‘Labyrinthe’: Un ancien jihadiste mauritanien filme l’histoire de sa vie

Une jeune recrue terroriste a réalisé un film racontant son endoctrinement par les islamistes radicaux, son expérience jihadiste, son emprisonnement et son renoncement final au takfir.

Comme beaucoup de jeunes de 17 ans, Mohamed Ould Sid Ahmed passait son temps libre à surfer sur le web. Mais il ouvrit une porte sur le monde des recruteurs extrémistes et fut bientôt connu des jihadistes sous le nom d’emprunt de Mohamed Atta Chinguiti.

Il finit par atterrir en prison, où il remit en cause ses convictions. Après sa libération, il reprit ses études, se maria et se mit à réfléchir à la manière dont il pourrait dissuader les autres jeunes d’emprunter la voie dangereuse qu’il avait choisie.

Aujourd’hui âgé de 32 ans, il a trouvé sa chance auprès de la Maison des cinéastes, qui l’a aidé à réaliser un film, « Labyrinthe », dans lequel il raconte ses années d’adolescence en compagnie des takfiristes.

Magharebia a rencontré Ould Sid Ahmed dans la capitale mauritanienne pour en apprendre plus sur son étonnante histoire.

Magharebia : Votre film, « Labyrinthe », parle du recrutement des jeunes par les groupes jihadistes. Est-ce l’histoire de votre vie ?

Mohamed Ould Sid Ahmed : L’histoire de ce film est tirée de mon expérience personnelle entre fin 1999 et début 2004. J’y parle de mes amis d’enfance, de l’exploitation des jeunes et des labyrinthes dans lesquels ils pénètrent en s’affiliant à des groupes qui savent parfaitement exploiter leur penchant pour l’idéologie jihadiste…

J’ai voulu décrire mon expérience de jeune passionné par l’internet et jeté par le destin au carrefour de la pauvreté, de la souffrance et de la marginalisation…

Magharebia : Comment les groupes islamiques radicaux vous ont-ils recruté sur l’internet ?

Ould Sid Ahmed : …Ils l’ont fait par le biais d’une personne qui se faisait appeler sous un pseudonyme, al-Battar al-Suri, qui était présent sur certains forums internet… J’avais pris l’habitude d’écrire personnellement pour ces sites web et ces forums sur des sujets comme le jihad. Cela m’avais permis de découvrir que j’avais quelques compétences en matière d’analyse. En communiquant avec al-Battar al-Suri, j’ai commencé à m’entretenir avec d’autres, découvrant seulement par la suite qu’ils entretenaient des relations avec des groupes jihadistes.

Magharebia : Qu’est-ce qui vous avait attiré vers ces forums au départ ?

Ould Sid Ahmed : Au départ, ces forums étaient pour moi un passe-temps. A l’époque, j’étais tellement impressionné par l’internet que je vivais une sorte de réalité virtuelle comme s’il s’agissait de la réalité quotidienne. Je me retrouvais sur ces sites web, et la compagnie de ces gens me relaxait psychologiquement.

Mais je vivais dans une situation économique et psychologique difficile. Je m’étais retrouvé à moins de 17 ans à devoir subvenir aux besoins de ma famille, parce que mon père m’avait abandonné quand j’étais très jeune et m’avait laissé face à la pauvreté et aux privations émotionnelles, matérielles et psychologiques. C’est un complexe qui me hante encore aujourd’hui.

Magharebia : Ce sont les recruteurs qui vous ont cherché, ou vous-même qui êtes parti à leur recherche ?

Ould Sid Ahmed : …J’ai reçu un message de quelqu’un qui semblait avoir trouvé en moi une magnifique recrue et qui a tiré avantage de mes émotions religieuses.

Je me suis aperçu par la suite que j’avais été dupé, ce qui m’a fait perdre confiance dans les gens. Cela m’a également poussé à abandonner cette voie dangereuse ; ma mère avait assez souffert, et j’ai donc décidé de ne pas la faire souffrir davantage à cause de moi…

Magharebia : Comment al-Suri vous a-t-il recruté ?

Ould Sid Ahmed : Il avait pour habitude de jouer avec mes sentiments religieux et d’utiliser certaines phrases pour susciter mon enthousiasme, comme Dieu est grand, Dieu est grand. Il me parlait de l’Islam et du jihad mondial, et publiait des vidéos d’attentats perpétrés par des groupes jihadistes, me demandant de les commenter. Il publiait également des sermons…

J’étais comme tous les autres activistes sur ces forums, réagissant avec un grand enthousiasme parce que je ne comprenais pas la portée de ces questions.

Je ne savais pas que je faisais partie d’un projet terroriste.

Magharebia : Quel était votre rôle ?

Ould Sid Ahmed : …Mes activités se limitaient à l’internet, à concevoir des sites web et à publier des contenus jihadistes, jusqu’à mon arrestation… En 2004, j’ai été transféré à Nouakchott, où j’ai été détenu pendant plusieurs mois…

Cette arrestation m’a permis de comprendre le danger du chemin sur lequel je m’étais engagé et de prendre conscience que j’avais été la victime de groupes qui trompent les jeunes. En grandissant, j’ai commencé à faire la distinction entre le bien et le mal. Avant cela, je vivais dans des conditions très difficiles et souffrais de l’ignorance, parce que j’avais abandonné l’école quand j’avais douze ans. J’avais accepté tout un tas de petits boulots très simples pour permettre à ma mère de vivre.

Par la suite, j’ai repris l’école et ai consacré mon temps à mon développement personnel, et mes idées ont changé. Je n’étais plus cette personne qui avait vécu dans tous ces labyrinthes.

Magharebia : Lorsque vous avez été arrêté, quelqu’un vous a-t-il aidé ?

Ould Sid Ahmed : Dès mon arrestation, tous ceux qui avaient tenté de me recruter disparurent subitement. Personne n’essaya de m’aider, en engageant un avocat pour me défendre ou en m’apportant un quelconque soutien. Personne n’est venu m’aider. C’est là où j’ai vu que je m’étais aventuré dans un véritable labyrinthe.

Magharebia : Comment étiez-vous à 17 ans ?

Ould Sid Ahmed : …A l’époque, je vivais en total isolement, et je me sentais très seul. L’image que j’avais du monde était sombre, et j’avais le sentiment que toutes les portes étaient fermées. Je ne me retrouvais pas dans la société ; j’avais frappé à toutes les portes, aucune ne s’était ouverte. Je me disais qu’il n’y avait aucun espoir de vie décente.

Magharebia : Quelle personne êtes-vous devenue aujourd’hui ?

Ould Sid Ahmed : Aujourd’hui, je suis simplement un Musulman ; j’ai de nombreuses responsabilités et je planifie mon avenir, qui est plus important pour moi que les idéologies…

Magharebia : Que diriez-vous au jeune Mohamed de 17 ans, ou à un autre jeune comme vous ?

Ould Sid Ahmed : Il est préférable de poser les questions aux imams et aux érudits, plutôt que de rechercher des interprétations sur des forums en ligne ou d’écouter ce qu’affirment les extrémistes, qui ont leur propre agenda.

Je dis aux gens simples comme moi de ne pas s’engager sur un chemin qui mène à la mort, comme cela a été mon cas. Quiconque choisit la voie de l’Islam doit marcher dans la bonne direction et, grâce à mon expérience personnelle, je peux expliquer à de nombreux jeunes qu’il convient d’éviter les nombreux pièges, parce qu’ils risquent d’être les victimes de ceux qui veulent les tromper.

Je conseille aux jeunes de se demander pourquoi ces groupes veulent les recruter. Ils doivent se poser ces questions avant d’accepter ce qui leur est dit sans y réfléchir.

Si les groupes jihadistes affirment que le Coran exige de tuer les infidèles, les jeunes doivent consulter les imams modérés… et ne pas agir en fonction de ce que disent ces groupes takfiristes.

Magharebia : Pensez-vous que le chômage pousse certains jeunes à l’activisme ?

Ould Sid Ahmed : Certainement. Par exemple, je suis un homme marié qui vit de l’aide de certains proches, parce que je n’ai pas de travail. Je suis encore étudiant à l’université, et nombre de jeunes sont dans une situation semblable.

De tels cas présentent des risques potentiels qui ne doivent être ni oubliés, ni négligés, et il convient de les protéger contre toute exploitation ayant une finalité négative. Alors qu’ils sont une force qui pourrait être utilisée pour défendre la nation, personne ne leur prête attention.

Magharebia : Pourquoi certains jeunes sont-ils attirés par des groupes comme Daesh ou al-Qaida ?

Ould Sid Ahmed : …Lorsque les jeunes vivent dans des situations adéquates et selon des principes corrects, personne ne peut les influencer ou les contrôler. Mais tant que les jeunes défavorisés ne seront pas en mesure d’assurer leur vie quotidienne et verront d’autres personnes vivre correctement, cela pourra les inciter à faire quelque chose.

J’estime que rien ne justifie le fait de rejoindre les groupes jihadistes. Les jeunes doivent en prendre conscience et travailler dur pour changer leur réalité.

Ils doivent terminer leurs études et rejoindre la société civile, peut-être même s’intéresser à la politique. C’est ainsi que nous pourrons changer notre réalité – pas en rejoignant des groupes terroristes.

Magharebia