À la périphérie de Marrakech, Jardin rouge accueille des artistes depuis 2009. Particulièrement sensible aux arts de la rue, le lieu entend se tourner vers le continent. Résolument.
Qu’ils soient en pisé ou en béton, les murs trahissent la fonction du lieu créé par l’homme d’affaires français Jean-Louis Haguenauer. Bâtiments et murets portent en effet les graffitis et les tags déjantés des artistes venus ici en résidence pour trois semaines de création.
Et, entre les feuilles bleutées des arbres, d’étranges sculptures – lapins géants, flèches monumentales, visage à facettes, dromadaire multicolore – donnent un instant l’impression de rejoindre Alice au pays des merveilles.
Visage à la Jean-Paul Belmondo, jean, veste de treillis et petit accent du sud-est, le maître des lieux rechigne, dit-on, à parler de lui. Pourtant, une fois lancé, il pourrait continuer des heures durant.
« Dans les années 1970, je venais régulièrement au Maroc dans un cadre amical, raconte-t-il. J’ai acheté ma première maison à Marrakech en 2000. Puis j’ai acquis ce terrain en 2003, un peu par hasard, parce qu’il était doté d’un bon sol, bien irrigué, et qu’il était possible d’y réhabiliter les bâtiments agricoles. À l’époque, je n’avais aucune arrière-pensée sur ce que c’est en train de devenir. Je travaillais beaucoup en Russie et je venais ici pour les fêtes. Il a fallu plus de quatre ans de réhabilitation végétale pour obtenir ce que vous voyez. »
Ce que l’on voit, c’est un havre de verdure doté d’une grande salle d’exposition de 1 300 m2, de six ateliers d’artistes, de bureaux, de salons, d’une piscine et de 12 lieux de résidence, pour les artistes et pour les employés de la Fondation Montresso qui les accueillent.
« Le lieu a été occupé pour la première fois par des plasticiens en 2009, poursuit Haguenauer. De jeunes Russes que j’avais invités à passer leurs vacances dans une petite ferme en pisé. Cet événement a donné naissance à Jardin rouge. »
Bonne affaires
Il faut dire que ce passionné d’art – il récuse le terme « graffiti » – a une longue histoire avec la création. Ayant lui-même quitté à 14 ans le giron familial, il fut très tôt soutenu par un libraire proche du poète français René Char et des nombreux artistes qui naviguaient autour de lui dans le sud de la France. « J’ai fréquenté un monde très différent de ce que je connaissais et, dès que j’ai commencé à bien gagner ma vie, je me suis intéressé aux créateurs. Mes seules dépenses dans la vie sont liées à mes relations avec les artistes et l’art. »
Bien gagner sa vie, voilà qui relève de l’euphémisme : l’homme fonde sa première entreprise au bord de l’étang de Berre dans la récupération des matières plastiques en 1974 (Serviplast), puis propose diverses prestations aux producteurs de plastique (Prestaplast) jusqu’au début des années 1980. Commence ensuite une longue aventure avec la Russie, dans le même domaine : avec Sofraplast, il crée en 1986 la première société mixte franco-soviétique.
« Au gré du vent, j’ai fait toutes sortes de choses, élude-t-il gentiment. J’ai eu la chance d’avoir des amis plus intelligents que moi qui m’ont permis de profiter des bonnes occasions au bon moment. » Ce que l’on saisit, c’est que cet homme, qui parle russe couramment mais peut aussi disserter longuement sur la politique camerounaise, a su se rendre indispensable dans les relations qui se nouaient alors entre les entreprises russes et françaises. Et s’il est à la retraite depuis deux ans, il a gardé des parts ici et des contacts là qui lui permettent de financer la Fondation Montresso (de droit suisse) et Jardin rouge (de droit marocain).
Cette « retraite active » au pied de l’Atlas, c’est ce qui explique l’ampleur prise par le lieu ces derniers mois. Enfin Jean-Louis Haguenauer peut se consacrer à la passion de sa vie. « Je me suis toujours intéressé au street art, dit-il. En URSS, j’ai découvert toutes les fresques urbaines de propagande à la gloire du peuple et de ses dirigeants. L’affiche y véhiculait la bonne parole politique tandis que chez nous, l’art urbain est la plupart du temps l’expression d’une contestation. » Depuis longtemps, Haguenauer aide et collectionne. Il a commencé entre L’Isle-sur-la-Sorgue et Cavaillon, avec les peintres Michel Ulrich et Philippe Garouste de Clauzade, avant de s’intéresser à des graffeurs russes comme Vitaly Rusakov et Vitaly Tsarenkov, alias « Sy ».
Un appui pour les street-artistes
Considérant que « la rue a été une école », l’homme d’affaires se montre généreux envers les créateurs qui en viennent. « Au départ, c’est une passion, un hobby, un passe-temps, affirme-t-il. Puis l’idée de ce lieu s’est construite au fur et à mesure des rencontres. Il n’y avait pas de concept jusqu’à il y a deux ans, il s’est développé de lui-même. Les artistes sont bien ici, ils reviennent. Du coup, Jardin rouge a pris une importance considérable, et la question se pose de savoir comment le rendre pérenne. »
Pour la plupart issus de la mouvance du street art, les artistes se signalent sur les murs et dans les ateliers par des tags, des toiles et des graffs : FenX, Poes, Reso, Kouka, Hendrik Beikirch, Markus Genesius, Tilt, JonOne, Cédrix Crespel, Daze, Omar Mahfoudi, la liste n’en finit pas…
« C’est un lieu de recherche, on vient pour étoffer le travail qu’on a l’habitude de faire, confie le graffeur toulousain Reso tout en préparant la toile de jute qui servira de support à ses créations. On y fait des rencontres qui donnent lieu à des collaborations et à des amitiés. Estelle et Jean-Louis apportent un vrai regard d’expert et de collectionneur. Cette critique est nécessaire. On ne peut pas l’attendre des gens qui vivent autour de nous. »
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