Le Maroc enterre trente ans d’arabisation pour retourner au français

Le 1er décembre 2015, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, apprend que le ministre de l’éducation nationale, Rachid Belmokhtar, un proche du palais, avait présenté au cabinet royal un important programme visant à « franciser » l’enseignement des mathématiques, des sciences naturelles et des sciences physiques. Ce projet, qui prévoit aussi l’enseignement du français dès la première année du primaire au lieu de la troisième actuellement, a été préparé en catimini et présenté par le ministre au roi sans que Benkirane en soit informé.

Celui-ci est hors de lui et devant les députés médusés, il ne mâche pas ses mots en s’adressant à son ministre de l’éducation : « Tu t’es attelé à l’introduction du français, mais alors le feu va prendre ! Cela, c’est le chef du gouvernement qui l’estime et l’évalue… C’est pour cela que quand sa majesté le roi a décidé un jour de choisir un chef du gouvernement, il n’a pas désigné Belmokhtar, il a choisi Benkirane… S’il voulait Belmokhtar, il l’aurait pris, il le connaît avant moi. Il m’a désigné moi pour que ce soit moi qui décide… et c’est pour cela que je [t’ai] adressé une lettre pour [te] dire que cette décision de franciser ces matières, il faut que [tu] l’ajournes afin que nous y réfléchissions parce que moi je n’étais pas au courant et que [tu] n’y as pas accordé d’importance. »

Mais rien n’y fait. Le 10 février, l’enterrement de l’arabisation de l’enseignement est validé lors du dernier conseil des ministres présidé par le roi à Lâayoune, chef-lieu du Sahara occidental. La bataille pour la mise à l’écart de ce projet paraît définitivement perdue pour les islamistes qui dirigent l’actuel gouvernement, se réjouissent les partisans du retour à la langue de Molière dans les écoles et les lycées.

« Arabisation et islamisation vont de pair »

« Pour eux [les islamistes], arabisation et islamisation vont de pair car la langue est liée à la pensée », se félicite Ahmed Assid, un professeur de philosophie aux positions laïques. « Ce retour aurait dû se faire depuis longtemps. Nous avons perdu trente ans à cause de petits calculs idéologiques. Avant d’arabiser, l’Etat marocain aurait dû d’abord réformer la langue arabe dont le lexique et les structures n’ont pas varié depuis la période préislamique », ajoute-t-il.

C’est dans le début des années 1980, avec l’arrivée au gouvernement du parti conservateur de l’Istiqlal, que l’arabisation de l’enseignement public a été mise en place avec la bénédiction implicite du roi Hassan II (1961-1999). Renforcer les conservateurs et les islamistes au détriment de la gauche marocaine (moins enthousiaste à l’égard de l’arabisation) était un objectif majeur du palais.

« A partir des années 1960, le Maroc a commencé à “importer” des enseignants d’Egypte et de Syrie afin de conduire le processus d’arabisation. C’est à cette époque que le wahhabisme et la pensée des Frères musulmans se sont progressivement introduits dans le royaume », souligne l’historien Pierre Vermeren. Plus de seize ans après la mort d’Hassan II, la réforme de l’éducation n’a toujours pas eu lieu alors que l’enseignement privé ne cesse de s’amplifier au détriment de l’école publique : de 9 % en 2009, la part des élèves scolarisés dans le privé est passée à 15 % en 2015, selon Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, un centre de recherches sur les inégalités dans l’accès à l’éducation.

« Inutile et contreproductif »

Ouvertement hostiles au projet, les islamistes du PJD adoptent pour l’instant un profil bas. « Franciser notre enseignement n’est pas la meilleure solution, mais nous n’allons pas entrer en conflit avec la monarchie. C’est inutile et contreproductif. Ce projet montre à quel point le lobby francophone est encore puissant et à quel point notre pays dépend de la France », commente, désabusé, un député du PJD qui a préféré garder l’anonymat.

Selon les derniers chiffres officiels, le réseau des établissements scolaires d’enseignement français au Maroc est tout simplement le plus dense au monde avec, à la rentrée de 2015, plus de 32 000 élèves dont plus de 60 % de Marocains. Ces établissements (près de vingt-cinq aujourd’hui) couvrent les principales villes du royaume. Seuls les Marocains les plus aisés ont les moyens d’y inscrire leurs rejetons.

Lemonde / Article19.ma

2 Commentaires

  1. L’Arabe n’a pas de place au Maroc. Après plus de 30 ans de gaspillage on retourne au XXIe siècle pour rattraper. Au Maroc il n’y a pas d’Arabe sauf des marocains de toutes origines et dans la langue nationale dominante et l’Amazigh suivit du Français, de l’Anglais et de l’Espagnole, avec des études religieuses en Arabe et en Français. La langue arabe comme toute notion du Nationalisme Arabe coloniale ne sont plus valables. L’Arabie Saoudite est le seul pays à se considérer arabe et l’arabe qui tue l’arabe au Yémen, en Iraq, en Syrie, au Liban, en Libye, au Soudan, en Tunisie, en Egypte et l’étau se resserre sur l’Algérie et le Maroc comme pour la Mauritanie. Le Sahel est plis arabe que le Maroc, mais pour le racisme arabe on les exclut de la Ligue Arabophone, que la France essaye à tout prix d’inclure tous les pays qui le souhaitaient à rejoindre les Pays Francophones. Déjà la Ligue Arabophone considère ses membres que pays où la langue arabe est partiellement utilisée et non une ethnie arabe, car l’Egypte, autre le mélange de la langue arabe avec d’autres, ne peut et ne veut se considérer comme un Pays arabe, autre la notion de politique…..

  2. Le, 22/02/16.
    Quel gâchis pour ce pauvre pays, provoqué par une série de ministres de l’Education Nationale depuis l’dépendance? L’Arabe n’est-elle pas reconnue dans la constitution comme langue nationale?Le Maroc n’est-il pas un pays musulman?
    Alors, pourquoi ce virement à cent degré?
    Pourquoi gaspillées trois ou quatre générations?
    Certes, je ne suis pas contre l’utilisation de la langue françaises pour des matières scientifiques?
    Mais, pourquoi prend-t-on la décision maintenant et qu’il fallait depuis l’indépendance choisir des gens compétents, fiers de leur identité pour assumer les responsabilités de tel ministère?
    Toutes nos politiques prises dans l’enseignement demeurent indécises et imprécises?
    Les dialectes auxquels certaines personnes leur donne l’importance,sont entrain d’engrainer la langue arabe et la défigurer?
    Attention? Ne jouant pas avec cette merveilleuse langue qui est l’Arabe?