Dans le cadre des activités du huitième jour du Salon international de l’édition et du livre, l’espace des conférences a accueilli, ce vendredi 25 avril, une table ronde consacrée au thème « Cinéma et droits humains », organisée par le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), avec la participation d’acteurs du monde du cinéma et des droits humains, parmi lesquels le réalisateur Saâd Chraïbi et la présidente de l’Association des Rencontres Méditerranéennes du Cinéma et des Droits de l’Homme, Fadoua Maroub.
Cette rencontre a constitué une occasion pour poser des questions profondes sur le lien organique entre le cinéma, en tant qu’art d’expression, et les droits humains, en tant que champ de lutte et de valeurs. Il ne s’agissait pas tant d’affirmer les liens évidents entre ces deux domaines que d’explorer les moyens de faire évoluer le cinéma en un outil de conscience collective, capable de repérer les violations et de mettre en lumière les causes des droits humains de manière visuelle et percutante.
Dans cette optique, le septième art a été considéré comme bien plus qu’un simple divertissement : il est une langue universelle qui documente la mémoire et ouvre la voie à une lecture critique et sociétale de la réalité des libertés et de la justice. Les intervenants ont souligné que le cinéma engagé ne peut être dissocié des préoccupations humaines, et que le respect des libertés dans l’œuvre artistique est une condition fondamentale pour tout projet cinématographique à dimension humaine.
Les défis auxquels sont confrontés les professionnels du domaine ont également été évoqués, qu’il s’agisse des cadres juridiques régissant la profession ou des perceptions de certains acteurs du champ cinématographique envers les questions des droits humains, souvent réduites à des thématiques stéréotypées. Il a ainsi été souligné l’importance de doter les professionnels de nouveaux outils d’analyse et de renforcer leur conscience que le cinéma peut constituer un acte citoyen, et non un simple produit visuel.
Cette conférence n’a pas été qu’un débat théorique, mais a exprimé une volonté partagée de repenser les rôles possibles du septième art, afin d’en faire un véritable allié de la dignité humaine, à une époque marquée par des mutations rapides et un besoin accru d’une voix sincère pour dire la vérité.
+ Le roman « Le Zaïm », l’Irak entre mémoire collective occultée et problématique de la modernité +
Dans le même cadre, l’espace « Écriture et droits humains » a accueilli une séance consacrée au roman « Le Zaïm » de l’écrivain irakien Ali Bader, l’une des voix majeures de la littérature arabe contemporaine.
Durant cette session, Ali Bader est revenu sur le contexte intellectuel et politique ayant nourri son œuvre. Il a expliqué que « Le Zaïm » n’est pas seulement un roman sur Abdel Karim Kassem, premier président de l’Irak après la chute de la monarchie, mais une tentative de récupération d’une mémoire volontairement occultée. Le roman retrace l’histoire de la formation de l’Irak moderne, depuis la Première Guerre mondiale – lorsque les canons britanniques dessinèrent les frontières du pays en 1914 – jusqu’aux mutations de la ville, en passant par ce que l’auteur appelle les « ères dévastatrices » marquées par les conflits politiques et la violence organisée.
L’œuvre, selon Bader, ne s’appuie ni sur les archives d’État ni sur les récits officiels, mais sur les vieux journaux, les témoignages oraux et la mémoire collective du peuple, pour proposer une écriture alternative de l’histoire, plus proche de la réalité populaire et de l’imaginaire collectif, loin des partis pris idéologiques et des victoires officielles.
À travers le roman, l’Irak apparaît non pas simplement comme un territoire, mais comme un être historique et spirituel, dont les frontières et l’identité ont été manipulées. L’auteur reconstruit l’image de Bagdad, cette ville d’avant la tragédie, et décrit sa transition des promesses de modernité au choc de la violence, des projets de construction étatique à l’effondrement du tissu social sous la militarisation et les milices. La ville devient ainsi un prisme pour comprendre l’identité irakienne dans sa relation à l’histoire, à la politique et à la mémoire.
Le récit s’inscrit dans une narration postcoloniale, où il ne s’agit pas seulement de condamner le colonisateur, mais d’interroger l’après : quelles politiques ont été mises en place ? Qui sont les nouveaux acteurs ? Quel destin pour les pauvres et les marginalisés face à l’essor du pouvoir militaire ? Ali Bader transforme ces interrogations en une structure romanesque cohérente, chaque chapitre s’appuyant sur un conflit historique, de l’accord Sykes-Picot au calvaire des Irakiens dans les prisons, en passant par la fracture du conscient collectif entre gauche et radicalisme.
La table ronde sur « Le Zaïm » a constitué un moment fort de l’espace « Écriture et droits humains », où la mémoire irakienne a été convoquée non comme un passé clos, mais comme un champ ouvert à l’interprétation et au débat. Le roman, en prenant l’histoire pour point de départ, rouvre de nombreuses blessures et propose une contre-narration qui ne prétend pas reconstruire ce qui a été détruit, mais offre au lecteur des clés pour en saisir le sens.
+ Le Slam sur scène : quand la poésie devient voix de protestation et d’identité +
Dans le pavillon des expressions artistiques et créatives, le public a assisté à une session remarquable dédiée à l’art du Slam, forme poétique orale et urbaine qui s’impose progressivement dans le paysage culturel marocain. L’événement a combiné performances en direct et discussions autour de la pertinence actuelle du slam et de ses croisements avec les droits humains.
Plusieurs artistes slameurs ont participé à cette rencontre, affirmant que cet art, mêlant écriture poétique et performance scénique, est devenu aujourd’hui un véritable moyen d’expression personnelle et une fenêtre ouverte sur les préoccupations sociales, notamment celles des jeunes.
Le slam, tel que présenté par les artistes, est une poésie de la « parole parlée », qui ne se lit pas tant sur papier qu’elle ne se vit sur scène, où se forment l’émotion, l’interaction et le rythme collectif.
Les participants ont estimé que l’organisation de cet événement au sein du Conseil national des droits de l’Homme vient couronner un long parcours de lutte culturelle. Ce genre poétique, longtemps cantonné aux marges – dans les rues ou les cafés – trouve désormais une reconnaissance institutionnelle en tant que forme artistique dotée d’un pouvoir d’impact et d’une légitimité culturelle.
Tous ont convenu que le slam ne se limite pas à célébrer la parole, mais ouvre un espace de réflexion sur des questions fondamentales telles que les identités multiples, la différence, la discrimination et la liberté. Sa richesse et sa diversité reflètent celles de la société marocaine, et il se distingue des autres arts par sa capacité à parler le langage du peuple et à poser les questions que le discours officiel évite.
À travers les performances en direct, la dimension engagée de cet art s’est pleinement révélée : les textes sont devenus des cris poétiques contre l’exclusion, la marginalisation et la violence, lançant un appel clair à reconnaître cette forme d’expression comme un outil de sensibilisation, de critique et de réconciliation avec soi-même et avec la mémoire.
Les artistes ont souligné que le slam n’est pas seulement un art de jeunesse, mais un acte de résistance culturelle, qui dépasse l’esthétique pour interroger le réel et déconstruire les stéréotypes, ce qui le rend proche des gens et éloigné des codes élitistes.
Voici ce qui caractérise le Slam :
- Performance orale : Le Slam se déclame à voix haute, souvent devant un public, avec une forte importance donnée à l’intonation, au rythme, et à la gestuelle.
- Texte personnel et engagé : Les Slameurs parlent souvent de sujets qui les touchent : injustices sociales, amour, colère, identité, etc.
- Pas de musique, pas d’accessoires : Juste la voix, le corps, et les mots.
- Compétition amicale : Les soirées slam sont souvent des “battles” poétiques où le public peut voter pour ses textes préférés, mais l’objectif reste surtout le partage.
Par Boutaina Taki