Par Ali Bouzerda
« Lève-toi pour le maître et rends-lui hommage… Le maître est presque un Messager », écrivait le prince des poètes Arabes, Ahmed Chawki.
Autrefois vénéré, l’enseignant incarnait un guide, un transmetteur de savoirs et un éclaireur d’esprits quasi prophétique. Cette citation résonne aujourd’hui avec une amertume particulière, tant le statut de l’enseignant semble fragilisé, voire sous-estimé.
Le 27 mars 2025 à Erfoud, au sud-est du Maroc, Mlle Hajar, enseignante de français dans un institut de formation professionnelle, a été violemment agressée par un élève de 21 ans à l’aide d’une arme blanche. Plongée dans un coma profond, elle a succombé à ses blessures quelques jours plus tard malgré les efforts des médecins. Le décès de cette enseignante dans la fleur de l’âge jette une lumière crue sur la condition des enseignants chez nous.
Dans un contexte social marqué par une perte de repères, l’enseignant se heurte à une jeunesse déconnectée du sens de l’école. M. Noureddine Daoudi, enseignant à la retraite, décrit, dans une lettre ouverte partagée sur les réseaux sociaux, un système à bout de souffle : « enseignants démotivés, élèves indisciplinés, administration laxiste. La classe devient un théâtre d’absurdité où l’enseignant parle dans le vide. »
« Le tableau ressemble à une farce : l’enseignant parle avec passion, l’élève est absent… tout en étant présent », affirme-t-il.
Voilà où nous en sommes. L’enseignant enseigne dans le vide, face à des visages absents, connectés au monde, mais déconnectés du réel. Les cours deviennent des monologues. L’élève ne veut plus apprendre. L’école n’est plus perçue comme un tremplin, mais comme une punition. Pire : l’enseignant devient le bouc émissaire d’un système à la dérive, s’insurge-t-il.
M. Daoudi ne mâche pas ses mots : « C’est la génération des smartphones, qui ne dort qu’au lever du jour, les yeux rivés sur TikTok et Snapchat, noyée dans un contenu vulgaire, perdue dans un vide de valeurs. »
Ce n’est pas seulement une critique. C’est un constat amer. Nos jeunes sont pris au piège dans cette nouvelle culture virtuelle de l’immédiat, où l’effort intellectuel est remplacé par la dopamine numérique, où l’admiration va aux influenceurs, non aux penseurs. Que peut encore l’école dans ce contexte ? Et surtout : que fait-on pour y remédier ?
Le laxisme n’est plus une faiblesse. C’est une politique assumée.
« Plus de véritables conseils disciplinaires, plus d’exclusions ni de suspensions, juste des “activités alternatives” : jardinage, dessin, reboisement… », relève ce même enseignant tout en tirant la sonnette d’alarme.
Comme si ceux qui insultent, frappent ou humilient leurs enseignants devaient être rééduqués par les crayons de couleur. On ne répare pas une fracture avec une caresse. À force de vouloir adoucir les sanctions, on a désarmé l’école, et livré les enseignants à la loi du plus fort.
On se rappelle, il n’y a pas si longtemps, cette vidéo qui a fait le buzz où un lycéen boxait son professeur en classe, avant que les élèves n’interviennent pour sauver le pauvre enseignant.
À ceux qui parlent de “réorganisation”, de “nouvelles pédagogies”, de “digitalisation de l’école”, rappelons ceci : l’école n’est pas une vitrine, c’est une forge où parfois les élèves seront obligés de passer sous des fourches caudines pour accéder au savoir et à la connaissance. L’école ne peut rien sans discipline, sans transmission, sans valeurs.
L’exemple du Japon, de la Corée du Sud, de la Chine, de Singapour et autres… doit nous interpeller. Certains de ces pays étaient au même niveau de développement économique dans les années 50 du siècle dernier, et même pire… Le secret de leur réussite réside tout simplement dans l’éducation, la discipline et la rigueur.
Chez nous quand on parle entre enseignants du « dress code » au sein des établissements scolaires, comme étant un élément clef dans le système pédagogique, certains responsables du secteur font la sourde oreille ou s’en moquent tout simplement. Combien de fois ils ont découvert sur la Toile, le scandale de certains parents qui encouragent leurs rejetons à user de tous les stratagèmes pour tricher à l’examen du baccalauréat. Ils sont même allés jusqu’à menacer, de violence physique, les enseignants et surveillants de cet examen barrage, s’ils intervenaient pour empêcher les tricheurs ou les dénoncer… Kafka doit se retourner dans sa tombe !
Messieurs, il est temps de dire stop. Stop à la démission politique, à l’amateurisme et au laisser-aller…
Mutatis Mutandis
Le budget global du ministère de l’Education nationale du préscolaire et des sports s’élève à l’équivalent de 8,5 milliards de dollars en 2025. Le chef de gouvernement Aziz Akhannouch a choisi, il y a quelques mois, comme ministre pour gérer ce département tentaculaire, un fondateur d’une firme de confiserie casablancaise, devenue un acteur majeur dans le secteur agroalimentaire au Maroc. Lors d’une scène insolite au Parlement, monsieur « chocolat » était incapable de répondre aux questions de jeunes « députés » sur la problématique l’IA et son impact sur l’enseignement public, et ce, lors d’une séance live des questions / réponses.
No comment !
Article19.ma