Le Canada aura rarement autant fait parler de lui que depuis l’élection de Justin Trudeau, voilà un an. Il y a, bien sûr, ce Premier ministre photogénique qui multiplie les coups de com. Mais il y a surtout le choix d’une approche résolument ouverte et tolérante, tout particulièrement concernant l’accueil des réfugiés, A l’heure où les mouvements nationalistes ont le vent en poupe, le Canada incarne une autre voie et un modèle de vivre-ensemble.
Au Canada, Donald Trump fait figure de plaisanterie. Bon nombre des mesures qu’il a proposées – faire payer au Mexique la construction d’un mur gigantesque, interdire aux musulmans d’entrer aux États-Unis, institutionnaliser le recours à la torture – seraient impossibles à mettre en œuvre. Mais le phénomène Trump n’est plus vraiment une plaisanterie si l’on considère qu’une telle xénophobie a le vent en poupe dans de nombreux pays du monde.
Le Donald Trump brésilien est un présidentiable de 61 ans, nommé Jair Bolsonaro. Comme Trump, il écarte d’une boutade la torture perpétrée contre les ennemis de l’État. Et comme Trump, il a la phobie des migrants, voyant dans ces nouveaux arrivants comme « la lie de la terre ». Le Trump philippin a déjà conquis la présidence. Rodrigo Duterte a déclaré qu’il avait des tendances dictatoriales. Comme Bolsonaro, il est ouvertement homophobe et plaisante sur le viol. Il se pose en défenseur de l’homme de la rue qui en a marre du système.
Duterte, Bolsonaro et Trump ont des parcours et des programmes différents, qui cadrent avec leurs différentes sociétés. Mais pour l’essentiel, l’accroche est la même: « Je suis là pour faire voler en éclats la classe politique traditionnelle. Je ne dois rien à personne, et je le prouve en tenant des propos qui choquent l’élite politique, les gens instruits. Je vais éliminer les menaces qui pèsent sur vous en utilisant des méthodes que les autres candidats sont trop faibles pour envisager. »
+Supériorité+
Ces populistes promettent aux électeurs qu’ils vont faire revenir la société à un état plus noble, plus authentique, plus discipliné, plus travailleur, telle qu’elle était autrefois.
Les exemples de Recep Tayyip Erdogan en Turquie et de Vladimir poutine en Russie montrent que des sociétés en cours de démocratisation peuvent être ramenées à l’autocratie par des hommes forts, charismatiques, qui détournent l’agitation populaire vers des menaces extérieures. Même les vieilles démocraties ne sont pas à l’abri du danger. Le prochain président autrichien pourrait être Norbert Hofer, du Parti de la liberté, une formation anti-immigrés. Des mouvements anti-immigrés analogues dictent le calendrier politique en pologne, en Hongrie, en France, en Allemagne et même au Royaume-Uni. Dans tous les cas, ces populistes prônent un retour à des valeurs ancrées dans la culture nationale et entendent faire barrage à la mondialisation.
Et le Canada dans tout cela? Chaque fois que j’ai envie d’écrire un article sur notre supériorité morale, je me réfrène. Pourtant, dans ce domaine, le Canada fait vraiment figure d’exception. Il n’y a pas de grand parti anti immigrés au Canada, pas plus que de grand média anti-immigrés. L’une des pires erreurs du gouvernement de Stephen Harper est de s’être montré insensible au sort des réfugiés lors de la crise des migrants de 2015. Quand Justin Trudeau a été élu, il a accueilli personnellement des réfugiés à l’aéroport – un coup de maître qui aurait été perçu comme un suicide politique dans de nombreux autres pays. De même, aucun des grands partis canadiens ne prône une importante remise en cause du libre jeu des forces du marché ou des investissements étrangers. Nous sommes peut-être le seul pays du monde où la classe politique et les médias ont fait unanimement la paix avec la mondialisation.
Et à supposer que le Canada soit passé par une phase Donald Trump, on peut dire qu’elle est déjà derrière nous. Les conservateurs de Stephen Harper ont fustigé le niqab et les ONG financées par l’étranger et ils ont encouragé un patriotisme à l’ancienne autour de la guerre de 1812. Mais cela n’a jamais eu de succès en tant que stratégie politique à long terme parmi les moins de 50 ans. En définitive, les Canadiens n’avaient pas de réelle appétence pour une telle politique.
+Pourquoi donc?+
Premièrement, nos politiques d’immigration – qui mettent l’accent sur les compétences professionnelles – encouragent une assimilation plus rapide dans la société canadienne qu’en Europe, où souvent les migrants se morfondent dans des ghettos. Deuxièmement, contrairement aux pays d’Europe, nous sommes une destination trop lointaine pour les réfugiés musulmans, si bien que nous serons toujours moins sujets à la crainte de voir notre société « assiégée » par des hordes de migrants. Et troisièmement, à la différence des États-Unis, nous ne sommes plus une société chrétienne frileuse _ si bien que l’idée que des nouveaux arrivants puissent changer la composition religieuse du Canada ne donne pas lieu à une rhétorique apocalyptique sur la « charia rampante » et ainsi de suite. Enfin, force est de reconnaître que peu de pays ont autant bénéficié du libre-échange que le Canada durant les vingt dernières années.
On peut aussi admettre un cinquième facteur : si loin que n’importe lequel d’entre nous se souvienne, les Canadiens aiment à se définir, du moins en partie, par opposition à l’identité américaine. Ainsi, à mesure que les États-Unis deviennent le pays de la peur, nous devenons le pays de l’espoir.
Tout cela contribue peut-être à expliquer pourquoi la xénophobie de Trump nous inspire une telle ironie, même si le problème planétaire qu’il représente est réel et inquiétant. Le phénomène Trump vient nous rappeler qu’au moins à cet égard, nous autres Canadiens avons créé une société plus tolérante, pluraliste, accueillante, équilibrée que les États-Unis (et que le reste du monde).
Affirmer notre supériorité morale peut passer pour quelque chose d’indigne et même d’odieux de la part d’un analyste canadien. Mais de temps en temps, notre pays mérite de recevoir quelques applaudissements.
Source : Courrier International
Article19.ma