une grande illusion, et à cause de sa nature illusoire, il vaut mieux se libérer des limites de la vie matérielle et rechercher la réalité et la compréhension dans le divin.
Sur cet aspect particulier du soufisme, Hassan Al-Ashraf a écrit dans Al Arabiya News que :
« En vertu de son accent sur les pratiques religieuses, le soufisme, un type d’Islamisme hautement mystique, est une tendance qui ne vise pas à intervenir dans la politique ou les affaires publiques contrairement à d’autres partis islamiques émergents au Maroc. L’absence d’ambition politique parmi les groupes soufis a fait d’eux le choix du gouvernement marocain pour lutter contre l’extrémisme ».
Al-Ashraf ajoute que le soutien officiel du gouvernement marocain au soufisme se manifeste par une aide financière généreuse :
« Le soutien financier est parmi les stratégies du gouvernement pour encourager la propagation du soufisme au Maroc. Cela se fait essentiellement par l’octroi de dons royaux au nom du Roi Mohammed VI aux “ zaouias“, sanctuaires ou les soufis s’adonnent à leurs rituels religieux hautement mystiques ».
en plus de la promotion de leur pensée et philosophie amplement dans les médias officiels :
« La promotion du soufisme dans les médias est une autre manière du gouvernement de stimuler la tendance soufie. Les émissions télévisées sont dédiés à la diffusion du soufi “dhikr“, l’arabe pour “souvenir“ dans lequel les soufis s’engagent dans la danse de dévotion, la récitation et les cérémonies de méditation dans le but de se souvenir de la bénédiction d’Allah ».
Maraboutisme, reflet marocain du soufisme
La religion a toujours été importante dans la vie des Marocains tout au long de l’histoire, mais elle a toujours été modérée et respectueuse. Les Juifs ont vécu et prospéré au Maroc depuis 2000 ans, grâce à cette modération et tolérance. Lorsque les Juifs sépharades furent chasées d’Espagne après la Reconquista en 1492, le Maroc fut l’un des rares pays qui leur ouvrit généreusement la porte. Ils avaient réussi, depuis, à dominer l’économie marocaine au point qu’ils devinrent les commerçants du sultan : tujjar as-sultan. Les juifs dominèrent aussi, depuis et pour longtemps, la diplomatie marocaine et le commerce international au vu de leur grande expérience sépharade dans ce domaine.
Jonathan Katz, après avoir visité le Maroc et rencontré des Marocains de différentes croyances et cultures, a dit ceci sur la diversité marocaine et la tolérance soufie :
« Donc, en ce qui concerne le Maroc, je voudrais dire ceci : la tolérance n’est pas le seul apanage des blancs occidentaux. J’ai vu une plus grande reconnaissance pour l’intersection d’identités différentes -marocaine et juive, berbère et musulmane, arabe et francophone- que je n’ai jamais vues en Occident. »
L’Islam « marocain », bien que ce terme soit rejeté catégoriquement par les Islamistes, qui croient qu’il n’y a qu’un seul Islam sans colorations locales, est un mélange de soufisme et de maraboutisme. Les soufis sont venus de l’est vers le 15 ème siècle et se sont répandus dans le pays, prêchant un Islam modéré aux fermiers et paysans sans instruction. A leurs morts, ils ont été élevés au rang de saints religieux : « marabout » et les gens des campagnes construisaient des sanctuaires sur leurs tombes et leur donnèrent les attributs de baraka “grâce à divine“ qui permet des pouvoirs prophylactiques de guérison. Aujourd’hui, il y a des centaines de saints au Maroc avec un pouvoir de guérison différent dans chaque cas et dont la baraka est célébrée chaque année à la fin du cycle agricole (un concept purement païen) par un moussem ‘festival’ organisé par toute la tribu pendant plusieurs jours, rappelant les anciens rites païens du pourtour méditerranéen.
Depuis l’avènement du Printemps arabe en 2011, la monarchie, qui a toujours favorisé l’Islam soufi, a encore une fois renforcé son soutient aux zaouias religieuses qui y s’identifient, telle que la puissante et populaire zaouia Boutchichiya basée à Madagh, prés de Berkane, dans l’est du Maroc, et qui dont le nombre de disciples s’élève, selon certains spécialiste de la question, à deux millions de personnes au Maroc et dans le monde entier, des adaptes religieux qui sont des fonctionnaires, des intellectuels, des banquiers, des professeurs universitaires et des hommes politiques.
Pour Clifford Geertz, le célèbre anthropologue américain de l’Islam, le soufisme et le maraboutisme sont bien enracinés dans la société et le psychisme des Marocains :
« L’Islam de L’Afrique du Nord était et est, dans une large mesure, encore essentiellement l’Islam du culte du saint et de la sévérité morale, du pouvoir magique et de la piété agressive, ce qui est à toutes fins pratiques vrai dans les allées de Fès et de Marrakech comme dans les étendues de L’Atlas ou du Sahara. »
Réalisant aussi que la fragmentation de la représentation religieuse rendra l’office d’amir al-mu’minin (Commandeur des Croyants) plus fort et plus légitime, le roi a permis récemment la présence de chiites marocains au nord du Maroc, mais dans des conditions strictes d’allégeance à la monarchie alaouite.
Le soufisme est-il définitivement l’antidote de l’Islamisme?
Le Maroc a traversé la tempêté houleuse des soulèvements arabes et la prise de pouvoir par les Islamistes qui en a résulté, indemne grâce à la prédominance du soufisme dans la majeure partie du territoire marocain, presque aussi important que la monarchie elle-même. Conséquemment, Le souverain marocain en a fait, ainsi, indirectement une école de pensée islamique tolérante, ouverte et acceptant l’autre dans son «altérité». Ceci, toutefois, a été et est toujours un fait qui a valu au pays beaucoup de respect et d’abnégation dans le monde entier.
Aujourd’hui, de nombreux pays sollicitent le Maroc pour bénéficier de son expérience religieuse, en particulier dans le domaine de la formation des Imams et, par conséquent, des dizaines d’étudiants étrangers se sont inscrits à « l’Académie des Imams » de Rabat. 8 Ainsi, l’Islam marocain, s’exprimant dans le soufisme et la «wasatiyya » (juste milieu), 9 s’est révélé être un antidote efficace contre l’extrémisme religieux sous toutes ses formes et la preuve en est que « l’exception marocaine » 10 est une réalité tangible dans le monde musulman et ailleurs.
Notes de fin :
1 http://www.hudson.org/research/12286-islamism- and-the- state-in- morocco
2 https://www.alarabiya.net/articles/2010/09/26/120366.html
3 Op. cité
4 Op. cité
5i http://forward.com/opinion/217638/1-thing- moroccans-want- all-jews- to-know/#ixzz4AzTBHi7V
Geertz, C. 1971. Islam Observed: Religious Development in Morocco and Indonesia. Chicago: The University of
Chicago Press. P. 9.