Éclairage – Guerre au Proche-Orient : vers un nouvel ordre régional ?

— Tiktokshow avec Ornella Sukkar * — Spécial géopolitique

L’analyste italien Riccardo Pennisi, spécialiste des relations internationales, était l’invité du Tiktokshow d’Ornella Sukkar pour décrypter la guerre israélo-iranienne de 2025 et l’implication directe des États-Unis. Une plongée dans les dessous d’un basculement stratégique mondial.

 

1. Washington abandonne la “retenue stratégique”

 

Ornella Sukkar :

Comment analysez-vous l’intervention directe des États-Unis dans la guerre entre Israël et l’Iran ? Est-ce une rupture doctrinale ou une réponse à une menace régionale élargie ?

Riccardo Pennisi :

C’est clairement une rupture. On assiste à un tournant : au lieu d’une posture de soutien à distance, l’administration Trump s’aligne sur l’agenda de la droite israélienne, avec l’objectif de marginaliser totalement l’Iran. Cette guerre vise à exclure durablement Téhéran des équilibres régionaux. Pour certains stratèges à Washington, il s’agit de répondre à une menace “systémique”, celle d’un réseau pro-iranien perçu comme un péril pour Israël et pour les intérêts américains au Moyen-Orient.

 

2. Le détroit d’Hormuz : la ligne rouge

 

O.S. :

Quels sont les effets immédiats de cette guerre sur les marchés énergétiques ? Le détroit d’Hormuz est-il un point de rupture?

R.P. :

Absolument. Une flambée brutale des prix est déjà en cours. L’objectif militaire pourrait inclure la neutralisation des exportations pétrolières iraniennes — ce qui frapperait la Chine, principal client. Le détroit d’Hormuz reste la ligne rouge : 20 % du pétrole mondial y transite. Sa fermeture provoquerait un chaos énergétique global. Les pays du Golfe, eux, pourraient bénéficier de la situation tout en appelant à la désescalade.

 

3. Nouvelles alliances, guerre régionale

 

O.S. :

Assiste-t-on à un bouleversement des alliances au Moyen-Orient ? Le conflit est-il déjà régionalisé ?

R.P. :

Oui, la carte des alliances se redessine. Israël, soutenu par Washington et, dans une moindre mesure, Riyad et Abou Dhabi, affronte un axe chiite piloté par Téhéran. Israël devient une sorte de “51e État américain”, en première ligne face au Hezbollah, aux Houtis, aux milices irakiennes et syriennes. Le conflit a déjà débordé sur le Liban, la Syrie, le Yémen et l’Irak. La guerre est régionalisée, mais sans volonté d’invasion terrestre — l’objectif est l’écrasement à distance.

 

4. Chine, Russie, Inde : prudence, calculs et silences

 

O.S. :

Comment les grandes puissances — Chine, Russie, Inde — réagissent-elles ?

R.P. :

La Chine est inquiète : ses intérêts pétroliers sont en danger. Elle préfère la stabilité, pas le chaos. La Russie joue un jeu complexe : elle pourrait se proposer comme médiatrice, mais sans grand espoir d’être acceptée, vu son rôle en Ukraine. Moscou profite cependant de l’attention américaine détournée. L’Inde penche vers Israël, alors que le Pakistan, distant de l’Iran, reste en retrait. L’Iran est aujourd’hui plus isolé que jamais.

 

5. Le Golfe en équilibre instable

 

O.S. :

L’Arabie Saoudite, les Émirats, le Qatar : peuvent-ils rester neutres ?

R.P. :

Ils appellent à la désescalade, mais ne s’opposeront pas frontalement à Washington. Ils tirent parti de la hausse du baril, tout en redoutant une extension des hostilités sur leur sol. Un réalignement vers l’Iran est peu probable : la méfiance envers Téhéran reste très forte dans ces monarchies.

 

6. Une tentative de remodeler l’ordre régional

 

O.S. :

Pouvons-nous dire que ce conflit vise à redéfinir l’ordre régional ? L’Europe peut-elle jouer un rôle ?

R.P. :

Oui. C’est une tentative de remodeler la région autour d’un axe USA-Israël-Arabie Saoudite. La France essaie de jouer un rôle diplomatique, mais sans l’appui d’une Union européenne cohérente, son influence reste limitée. Pourtant, l’Europe a tout intérêt à pousser vers un ordre multipolaire plus stable.

Conclusion : une guerre pour l’avenir du Moyen-Orient

 

En une heure d’entretien intense, Riccardo Pennisi a dessiné les contours d’un conflit qui dépasse Israël et l’Iran. Une guerre pour l’hégémonie régionale, où se croisent pétrole, alliances militaires, ambitions nationales et rivalités de blocs. Avec une question ouverte : jusqu’où ira l’engrenage?

 * Ornella Sukka est une journaliste et analyste libanaise basée à Beyrouth

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