Alors qu’un cessez-le-feu a été annoncé entre l’Iran, Israël et les États-Unis après onze jours de frappes aériennes d’une intensité sans précédent, l’avenir de la République islamique et de son guide suprême, Ali Khamenei, reste profondément incertain. Plus que le rapport de force militaire, c’est la dynamique interne du régime, entre résistance culturelle, fractures politiques et pression populaire, qui pourrait déterminer son avenir.
Dimanche, alors que les États-Unis venaient de bombarder trois sites nucléaires en Iran, le président iranien Masoud Pezeshkian rejoignait des milliers de manifestants sur la place Enghelab à Téhéran, brandissant des pancartes clamant : « Prêts pour la grande bataille » et « Vengeance, vengeance ». Certains affiches représentaient Donald Trump en vampire, tandis que d’autres affichaient un message plus poignant : « L’Iran est notre patrie, sa terre est notre honneur, et son drapeau sera notre linceul. »
Quelques heures plus tard, Donald Trump annonçait sur Truth Social qu’un « CESSEZ-LE-FEU COMPLET ET TOTAL » avait été conclu entre Téhéran et Tel-Aviv, tout en appelant l’Iran à « faire la paix ». Dans le même temps, il n’hésitait pas à écrire : « Ce n’est pas politiquement correct d’utiliser le terme ‘changement de régime’, mais si le régime iranien actuel est incapable de RENDRE SA GRANDEUR À L’IRAN, alors pourquoi pas ??? MIGA !!! »
De son côté, Israël s’est montré encore plus explicite. Le ministre de la Défense, Israel Katz, a qualifié l’ayatollah Khamenei de « Hitler moderne » et déclaré qu’il « ne peut pas continuer à exister ». L’armée israélienne a frappé deux cibles symboliques de la répression : l’entrée de la prison d’Evin et le siège du Basij, la milice paramilitaire des Gardiens de la révolution, tout en attaquant d’autres infrastructures de sécurité intérieure.
La réponse iranienne ne s’est pas fait attendre. Le Conseil suprême de sécurité nationale a revendiqué une série de tirs de missiles de courte et moyenne portée contre la base américaine d’Al-Udeid, au Qatar, indiquant avoir utilisé « exactement le même nombre de missiles que les États-Unis lors de leurs frappes ». Comme en 2020 après l’assassinat du général Qassem Soleimani, l’Iran a cependant pris soin de prévenir à l’avance de cette riposte, tandis que les forces américaines avaient déjà repositionné avions et navires.
Le régime de Khamenei face au dilemme de la survie
La question qui se pose désormais est celle de la survie même du régime. « Khamenei en tant que dirigeant pourrait ne pas survivre à cette guerre — soit parce qu’il serait éliminé, soit parce qu’un désastre militaire le contraindrait à quitter le pouvoir », analyse Ellie Geranmayeh, chercheuse au Conseil européen des relations internationales. Selon elle, le guide suprême n’acceptera jamais une reddition sans conditions : « Il préférerait tomber en martyr plutôt que d’être celui qui aura capitulé avec une arme sur la tempe. »
Arrivé au pouvoir presque par accident après la mort inattendue de l’ayatollah Khomeini en 1989, Khamenei, ancien religieux de second rang et président en 1981 après l’assassinat de son prédécesseur, a toujours manqué de base politique propre. Son autorité s’est consolidée uniquement grâce à son alliance avec l’appareil militaire, en particulier les Gardiens de la révolution, avec lesquels il forme depuis trois décennies un pacte de survie mutuelle.
Mais la solidité de la République islamique dépasse la seule personne de Khamenei. La Constitution iranienne, inspirée des systèmes français et belge, prévoit que si le guide suprême est destitué ou décède, ses fonctions sont temporairement transférées à un triumvirat composé du président, du chef du pouvoir judiciaire et d’un religieux du Conseil des gardiens. C’est ensuite l’Assemblée des experts — 88 membres élus tous les huit ans — qui désigne le nouveau guide.
« Le régime pourrait parfaitement survivre à la disparition de Khamenei », estime Fatemeh Haghighatjoo, ancienne députée réformiste, aujourd’hui exilée aux États-Unis. « Les Iraniens sont fondamentalement contre l’autoritarisme, mais je ne pense pas que le régime va s’effondrer brusquement. » Pour elle, si Khamenei disparaît, il sera rapidement remplacé sans bouleverser l’ossature du pouvoir.
Un système résilient mais sous pression historique
Pour John Limbert, ancien otage américain à l’ambassade de Téhéran en 1979, la résilience du régime repose sur un constat amer : « Ils (les Mollahs) aiment le pouvoir. Ils l’ont gardé. Ils ont empêché quiconque d’y accéder. » Il compare la République islamique à une longue tradition iranienne de régimes autoritaires, « qu’ils portent des couronnes, des turbans ou des uniformes militaires ». Et met en garde : « Pourquoi supposer que si le régime tombe, ce sera pour le mieux ? On l’a déjà pensé en 1979 avec la chute du Shah. »
Depuis la révolution de 1979, le régime a survécu à des crises majeures : des attentats en 1981 qui ont décimé ses élites, une guerre de huit ans contre l’Irak de Saddam Hussein, des vagues de sanctions qui ont coûté des centaines de milliards de dollars, et des soulèvements populaires récurrents — étudiants en 1999, Mouvement vert en 2009, protestations économiques en 2017, et « Femme, vie, liberté » en 2022. À chaque fois, un slogan persiste : « Mort au dictateur. »
Pourtant, selon Shaul Bakhash, historien de l’Iran, les signes annonciateurs d’un effondrement ne sont pas là. « Lors des grandes contestations, les bazars fermaient pour protester, les secteurs clés comme le pétrole entraient en grève. Ce n’est pas ce qu’on observe aujourd’hui. Et les leaders potentiels de l’opposition ne se manifestent pas. »
Mais à plus long terme, l’équation reste explosive. « Si le régime veut sortir de cette guerre par la voie diplomatique, il devra redéfinir son contrat social », estime Geranmayeh. Après deux décennies où la République islamique promettait la sécurité en échange de la restriction des libertés, les frappes massives de ces derniers jours démontrent que cette promesse ne tient plus.
Pour Mohammad Taghi Karroubi, fils de l’opposant Mehdi Karroubi, la colère est toujours là, même si elle est provisoirement étouffée : « Les gens préfèrent se taire pour l’instant face à l’agression américaine et israélienne. Mais le lendemain de cette agression, ils recommenceront à parler. Ils recommenceront à critiquer le système. Et ils redescendront dans la rue. »
The New Yorker
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