Dans le cadre des activités du deuxième ation jour, l’espace culturel a accueilli un important débat sur les politiques publiques dans le domaine culturel, sous le thème : « Pour un pacte sociétal garantissant l’effectivité du droit à la culture ».
M. Ahmed Assid, chercheur et militant des droits humains a participé à ce débat, ainsi que M. Abderrahmane El Amrani, président de la Commission régionale des droits de l’Homme de Fès-Meknès.
Les discussions ont abordé la question essentielle : jusqu’à quel point les politiques culturelles au Maroc intègrent-elles l’approche fondée sur les droits humains ? Et que faut-il pour faire de la culture un droit effectif garanti à tous ?
Dans son intervention, Ahmed Assid a affirmé que la culture n’est pas un secteur vertical soumis à un ministère ou à un programme limité, mais plutôt “l’âme de la société” qui traverse toutes les politiques : économiques, éducatives, sociales et politiques. Il a estimé que l’erreur commune est de parler de “développement du secteur culturel”, alors qu’il serait plus juste d’adopter la culture comme levier du développement global de la société.
Il a précisé que l’école marocaine a besoin de culture pour devenir attractive, et que son absence contribue à étouffer les énergies de la jeunesse. Il a appelé à briser la hiérarchie de valeur entre les cultures et à reconnaître la valeur de toute expression culturelle. Il a aussi alerté sur le fait que 94 % des ouvrages publiés au Maroc sont produits par des étrangers, contre seulement 6 % par des Marocains, révélant un profond déséquilibre des politiques culturelles.
M. Assid a également abordé la problématique des espaces dédiés aux jeunes, soulignant qu’ils sont “entièrement équipés mais restent fermés”, illustrant ainsi une absence flagrante de volonté d’activation réelle. Il a souligné que la culture joue un rôle préventif contre la violence, aussi bien dans la rue que sur les réseaux sociaux, et a insisté sur la nécessité de libérer les énergies de la jeunesse opprimées par l’école, la famille et l’espace public.
“Nous devons libérer les énergies des jeunes, brimées par l’école, la famille et la société. La culture est capable de redonner un sens à leur vie et de les protéger contre les manifestations de violence dans les rues et sur les réseaux sociaux.”
De son côté, Abderrahmane El Amrani a affirmé que l’enjeu des politiques culturelles ne doit pas se limiter aux élites, mais s’étendre à tous les citoyens.
Il a souligné, par ailleurs. la responsabilité des collectivités territoriales dans la mise en valeur de la diversité culturelle locale et la mobilisation des ressources locales. Il a également appelé à actualiser les débats culturels restés figés depuis des décennies, notamment autour des questions de modernité, d’identité et des rapports avec l’Occident.
M. El Amrani a cité l’exemple de l’Égypte, où, malgré une augmentation du taux de scolarisation de 66 % dans les années 1960 à 90 % aujourd’hui, la culture générale a connu un net déclin, illustrant ainsi la différence fondamentale entre éducation et culture.
Cette rencontre s’est conclue par un appel des participants à construire un pacte culturel sociétal, faisant de la culture le cœur de toutes les politiques publiques, et à libérer l’action culturelle de la tutelle politique, souvent cantonnée à des actions ponctuelles et limitées.
+ Histoires du temps de l’indépendance – “L’Analyste de Brazzaville” de Dibakana Mackenzi +
Parallèlement aux activités du Salon, dans l’espace “Écriture et Droits Humains”, le Conseil national des droits de l’Homme a accueilli l’écrivain et sociologue congolais Dibakana Mackenzi, installé en France, venu présenter son nouveau roman « L’Analyste de Brazzaville », publié en juin 2023. Ce roman est une fresque narrative consacrée à une décennie cruciale de l’histoire africaine : les dix premières années post-indépendance.
Le roman se déroule à Brazzaville dans les années 1960, autour du personnage du Dr Kaya, unique psychanalyste de la ville, qui reçoit sur son divan l’élite du pays : ministres, juges, hauts responsables, tous épuisés par des questions existentielles, terrifiés par l’avenir, méfiants envers le présent, et hantés par les blessures du passé.
En toile de fond, le pays est plongé dans le traumatisme post-colonial, dans un contexte de profonds bouleversements sociaux et politiques, et de rêves brisés. Le récit mêle personnages fictifs et figures réelles dans un style littéraire élégant qui restitue les tourments identitaires et intellectuels d’une époque éprise de liberté mais confrontée à la dureté de la réalité.
M. Mackenzi explique : “Le roman parle des peurs face à l’avenir, des regrets du passé et des interrogations du présent”, précisant que son œuvre dépasse la simple reconstitution historique pour plonger dans la construction de la conscience individuelle et collective en Afrique.
« L’Analyste de Brazzaville » n’est pas seulement un roman politique, mais aussi un témoignage humain sur une époque où les droits humains et les libertés étaient un rêve partagé, avant de s’effriter dans le tumulte des désillusions.
+ « Le malhoun » entre documentation et chant au Salon du livre de Rabat +
Au sein des espaces d’expressions artistiques et créatives, le Conseil national des droits de l’Homme a organisé une soirée dédiée à la célébration du « malhoun », pilier du patrimoine oral marocain, en présence du chercheur et spécialiste Nourredine Chamas et de l’artiste marocaine Majda El Yahyaoui.
La rencontre, à la fois artistique et érudite, a débuté par l’intervention de Nourredine Chamas, membre de la Commission du Malhoun de l’Académie du Royaume du Maroc et président de la Ligue nationale des associations du « malhoun ». Il a présenté un exposé riche sur les définitions du « malhoun », qui varient selon les écoles (fassi, jirari, etc.). Certaines le définissent comme “la parole éloquente”, d’autres comme “une erreur grammaticale”, tandis que d’autres encore l’envisagent sous un prisme purement musical.
Chamas a mentionné que des recherches ont révélé des textes de « malhoun » remontant à l’an 38 de l’Hégire, preuve de l’ancienneté de cet art qui a accompagné les mutations du Maroc depuis l’époque saadienne.
À cette occasion, il a salué l’initiative du Conseil en déclarant : “Que le malhoun soit accueilli par une institution des droits humains de ce niveau est une reconnaissance implicite de sa valeur humaine et culturelle profonde.”
Majda El Yahyaoui a, quant à elle, exprimé sa joie : “Ce genre d’initiative nous ravit, surtout après la reconnaissance récente du malhoun comme patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO à Gaborone.”
Elle a remercié le Conseil national des droits de l’Homme pour cette action qui contribue à faire découvrir cet art à un nouveau public, notamment aux nombreux jeunes présents au Salon.
La rencontre s’est terminée par une prestation musicale émouvante, où Majda El Yahyaoui a interprété le célèbre poème “Chamaâ” (“La bougie”), dans une ambiance chaleureuse mêlant poésie, chant et mémoire marocaine authentique.
+ Écriture féminine amazighe : entre traversée de soi et confidence de la douleur +
Lors de ces mêmes activités, la voix féminine amazighe a été mise en lumière à travers deux figures littéraires : la poétesse rifaine Hayat Boutrfass avec son recueil Azko (Traversée), et la romancière Khadija Marki avec son recueil de nouvelles Timikht n Zellaz (Goutte de pauvreté). Deux rencontres littéraires mêlant poésie et récit, Rif et Atlas, dans une célébration de l’écriture comme espace d’expression et d’existence.
Hayat Boutrfass a présenté son recueil publié en 2024 sur le stand du Conseil national des droits de l’Homme, expliquant que l’écriture en amazighe est un acte de communication intérieure et extérieure, passant par deux étapes : la fermentation brumeuse, puis la clarté de l’idée. Le recueil est ainsi une traversée poétique du personnel vers l’universel, puisant dans la profondeur de l’expérience féminine et rifaine.
De son côté, Khadija Marki a décrit l’écriture comme un “aveu de l’indicible” et un “refuge de l’évasion consciente”. Ses récits, écrits dans une langue réaliste et sensible, capturent les détails du quotidien précaire du Moyen Atlas, non seulement comme une tragédie économique, mais aussi comme une situation sociale et psychologique.
Ce qui réunit ces deux expériences est l’écriture comme acte de résistance douce contre la marginalisation et l’oubli, et comme volonté d’ancrer la présence féminine amazighe au cœur de la scène culturelle marocaine.
Par Boutaina Taki