Pourquoi les marocains jurent tellement ?

img_0605Par Dr Jaouad Mabrouki

Je suis toujours surpris par le fait que le marocain jure par Dieu sans arrêt dans son discours. Il raconte un fait par exemple et conclut par « je te jure que je ne mens pas ». Si on lui demande s’il a vu quelqu’un, il répond par « je te jure par Dieu, je ne l’ai pas vu » alors qu’il pourrait répondre par « non je ne l’ai pas vu ». Si vous marchandez avec un commerçant, il va vous répliquer par « je te jure par Dieu, je le vends à perte ». Je constate donc que le marocain a tout le temps besoin de jurer par Dieu qu’il dit la vérité ou bien qu’il ne ment pas même dans les administrations où je suis surpris d’entendre un fonctionnaire dire « par Dieu je te jure que je n’ai pas le droit de faire ça ».
J’observe aussi un autre phénomène, lorsque le marocain, après avoir juré sur Dieu, n’arrive toujours pas à convaincre, il ose encore grimper dans ses jurements jusqu’à dire : « que Dieu me prive de mes enfants si je vous mens ! » C’est-à-dire qu’il jure sur la tête de ses enfants qu’il ne ment pas. Imaginez des enfants qui entendent leur père ou leur mère demandant leur mort s’ils ne disent pas la vérité ! Souvent les enfants savent bien s’il s’agit ou non d’un mensonge. Quel traumatisme peuvent-ils vivre alors?

Mais pourquoi le marocain a-t-il recours au jurement par Dieu pour un oui ou pour un non du matin au soir ?

Même quand il raconte une histoire qui lui est arrivée, il finit par : « par Dieu c’est ce qui est arrivé ! Mais il faut savoir aussi que celui qui écoute l’histoire intervient avec cette fameuse phrase « guoul wallah » c’est-à-dire « jures le par Dieu ».
L’équation est facile à résoudre, et il n’ya pas besoin d’être un analyste pour constater que dans notre culture le marocain est considéré comme un menteur jusqu’à preuve du contraire et lui-même est convaincu que l’autre ne le croit pas, d’où le besoin de jurer par Dieu pour prouver qu’il dit vrai et pour qu’on le croit.

La problématique du marocain de jurer par Dieu toutes les minutes se situe à deux niveaux :

1- La peur de ne pas être aimé ou la peur d’être rejeté ou bien encore que son image sociale soit salie. Ceci nous amène à supposer que le marocain a une image négative de lui-même, se dévalorise et se sous-estime lui-même, manquant de confiance en lui tout en étant immature émotionnellement. Il recherche par tous les moyens d’avoir une bonne image de lui-même même s’il a commis un tort. D’ailleurs ce n’est jamais de sa faute s’il a fait quelque chose de mal, c’est toujours « le maktoub ou le destin » ou bien encore c’est « chaytane ou Satan » le responsable, ou bien « l’a’y’ne ou le mauvais œil » ou bien c’est « s’hour ou la sorcellerie » et jurant ainsi « wallah ma’a’arafte chnou addarliya, b’hal lat’e’mite, c’est-à-dire je jure par Dieu que je ne sais pas ce qui m’est arrivé on dirait qu’on m’a aveuglé ». Le marocain, même quand il est en tord n’est pas responsable, il est victime du mauvais œil ou de sorcellerie. Malheureusement le marocain n’a pas eu toute l’affection et l’amour dont il avait besoin enfant, il manque terriblement de confiance en lui et il veut être aimé par tout le monde, alors il jure par Dieu qu’il ne ment pas et qu’il n’est pour rien dans ces histoires conflictuelles. Le marocain est incapable d’assumer sa personne et ses actes mais aussi d’accepter qu’on le juge mal.

2- L’absence de la véracité dans l’éducation. Il s’agit d’un vrai drame dans notre culture. On n’apprend pas à l’enfant à dire la vérité, mais plutôt « à ne pas mentir ».

On entend souvent ces propos de la part des parents « ne me mens pas, sinon tu iras en enfer » ou bien « je n’aime pas le mensonge ». Les mots et les propos ont leur poids. A force de répéter ces phrases on finit par ancrer dans l’esprit de l’enfant le mot de « mensonge » et en se forçant à ne pas mentir il finit inconsciemment par mentir. Tous les propos négatifs sont mauvais dans la communication. Si les parents répètent « dis la vérité car c’est une vertu divine qui renforce les liens humains », le mot de « véracité » sera ancré dans l’esprit de l’enfant. Autre chose aussi, dans notre éducation on parle plus des conséquences du mensonge comme l’enfer après la mort, plutôt que faire éloge de la véracité et de son importance dans le bien être des relations humaines, sociales car cela consolide la confiance dans toutes les relations. Dans notre culture, c’est le contraire, tout le monde est supposé mentir et nous apprenons à l’enfant à se méfier.

L’enfant n’est pas bête, il sait aussi que tout le monde se méfie de lui y compris sa famille et pour lui tout le monde est menteur. En effet, lorsqu’un père ou une mère promet quelque chose à son enfant il jure par Dieu, or souvent la promesse ne s’accomplit pas et le parent pourra encore jurer par Dieu pour se justifier.

L’enfant prend le parent, l’être en qui il a le plus confiance pour un menteur. Sans oublier que l’enfant voit de ses propres yeux et entend de ses propres oreilles les mensonges de ses parents avec la famille et je n’ai pas besoin de donner d’exemples pour illustrer mon propos…
Dans les deux cas l’éducation marocaine est la responsable de ce phénomène de manière dramatique.

Allons-nous continuer ainsi à être l’usine d’une société où règnent le mensonge et la méfiance ? Comment allons-nous pouvoir bâtir une société basée sur la véracité, la sincérité et l’honnêteté si nous ne bannissons pas cette éducation à milles masques ?

Qu’y-a-t-il de difficile à enseigner à l’enfant la véracité afin qu’elle soit la devise spirituelle de les relations familiales et sociales ?