Édito – Ssi Akhannouch, l’époque du “Chkoun nta ?” serait-elle de retour ?

Ali Bouzerda

Une époque qu’on pensait bien révolue. Mais c’est la question qui est sur toutes les lèvres, après un incident aussi regrettable qu’indigne, survenu ce jeudi 22 mai 2025, lors du traditionnel briefing du porte-parole du gouvernement.

Avant d’y revenir, rappelons une évidence fondamentale : un ministre est un serviteur de l’État, pas un donneur de leçons. Un ministre qui se respecte — et qui respecte les institutions — doit tenir son rang avec dignité, calme et retenue, en toutes circonstances.

Cette règle d’or ne devrait pas être négociable, surtout sous un gouvernement qui prétend incarner la rigueur et la modernité, le respect de la liberté d’expression, la démocratie (en devenir soit-elle), etc., etc…

Lors de cette conférence de presse, le ministre Mustapha Baïtas a refusé de répondre à une question pertinente du correspondant de l’agence américaine Bloomberg concernant l’incident survenu à Jénine, en Palestine occupée, où des soldats israéliens ont tiré à balles réelles sur un convoi diplomatique, dont faisaient partie des Marocains.

Un sujet grave, impliquant directement la diplomatie marocaine. Et pourtant, au lieu de répondre, le porte-parole a choisi le mépris, préférant esquiver, comme s’il était au-dessus de cette interrogation légitime d’intérêt public.

« Chkoun nta ? » (Qui es-tu ?) a apostrophé « le Berrah »* du gouvernement, avec un geste de mépris en plus, le reporter marocain accrédité de Bloomberg.

Petit rappel au passage : ce journaliste n’est pas tombé de la dernière pluie. Durant plus de trois décennies, il a roulé sa bosse chez l’agence britannique Reuters au Maroc et dans le Golfe, avant de rejoindre la prestigieuse agence new-yorkaise.

En signe de solidarité, et rompant avec « le silence des agneaux » ambiant, le site arabophone Goud.ma n’a pas manqué de rapporter l’attitude déplacée du ministre, titrant sans détour :

« باغي يكون بصري زمانه.. بايطاس شوه بينا قدام صحافيين أجانب. وزير فحكومة كتهضر على فلسطين وما قدرش يجاوب على سؤال حول استهداف دبلوماسيين مغاربة فجنين ! »

(Il veut être Basri* de son époque. Baïtas nous a couverts de honte devant des journalistes étrangers. Un ministre dans un gouvernement qui parle de Palestine, incapable de répondre à une question sur le ciblage armé de diplomates marocains à Jénine.)

Le ton est cru, mais le constat est limpide : le silence du ministre sonne comme une gifle, non seulement pour le journaliste, mais aussi pour l’opinion publique.

A spokesman who refuses to speak

Après des années dans les arcanes du pouvoir, Baïtas semble oublier qu’il n’est pas là pour distribuer les bons et les mauvais points aux journalistes. Sa mission est simple : informer. Pas censurer, ni faire preuve d’arrogance ou de comportement condescendant.

Révolu, le temps de l’instituteur à Goulmima, qui pouvait infliger la punition des volets de bois vert aux élèves turbulents, sans jamais rendre de comptes. 

 Par ailleurs, et malgré plusieurs années dans les rouages du Makhzen, le jeune bras droit d’Akhannouch, au lieu de se débarrasser de « la mentalité de l’instit », a pris le pli des ronds-de-cuir nombrilistes.

In fine, il est bon de rappeler ici les mots d’Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde:

  « Notre rôle n’est pas de plaire, non plus de déplaire. Il est de dire la vérité telle qu’on la trouve. »

Et ceux du célèbre intervieweur américain de CNN, Larry King :

« Il n’y a pas de question idiote quand on cherche à savoir. »

Cet incident engage aussi la responsabilité directe du chef du gouvernement, car Baïtas n’en est pas à son premier impair avec les journalistes. À lui de rappeler à ses ministres qu’ils sont les visages publics de l’État, et que toute dérive verbale ou comportementale entame la crédibilité de l’institution tout entière.

Messieurs, le respect de la presse n’est pas un luxe démocratique. C’est un fondement de l’État de droit.

*  Le Berrah : une figure traditionnelle de la communication publique dans les villes et villages chargé d’annoncer des messages officiels à la population

* * Driss Basri, alors puissant ministre de l’Intérieur et de l’Information, a convoqué Khalid Jamaï, rédacteur en chef du journal L’Opinion, en novembre 1993 à Rabat, pour lui demander sûr un ton menaçant des comptes sur un article critiquant la régularité des élections. Lors de cette rencontre, Basri lui aurait lancé : « Qui es-tu pour te permettre de lancer de telles accusations ? »

Cet échange a marqué les esprits, notamment par la phrase « Chkoun nta ? » devenue emblématique de l’autoritarisme de l’époque. Khalid Jamaï a répondu à cette interpellation en publiant une lettre ouverte, dénonçant les menaces et intimidations tout en affirmant son engagement pour la liberté de la presse.

« Les petites concessions finissent toujours par se transformer en grande compromission, et les petites lâchetés et petites peurs en soumission et résignation. L’abus du pouvoir se nourrit de notre peur, de notre lâcheté et notre résignation quotidiennes », a averti Jamaï dans cette lettre mémorable.

Article19.ma