DOSSIER 1-Ben Barka, 50 ans après sa disparition le mystère demeure entier

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Le 29 octobre 1965. Un demi-siècle presque, s’est écoulé depuis l’enlèvement de Mehdi Ben Barka devant la Brasserie Lip, en plein jour au coeur de Paris. Sa disparition dans des « circonstances mystérieuses », restera gravée dans la mémoire collective des marocains, à jamais.
Figure emblématique de l’opposition marocaine sous le règne de Hassan II et chef de file du camp tiers-mondiste (La Tri-Continentale), Ben Barka s’est transformé en cible mobile car, s’il était un opposant politique qui devait rentrer coûte que coûte au bercail, il était surtout ‘l’ennemi numéro 1’ de la CIA, du SDECE français et du Mossad israélien. Souvent on oublie ce fait capital car il y avait beaucoup d’intérêts stratégiques et économiques en jeu, en cette période post-coloniale…

Ceux qui ont approché Ben Barka pour l’éliminer, comme le Général Oufkir et le Colonel Dlimi (à cette époque), et les agents français Louis Souchon, Roger Voitot et Antoine Lopez, ont tous connu une mort tragique, comme si une malédiction les a poursuivis pour venger sa mort ici-bas…

L’équipe d’Article19.ma a préparé ce dossier en plusieurs volets, après avoir replongé dans les écrits de ces dernières 50 années afin de trouver « une réponse rationnelle » aux tenants et aboutissants de cette triste affaire… qui a fait couler et fait couler encore beaucoup de larmes et d’encre …

Les détails de la disparition du leader de l’UNFP et de son corps, sont encore « une affaire d’Etat » en France, aux USA et en Israel. Certains documents confidentiels qui pourraient un jour lever le voile sur « la vérité toute la vérité » tant attendue par la famille du disparu, restent malheureusement « inaccessibles et non-déclassifiables » pour des raisons obscures…

Toutefois une re-lecture des écrits, déclarations de témoins et des documents rendus publics depuis 1965/66 sont instructifs pour nous tous et surtout pour ceux qui n’ont pas vécu cette triste époque souvent décrite par les militants de la gauche marocaine par cette expression : « Les années de plomb… » En fait, le plomb a bien été au rendez-vous de nombreux opposants et libre-penseurs de l’époque

A la quête d’une vérité camouflée…

‘Il n’est pas question de traquer qui que ce soit. Le sort de ces gens m’importe peu et je me moque de ce qui pourrait leur arriver ! Ce qui m’intéresse, c’est qu’ils détiennent une part, sinon toute la vérité. Qu’ils nous disent ce qu’ils savent ! Nous ne sommes pas dans une logique de vengeance. La personnalité de la victime n’est pas banale. Ben Barka a joué un rôle dans l’histoire du Maroc, dans la tentative d’édification d’un pays indépendant et démocratique ainsi que dans la lutte des peuples. La moindre des choses, pou n’importe quel gouvernement digne de ce nom, est de tout faire pour établir la vérité par rapport à une famille, mais aussi par rapport à tout un pays‘. Extrait de l’interview de Bachir Barka (fils du défunt)

Moult productions écrites et cinématographiques ont mis la lumière sur l’affaire Ben Barka. Des versions différentes qui convergent toutes vers le même point : Ben Barka a été assassiné, et ses meurtriers gambadent toujours dans la nature. Ou pas. Un dicton rwandais rappelle que ‘ la vérité peut tarder, mais elle finit toujours par triompher’. Serait-ce le cas pour cette affaire politique? Ses arcanes seront-ils un jour dévoilés? ou ont-ils péris avec leurs détenteurs?
Des questions et bien d’autres que des milliers de personnages publiques, politiciens, avocats, écrivains et journalistes – entre autres, ont essayé de résoudre, en vain. L’énigme persiste.

***CHRONIQUE JUDICIAIRE 1966/67 (Le Journal de l’Année – France)***

Epilogue (après deux procès) de l’affaire Ben Barka

Le 5 juin 1967, l’affaire Ben Barka, qui avait passionné l’opinion française pendant 18 mois, trouvait, après deux procès, son épilogue judiciaire devant les Assises de la Seine. Un épilogue surprenant, puisque la plupart des accusés étaient acquittés, mais qui, pourtant, passa presque inaperçu. Car le jour même du verdict devait éclater le conflit entre Israël et les pays arabes, qui mobilisa ailleurs les passions politiques.

L’enlèvement

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L’affaire Ben Barka avait commencé le 29 octobre 1965, près du restaurant Lipp. Secrétaire général de l’UNFP (Union nationale des forces popu¬laires), ancien président de l’Assem¬blée, au Maroc, passé à l’opposition, condamné à mort par contumace dans son pays, Mehdi Ben Barka était une des chevilles ouvrières dans la lutte menée par le tiers monde contre l’impérialisme. Il s’apprêtait à collaborer au scénario d’un film intitulé Basta et qui avait cette lutte pour thème. C’est alors que, près du restaurant de Saint-Germain-des-Prés où il devait déjeuner avec des amis pour parler du film, il fut interpellé par deux hommes, qui, présentant une carte de policiers, le prièrent de monter à bord d’une voiture …
On ne devait plus jamais le revoir.
L’enquête sur ce rapt mystérieux ne commença qu’avec retard. L’ami qui accompagnait Ben Barka, un historien, Azzemouri, attendit un jour avant d’alerter un quotidien – le Monde – et, à travers lui, les services de police.
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Un climat lourd 
Enfin et surtout, il était apparu à la police (et l’accusation fut reprise par le général de Gaulle lui-même) que l’instigateur principal était le général Oufkir, ministre de l’Intérieur du roi du Maroc, qui, pour régler le sort de Ben Barka, à qui il vouait une haine farouche, était venu spécialement à Paris en même temps que son principal adjoint, le commandant Dlimi, chef de la Sûreté marocaine, et qu’un certain Chtouki.
En outre, pour alourdir le climat, tandis que se déroulait l’enquête, un des truands mêlés à l’affaire, Georges Figon, avait fait des révélations à la presse et avait été trouvé mort d’une balle dans la tête dans un studio du XVII’ arrondissement, où il se cachait. Il fut conclu au suicide – une conclusion que beaucoup trouvèrent scandaleuse, car ils pensèrent qu’on avait voulu réduire au silence un homme qui en savait long et qui était en relations avec un parlementaire UNR, M’ Lemarchand, et le commissaire Caille.
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Le premier procès 
Tels étaient, grossièrement (très grossièrement) résumés, les faits dont allaient avoir à connaître les jurés de la cour d’assises de la Seine lorsque, le 5 septembre 1966, s’ouvrit ce qui devait être le premier procès Ben Barka et qui allait durer près d’un mois et demi. Six accusés étaient présents. L’un était en liberté provisoire : Marcel Leroy, dit Leroy-Finville, ancien chef d’études au SDECE, qui utilisait Lopez, et à qui il était reproché d’avoir été mis au courant de l’enlèvement qui se tramait et de n’avoir pas alerté ses supérieurs hiérarchiques. Les cinq autres accusés étaient incarcérés et se trouvaient dans le box. C’étaient d’abord les policiers Souchon et Voitot, Lopez, un étudiant marocain du nom de El Mahi, qui avait notamment remis une importante somme d’argent aux truands qui avaient participé au rapt,’
et enfin le journaliste Philippe Bernier. Ce dernier était un des convives avec lesquels Ben Barka devait déjeuner chez Lipp le jour de sa disparition.
Divers points l’avaient fait soupçon¬ner d’avoir attiré Ben Barka dans un traquenard et d’avoir été un des cornpliees de l’enlèvement – ce dont il protesta toujours avec une véhémence d’autant plus grande qu’il était un ami personnel et un ami politique du leader de l’UNFP, et qu’il se voyait de Cil fait reprocher non seulement un crime, mais la plus lâche des trahisons.
Aux éclats de voix indignés de Ber¬nier, qui criait son innocence, devaient s’ajouter, au fil des audiences, les ré¬parties pittoresques de Lopez, qui avait choisi de jouer le rôle du titi bon enfant. Pour le reste, il y eut peu de pittoresque, mais un dossier volumineux, complexe, sur lequel se greffaient sans fin des interrogatoires, des contre- interrogatoires, des défilés de témoins …
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Le coup de théâtre 
On vit se succéder à la barre les plus hautes personnalités de la police, du préfet de police au chef de la Sûreté; on ouït les directeurs du SDECE; on entendit les réponses apportées par Georges Pompidou et Roger Frey à un questionnaire de la partie civile; on écouta les journalistes qui avaient recueilli les confidences du truand Figon avant sa mort.
Le réquisitoire avait été ‘prononcé, la plupart des plaidoiries aussi, et le président Perez comme les jurés pouvaient penser être arrivés au bout de leurs peines, quand, le 19 octobre, au seuil de la 37′ journée d’audience, se produisit un coup de théâtre.
Venant de Rabat, le commandant Dlimi arrivait à Paris pour se «mettre à la disposition de la justice française », alors que le Maroc, jusque-là, avait opposé une fin de non-recevoir aux demandes de la même justice française. La conséquence la plus immédiate était qu’un nouveau procès ¬reprenant ‘toute la procédure depuis le début – était rendu inévitable. Ainsi le veut la loi lorsqu’un nouvel accusé se présente avant la clôture des débats.
La Cour eut cependant pitié de deux des accusés : elle accorda le bénéfice de la liberté provisoire à Bernier et au policier Voitot, qui n’était que le subordonné du policier Souchon.
Le second procès 
Après une nouvelle instruction, le second procès s’ouvrit à Paris devant les mêmes juges, mais avec de nouveaux jurés, le 17 avril 1967. Les ré-
dites qu’il contiendrait fatalement devaient contribuer à atténuer I’intérêt que lui porterait l’opinion publique.
De plus, les débats ne pouvaient que perdre de leur virulence du fait de l’absence de la partie civile. En effet, une coïncidence effrayante avait voulu que trois des principaux avocats qui assumaient la partie civile étaient morts – tous trois terrassés par une crise cardiaque ou une congestion cérébraIe – en l’espace de dix semaines. M’ Pierre Stibbe s’était effondré en février, à Amiens, tandis qu’il défendait l’Algérien Mehyaoui, accusé du quadruple crime d’Origny-Sainte- Benoîte. Vingt-quatre heures après, le bâtonnier René-William Thorp s’écroulait en pleine audience de la deuxième chambre civile du tribunal de la Seine. En mars, ce fut au tour de Me Michel Bruguier de disparaître brutalement,
Les deux avocats survivants, mécontents qu’on refusât une remise du pro¬cès indispensable, à leur sentiment, pour permettre à la partie civile de se réorganiser, décidèrent de renoncer à leur tâche et de quitter la barre.
Ce fut naturellement sur Dlimi, le nouveau venu, que se concentra la curiosité. Quel allait être son système de défense? Il fut simple. Le chef de la Sûreté de Rabat affirma qu’il était totalement étranger à la disparition de Ben Barka. On l’entendit même dire: «Si je suis ici, c’est pour retrouver Ben Barka.» Il fournit, en outre, un emploi du temps détaillé des heures passées à Paris au moment du rapt appuyé par des témoignages contestés.
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N’avouez jamais!  
Tout cela n’arrangeait guère Lopez.
Si les jurés admettaient le point de vue de Dlimi, il ne restait plus que lui, Lopez, pour porter la principale responsabilité de l’enlèvement. N’avait-il pas reconnu, en effet, sa participation à l’interpellation du boulevard Saint-Germain?
Au cours des plaidoiries, les avocats de tous les accusés demandèrent l’acquittement. Ils furent largement suivis. Ahmed Dlimi, El Mahi, Voitot, Marcel Leroy-Finville et Philippe Bernier ob¬tinrent effectivement cet acquittement. Lopez et Souchon furent condamnés l’un à huit ans, l’autre à six ans de réclusion criminelle. Pour ces deux-là, les jurés n’avaient retenu qu’un seul chef d’accusation, l’arrestation illégale, qui ressortait d’ailleurs de leurs aveux.
«N’avouez jamais!» Plus que jamais, il est apparu que le conseil avait du bon. Mais, en même temps, ce résultat laissait pendante la question qui était à la base de toute
l’affaire : «Qu’est donc devenu Ben Barka? Qu’ont fait de lui ceux à qui il a été remis dans une villa de la région parisienne- et qui – bien que cela ne fut pas dit explicitement dans le procès – l’ont probablement assasiné? »
Si les obscurités et les mille méandres du dossier (sans compter la fatigue d’un mois et demi d’audiences) avaient contribué à dérouter les jurés (et entraîné leur verdict), les rnagistrats professionnels, pour leur part, n’étaient pas dupes. Ils le prouvèrent à leur facon, Ils étaient seuls à délibérer pour fixer le sort des accusés jugés par contumace. Ils condamnèrent sans hésitation à la peine maximale c’est-à- dire à la réclusion criminelle à perpétuité – le général Oufkir, le mystérieux policier Chtouki, et les truands, en fuite, Boucheseiche, Palisse, Dubail et Le Ny …
Au Maroc, on ne s’embarrassa pas trop de cet arrêt des juges qui contre¬disait le verdict des jurés. On ne retint que l’acquittement de Dlimi (promu lieutenant-colonel entre-temps). Son retour fut salué triomphalement. Les relations franco-marocaines étaient sauvées …
 
Le QUATRIEME PROCES DE KADDOUR MEHYAOUI 
 
Le r: juillet 1967, Kaddour Mehyaoui a été reconnu, pour la quatrième fois, coupable d’assassinat avec préméditation. La cour d’assises de la Somme l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il a bénéficié de circonstances atténuantes.
Le 9 octobre 1962, à Origny-Sainte-Benoîte, étaient découverts les cadavres de Lagente et de sa femme, pharmaciens, et ceux de Proisy et Prudhomme, préparateurs. Kaddour Mehyaoui, un ancien préparateur licencié – par La-gente, était immédiatement arrêté: des témoins l’avaient reconnu alors qu’il quittait le village le matin du crime. .
L’accusation, au début, reposait sur une preuve, l’empreinte d’un pas, qui se révéla être un faux fabriqué par l’officier de police Loise pour charger le suspect. L’Algérien, qui a toujours protesté de son innocence, mais que de nombreux témoignages accablent lourdement, a formé un nouveau pourvoi.
Le Destin d’un rebelle 
Extrait du film  » j’ai vu tuer Mehdi Ben Barka » de Serge Le Péron (2005)
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