Et si la situation de l’endettement de l’Etat était bien plus grave que ne le laissaient apparaître les comptes publics? Le lièvre a été levé par le président de la Cour des comptes devant les élus de la nation.
Dans son diagnostic et à mots à peine couverts, Driss Jettou s’inquiétait de l’état des finances publiques en mettant un accent particulier sur la dette telle qu’elle ressort du projet de loi d’exécution de la loi de finances 2013. Première grosse surprise: ni les crédits structurels de la TVA estimés à 25,5 milliards de dirhams par la Cour des Comptes, ni les impayés des fournisseurs ou le montant de déficit de la Caisse marocaine des retraites ne figurent dans la colonne de la dette. Nulle trace non plus de garanties que le Trésor accorde aux gros créanciers de certaines grandes entreprises publiques et qui devraient être inscrites dans la dette. Le président de la Cour des comptes s’est ému de ces omissions qui dénaturent de fait la sincérité de la situation des finances publiques.
Pour l’exercice examiné par la Cour des comptes (2013), la dette publique s’élevait officiellement à 554,3 milliards de DH. Ce qui correspond à 63,5% du PIB. Mais en intégrant les éléments «hors bilan», le niveau d’endettement public serait plus haut. Le projet de loi sur l’exécution du budget 2013 ne comporte pas non plus la moindre indication sur la dette intérieure à court terme (moins de deux ans) qui génère pourtant des intérêts de 5,75 milliards de DH par an. Ce qui est certain, c’est que les observations de la Cour des comptes sont une pierre jetée dans le jardin du ministère des Finances dont le silence depuis l’intervention de Driss Jettou au Parlement en dit long sur l’embarras qui règne dans ses services. Elles mettent à mal le discours triomphaliste sur la réduction du déficit budgétaire. Ces omissions, volontaires ou pas, faussent le niveau du déficit. Si l’on en est passé de 7,2% en 2012 à 4,3% fin 2015, la dette du Trésor elle a continué d’augmenter au cours des deux dernières années. Elle est passée à 626,6 milliards de DH contre 584,2 milliards de DH à fin 2014. Une hausse de 42,4 milliards de DH souscrite sur les marchés financiers internes.
La Cour des comptes relève une accumulation anormale des arriérés de TVA sur les entreprises et les établissements publics. Au total, 25,5 milliards de DH en 2015, butoir compris (nndlr: ces crédits structurels nés de différentiels de taux en amont et en aval dans un secteur et pour lesquels le gouvernement avait entamé un processus d’apurement depuis deux ans). Ces crédits structurels de TVA représentent la moitié des recettes annuelles de cette taxe et plus de deux ans et demi de la paie des fonctionnaires! Ils sont essentiellement concentrés sur les grandes entreprises publiques -OCP, ADM, ONEE, ONCF, RAM- au point de les mettre en péril. Ces créances que ces entreprises détiennent sur le Trésor doivent être considérées comme une dette, estime la Cour des comptes.
Pour pallier les graves difficultés de trésorerie qu’entraînent ces crédits de TVA sur ses grandes entreprises, le Trésor a autorisé l’ONEE et l’ONCF d’utiliser la créance sur le Trésor comme garantie pour lever de l’argent sur le marché obligataire à des taux bonifiés. Pour absorber son énorme butoir de TVA, l’ONCF a par ailleurs obtenu une augmentation de TVA sur les billets du train à 20% contre 14 auparavant. La Cour des comptes presse le gouvernement à régler le problème des arriérés accumulés par les académies régionales de l’Education nationale du fait de leur double impact sur le déficit budgétaire et le niveau de la dette publique. Mais aussi sur leurs fournisseurs dont plusieurs étaient menacés de faillite. Les coupes budgétaires de l’ordre de 8,9 milliards de DH opérées par le gouvernement fin 2015 ont considérablement réduit la capacité des AREF à honorer leurs engagements envers leurs fournisseurs.
L’autre ardoise qui devrait normalement figurer dans les comptes de l’Etat concerne le déficit de la CMR: 936 millions de DH en 2014, 2,8 milliards de DH en 2015 et 6,8 milliards attendus cette année. Soit un total de 10,6 milliards de DH sur trois ans. Il s’agit là encore d’une dette publique qui devrait être comptabilisée, relève le président de la Cour des comptes.
Le projet de réforme introduit dans les circuits d’adoption est incontournable, mais reste insuffisant pour régler le problème du déficit de la retraite. En effet, seul le système civil de la retraite est concerné par la réforme. Par ailleurs, la réforme paramétrique permettra seulement de réduire le déficit puisque les cotisations seront toujours insuffisantes pour couvrir les engagements et payer les retraites. Par conséquent, le déficit persistera et devrait même s’inscrire dans une tendance haussière au cours des prochaines années. En effet, selon les estimations, le gap de la CMR pourrait baisser de 6,8 milliards de DH pour atteindre 3,2 milliards de DH en 2017 grâce à la mise en œuvre de la réforme, avant de repartir à la hausse en 2020 pour s’élever à 4,1 milliards de DH. Le pire reste attendu avec la possibilité que la CMR épuise ses réserves à compter de 2028. La situation des caisses de retraite publiques a été sérieusement aggravée à cause des départs anticipés à la retraite.
Sur le même chapitre, Driss Jettou attire l’attention du gouvernement sur la situation de la retraite interne de l’ONEE. En 2015, le montant des engagements de la caisse s’est élevé à 19,7 milliards de DH. La Cour des comptes recommande l’externalisation de la retraite à l’instar du schéma adopté par l’OCP en adhérant au RCAR. Mais il faut trouver du financement. S’il faut faire appel au marché (c’est la seule voie réaliste), les créanciers exigeront la garantie du Trésor. Sur le plan comptable, la dette publique sera augmentée à hauteur du montant du cash que lèvera l’«électricien public» sur le marché.
Des entités publiques sous perfusion
Dans son portefeuille, le Trésor compte 212 établissements et 44 entreprises publiques, bénéficiant de transferts du budget général de l’Etat. Ces entités génèrent un chiffre d’affaires de 198 milliards de DH, un volume d’investissements de 76,5 milliards de DH et 72,7 milliards de DH de valeur ajoutée.
La Cour des comptes indique que ces établissements restent dépendants des financements publics, qui ont atteint 34,1 milliards de DH en 2014, dont 3,6 milliards sous forme de recette de taxes parafiscales. Dans le même temps, les transferts provenant de ces entreprises et établissements publics n’étaient que de 9,8 milliards de DH. L’essentiel est concentré entre l’OCP, la CDG, Maroc Telecom, l’Agence de la conservation foncière et l’ONDA.
La plupart de ces institutions sont dans une phase de restructuration (ONEE, RAM) ou d’investissements intensifs (ONCF) ou sont impliquées dans la mise en œuvre des stratégies sectorielles telles que la CDG. Elles sont également endettées puisqu’en 2015, elles totalisent une dette consolidée de 245,8 milliards de DH. Soit le quart du PIB. Au cours des cinq dernières années, cette dette a enregistré un rythme de progression soutenue puisqu’elle a augmenté en moyenne de 64,4%.
L’endettement de ces institutions est attribué en partie aux arriérés de TVA. L’on estime la dette contractée pour faire face à ces impayés de TVA à 3,6 milliards de DH pour la période 2010-2015 et à 1 milliard de DH pour la seule année 2015.
La Cour des comptes recommande au gouvernement de régler de manière progressive la question de l’endettement des entreprises et des établissements publics car elle impacte négativement les finances publiques.
La plupart des ministères de tutelle n’ont aucune visibilité sur leurs entreprises et établissements. Cela s’est vérifié à plusieurs reprises, notamment avec l’ONDA, l’ONEE, Royal Air Maroc…, dont les conseils d’administration sont pourtant présidés par des ministres. La Cour des comptes recommande le recours à des contrats-programmes pour avoir une meilleure gouvernance de ces institutions.
Source: L’économiste
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