Le stand du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a accueilli ce dimanche, lors du 3ème jour du Salon international de l’édition et du livre (SIEL) à Rabat, une conférence intitulée « La diversité culturelle, un droit humain fondamental », avec la participation de figures académiques et associatives, notamment Yassine Akhiat, président de la Fondation Ibrahim Akhiat pour la diversité culturelle, et Hanan Hammouda, chercheuse en sociologie et en anthropologie. La rencontre a été modérée par le professeur universitaire El Hussein Bouyaakoubi.
La conférence a débuté par une approche définitionnelle du concept de “diversité culturelle”. Yassine Akhiat a expliqué que la diversité n’est pas seulement la tolérance de l’autre, mais avant tout l’acceptation de soi. Il a insisté sur la nécessité d’une cohabitation sincère et sur l’abandon du double discours, qu’il a qualifié de “schizophrénie sociétale”, notamment en matière d’éducation et de médias.
Akhiat a affirmé que la langue amazighe, en tant que langue ancienne et reconnue comme langue officielle dans la Constitution marocaine, représente une origine culturelle à partir de laquelle peuvent émerger les autres composantes. Il a appelé à dépasser la vision folklorique des cultures locales et à rompre avec la contradiction entre la reconnaissance constitutionnelle et la faiblesse de la mise en œuvre institutionnelle.
De son côté, la chercheuse Hanan Hammouda a souligné que la diversité culturelle n’est pas un concept nouveau, mais une base en sociologie et en anthropologie, qui reflète la relation de l’être humain avec son environnement naturel, social et politique. Elle a ajouté que le Maroc a accumulé des expériences significatives dans ce domaine, illustrées historiquement par la cohabitation de diverses composantes, comme l’existence des “mellahs” dans les anciennes villes, témoignant de l’installation des Juifs marocains depuis des siècles.
Le débat a également ouvert la voie à des interrogations sur le degré d’acceptation, par les Marocains, de leur propre diversité. Akhiat a souligné que l’interaction avec cette diversité varie selon la source du discours – médias, institutions publiques ou société civile – appelant à la construction d’un « équilibre identitaire » qui reflète la manière dont les Marocains se perçoivent eux-mêmes.
Hammouda s’est arrêtée sur l’importance d’investir dans les identités locales comme force douce, notant que la Constitution de 2011 a marqué une transition d’une reconnaissance exclusive de l’arabe à une reconnaissance conjointe de l’arabe et de l’amazighe, traduisant une volonté politique de consolider la diversité.
Quant à la mise en œuvre concrète, Akhiat a soulevé la question du sort des budgets alloués à la culture amazighe, critiquant l’absence d’objectifs clairs. Il a déclaré : « Nous avons un budget d’un milliard, mais nous ne savons pas où il va, et il n’y a pas de gestion sectorielle gouvernementale claire. »
À la fin de la conférence, Yassine Akhiat a conclu :
« Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un véritable questionnement sur l’expérience marocaine de la diversité culturelle, et de la recherche de mécanismes plus efficaces et durables, avec une méthodologie participative qui renforce les acquis et prépare l’avenir. »
+ Mustapha Zem ravive la mémoire de l’immigration dans son roman
« Les Pas Perdus » +
Au pavillon « Espace de l’écriture et des droits humains », le CNDH a organisé une rencontre littéraire avec l’écrivain franco-marocain Mustapha Zem, qui a présenté son premier roman « Les Pas Perdus », publié aux éditions parisiennes JC Lattès.
Ce roman, de type autobiographique, reconstruit la mémoire familiale de l’auteur, en se concentrant sur l’expérience de l’immigration ouvrière en France durant les années 1970. Dans ce contexte, Zem se décrit comme un « réservoir de mémoire », portant les détails du quotidien de ses parents, et archivant leur souffrance et leurs sacrifices à travers sa propre voix, celle d’un enfant né en France mais qui n’a jamais rompu avec ses racines marocaines.
Il raconte sa vie en France à cette époque, des banlieues parisiennes, en passant par les bidonvilles, les logements sociaux (HLM), jusqu’aux quartiers urbains organisés. Une expérience qui résume les traits d’une génération entière de fils et filles d’immigrés.
Dans une déclaration aux participants, Zem a dit :
« Le roman « Les Pas Perdus » raconte l’histoire d’un enfant né en France dans une famille marocaine immigrée, retraçant sa vie depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui. À travers son regard, j’explore la formation de l’identité traversée par deux cultures – française et marocaine – parfois en harmonie, parfois en tension. »
Et il a ajouté :
« Le roman cherche à faire entendre une voix unique, à interroger ce que cela signifie d’être Marocain en France – aux yeux des Français – et Français d’origine marocaine – aux yeux des Marocains. Cette tension entre les deux appartenances, je voulais qu’elle soit sincère, mêlée d’ironie, d’innocence, de nostalgie… et parfois de gravité, quand le moment l’exige. »
Ce roman constitue également un témoignage littéraire sur l’immigration en tant que cause humaine intemporelle, et met en évidence comment la mémoire collective reste vivante dans les détails des quartiers, les accents, les souvenirs des grands-parents, et dans les moments de doute et de double appartenance.
+ L’artiste plasticienne Leïla Ben Halima présente son expérience artistique au pavillon du CNDH +
Dans le cadre de la section « Espace des expressions artistiques et créatives », le pavillon du Conseil national des droits de l’Homme, au sein de cette 30ème édition du SIEL, a accueilli une rencontre artistique avec la plasticienne Leïla Ben Halima, qui a exposé une sélection de ses œuvres expressives et partagé ses réflexions sur son parcours créatif.
L’artiste a exprimé sa joie de participer à cet événement culturel :
« C’est un honneur pour moi d’être présente à ce salon, à l’invitation du CNDH, pour participer à une discussion que je considère essentielle sur le rôle de l’art et de la culture comme leviers d’émancipation humaine. »
Dans son intervention, elle a mis en lumière son expérience artistique, en insistant sur la manière dont l’art peut dépasser le simple esthétisme pour devenir un outil de transmission de valeurs, d’ouverture du débat et de sensibilisation collective, notamment sur les questions de liberté, de tolérance, d’identité, et particulièrement d’appartenance africaine.
Elle a ajouté :
« L’art, pour moi, n’est pas seulement fait de couleurs et de formes, c’est un moyen d’éducation, de résistance et de dialogue. C’est un langage capable de franchir les frontières et d’exprimer les préoccupations humaines, où qu’elles soient. »
Une rencontre artistique et humaine, reflétant l’esprit du salon qui lie culture et droits humains, et mettant en avant l’art comme pont entre passé et présent, tout en offrant à l’avenir une vision plus consciente et inclusive.
+ Nouvelles publications : la mémoire de Salé et les douleurs de l’enfance +
Dans le cadre de l’espace « Nouvelles publications », le CNDH a organisé un débat mettant en lumière deux nouvelles œuvres : l’une retraçant la mémoire historique de la ville de Salé, et l’autre, un roman social exprimant le cri d’une génération.
Le débat a commencé avec l’ouvrage collectif « Mémoire de Salé et histoire contemporaine : regards croisés », dirigé par le professeur Abdeljalil Nadem, l’un des éminents spécialistes de l’histoire de la ville de Salé. Le livre, décrit par son auteur comme un « projet ouvert », s’inscrit dans un double contexte : le 20e anniversaire des recommandations de l’Instance Équité et Réconciliation, et celui du projet « Salé du futur ».
Nadem a affirmé que « le Maroc, à chaque tournant historique, a besoin de convoquer sa mémoire ».
Il considère que le travail sur les archives et les données historiques est la seule voie pour construire l’avenir. Il a présenté quelques statistiques du livre, notamment la présence de plus de 50 médecins et pharmaciens, 20 journalistes, et 18 artistes dans l’encyclopédie de l’élite de Salé.
Nadem a également souligné une quasi-parité entre la participation masculine et féminine, reflétant une ancienne conscience de la participation culturelle et sociale partagée.
Il a aussi évoqué la richesse littéraire de Salé, du théâtre à la poésie, en rappelant des figures telles que Haj Maâninou, Mohamed Jem, Abdellah Chakroun, et Abdelmajid Fennich, considérés comme des écoles à part entière de l’expression artistique saléenne.
La deuxième partie de la rencontre a été consacrée au roman social « Une dose d’espoir », signé par la jeune élève et romancière en herbe.
Par Boutaina Taki