Ce mercredi, 23 avril, et dans le cadre des activités de la 6ème journée du SIEL, l’espace du CNDH a accueilli une session de réflexion et de débat intellectuelle autour du thème : « Le patrimoine culturel commun et l’ancrage des valeurs de dialogue et de tolérance ».
À cette occasion, un groupe d’éminents chercheurs dont le professeur Tayeb Bayad, historien et spécialiste de l’histoire du Maroc et des identités marocaines, le professeur Faouzi Skali, chercheur spécialisé en soufisme et fondateur du Festival de Fès des musiques sacrées , et le modérateur, M. Oussama Zougari, chercheur en histoire contemporaine du Maroc ont participé à un débat fructueux, pédagogique et instructif.
La conférence a démarré par des interrogations centrales sur le rôle du Maroc dans la mobilisation de la culture au service des valeurs des droits humains, la place de la recherche scientifique dans le traitement des questions de mémoire et d’héritage, ainsi que les défis que rencontrent les manifestations culturelles à portée continentale et internationale.
Le professeur Bayad a mis en évidence l’importance de penser l’identité marocaine à travers un long processus d’interaction, soulignant que les expressions culturelles ne sont pas venues de l’extérieur toutes faites, mais ont été « marocanisées » et intégrées dans un creuset local. Il a retracé les étapes de la formation de cette identité, depuis l’Homo sapiens de Tafoughalt et Tighough, en passant par l’arrivée de l’islam comme composante majeure, jusqu’aux expériences vécues dans les grandes villes comme Casablanca, véritable laboratoire de diversité culturelle.
Bayad a indiqué que l’identité marocaine s’est construite par strates successives au fil du temps, avec une capacité d’intégration sans dilution. Il a insisté sur la nécessité d’aborder les questions d’identité et de langue au-delà des polémiques médiatiques superficielles, appelant à envisager des identités ouvertes, citant à cet égard l’écrivain Amin Maalouf et son avertissement contre les « identités meurtrières ».
De son côté, le professeur Fouzi Skali a centré son intervention sur la dimension spirituelle de l’identité marocaine à travers le soufisme, et son rôle dans la construction d’une relation équilibrée entre l’individu, soi-même et les autres. Il a également souligné l’importance d’intégrer les résultats de la recherche scientifique dans les programmes éducatifs et culturels afin de renforcer les valeurs de pluralité et de dialogue dans l’espace public.
Dans une déclaration, Tayeb Bayad a affirmé :
« Cette rencontre est une invitation à réfléchir sur le patrimoine culturel commun des Marocains selon deux axes : un axe temporel portant sur la manière dont la personnalité marocaine s’est formée à travers l’histoire, et un axe géographique qui considère le Maroc comme carrefour de civilisations et de cultures. »
Quant à M. Skali, il a estimé que :
« La recherche scientifique sur l’identité peut constituer un socle pour une ingénierie culturelle traduite en contenus éducatifs et en programmes publics nourrissant la pluralité et consacrant la tolérance. »
Une conférence enrichie par des témoignages académiques et des expériences de terrain, offrant une vision intégrée du rôle de la culture dans l’enracinement des droits humains et la promotion du vivre-ensemble.
+ Un roman venu des Comores… quand la liberté devient un voyage féminin entre les cultures +
Dans le cadre du programme dédié à l’écriture et aux droits humains, le stand du Conseil National des Droits de l’Homme a accueilli l’écrivaine comorienne Touhfat Mouhtare pour une discussion autour de son roman « Le Feu du Milieu », publié aux éditions Le Bruit du Monde.
Née en 1986, résidant actuellement en France, Touhfat Mouhtare est l’autrice de trois ouvrages, nourris par une vie entre plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, ce qui confère à son écriture une profondeur humaine et identitaire manifeste.
Son roman, qualifié de conte philosophique, croise les destins de trois femmes, chacune portant ses blessures et ses inquiétudes, mais toutes cherchant, au fond, une forme d’émancipation. Il y a Gairade, une jeune femme ayant vécu dans une grande ville avant de retourner aux Comores, Halima, une domestique élevée dans un système religieux traditionnel et soumise à une société dominée par des rituels soufis implicites mais prégnants.
Le roman navigue entre différentes époques et lieux, interrogeant des problématiques liées à l’identité, au pouvoir et à l’appartenance, sans jamais tomber dans le manichéisme. L’autrice choisit de présenter ses personnages dans des zones grises, laissant le lecteur face aux questions plutôt qu’aux réponses.
Dans sa déclaration, Touhfat Mouhtare a indiqué :
« Le roman raconte l’histoire de deux femmes en quête de liberté, cherchant à dépasser leurs différences culturelles pour s’ouvrir à l’aventure, à travers l’espace et le temps. Je remercie le Conseil national des droits de l’Homme pour m’avoir invitée à cette belle manifestation. »
Le Feu du Milieu est bien plus qu’un récit narratif ; c’est une proposition littéraire et intellectuelle qui pousse à repenser ce que l’on considère comme immuable dans la relation de l’être humain à lui-même et à sa société — à partir d’une périphérie géographique riche en symboles et en interrogations.
+ Mohamed Baaiya : l’éloge hassani, une forme de lutte culturelle +
Dans l’espace dédié aux expressions artistiques et créatives du stand du Conseil National des Droits de l’Homme, le chanteur Mohamed Baaiya, chanteur spécialisé dans le genre musical du « medh hassani », a emmené le public dans un voyage spirituel à travers l’art du madih hassani, une forme artistique ancestrale liée à l’identité saharienne et à la richesse culturelle marocaine.
Originaire de Laâyoune, Mohamed Baaiya a présenté des extraits de madh hassani, soulignant qu’il ne s’agit pas simplement de chants religieux, mais d’un vécu émotionnel transmis de génération en génération — une lutte spirituelle d’abord, car il s’agit de louanges au Prophète, et une lutte populaire et nationale ensuite, car c’est un art purement marocain, enraciné dans la mohadra (écoles traditionnelles), nourri par les grand-mères, et vivant à travers le temps.
Il a déclaré que sa présence représentait toute une culture, et que porter son habit saharien n’était pas un simple choix vestimentaire, mais un miroir de son identité, de son histoire et de sa région. Il a ajouté que le madh hassani, avec ses diverses gammes musicales telles que le sini et le fagh, est tout aussi important qu’un discours sur les droits humains : il constitue une véritable plaidoirie artistique pour la dignité, la liberté d’expression et le droit à la culture.
Baaiya a également rappelé une initiative datant de 2011, lorsque son groupe avait produit un album dédié aux droits humains, soulignant que le Conseil national des droits de l’Homme a toujours été conscient de la valeur de ce patrimoine culturel et de son rôle dans l’expression d’une identité nationale unifiée et riche de sa diversité.
Cette rencontre a constitué un moment artistique et humain fort, montrant comment l’art peut devenir un langage universel transmettant des valeurs, portant la mémoire et défendant la dignité, au-delà des mots.
+ Rencontre littéraire en hommage à la créativité amazighe +
Pour clôturer les activités de l’Espace des publications, le stand du Conseil national des droits de l’Homme a accueilli le romancier Mohamed Oussous pour présenter son roman « Ikhf n Waouok » (La tête du hibou), aux côtés du poète Mouha Ben Sadin qui a partagé son recueil de poèmes « Ayt Da » (Les enfants du pays), dans une rencontre animée par le professeur Omar Choukri.
L’événement s’est déroulé dans une ambiance sereine, où les deux auteurs ont exprimé leur fierté de contribuer à cet espace culturel à travers des œuvres littéraires en langue amazighe, chacun selon sa région et sa vision créative. Cette rencontre a constitué un moment symbolique de reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique, soulignant l’importance de la littérature amazighe dans les processus de promotion des droits humains et de l’expression de soi.
Par Boutaina Taki