Opinion – Abdellatif Ouahbi, un ministre qui ne mâche pas ses mots

Par Najiba Jalal


Dans un discours à la fois caustique et percutant, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi brise les codes du langage politique pour évoquer sans détour des vérités qui dérangent de son mandat.

Lors d’une récente rencontre officielle, M. Ouahbi, a commencé son discours par une phrase d’autodérision, qui n’a pas tardé à être sujette à interprétation et déformation médiatique :

« Je suis un avocat qui a longtemps travaillé sur des affaires pénales, et il semble qu’on m’ait nommé ministre soit parce que j’étais un raté, soit parce qu’on voulait se débarrasser de moi. »

Cette phrase peut sembler être une simple plaisanterie, mais elle va bien au-delà. Elle constitue un moment symbolique, empreint d’une lucidité ironique qui invite à la réflexion.

M. Ouahbi, issu du monde du barreau plutôt que des salons politiques, a eu recours à l’arme de l’autodérision pour briser la rigidité du protocole et confronter son auditoire à une réalité qu’il connaît intimement : la responsabilité ministérielle n’est pas un honneur, mais une épreuve difficile — surtout à la tête d’un ministère où les calculs politiques croisent les verdicts judiciaires, et où le passé s’emmêle au présent.

Ce n’était ni un lapsus ni une plaisanterie gratuite, mais une entrée habile dans un discours différent, où le ministre voulait affirmer qu’il n’est pas comme les autres. Il n’a ni les mêmes antécédents, ni la même langue de bois. Il parle en homme de terrain, ayant arpenté pendant des années les coulisses des tribunaux, conscient de la complexité du réel, de la douleur de l’injustice, et du sens profond de l’équité.

Mais certains médias n’ont pas manqué de saisir l’occasion pour détourner ses propos de leur contexte.

Fidèles à une pratique devenue habituelle, certains organes de presse se sont empressés d’extraire cette phrase de son contexte, l’utilisant comme prétexte à une nouvelle campagne de désinformation.

Une campagne qui ne cible pas seulement M. Ouahbi, mais aussi l’idée même d’un ministre différent, directe, qui refuse de se dissimuler derrière des masques. Ce phénomène ressemble de plus en plus à une forme de “journalisme paresseux” ou même à une nouvelle branche du “journalisme de désinformation”, fondée non pas sur l’analyse mais sur le piège médiatique.

Cependant, dès que Ouahbi eut capté l’attention avec cette ouverture ironique, il enchaîna avec des réflexions profondes sur son expérience ministérielle. Il parla en avocat plus qu’en ministre, notamment lorsqu’il affirma que la question des droits des femmes est une priorité fondamentale, s’appuyant sur l’annonce royale concernant la réforme du Code de la famille.

À cette occasion, il a souligné que la valorisation du travail domestique des femmes ne doit pas se limiter à un simple symbole, mais qu’elle représente une position éthique et juridique majeure, marquant une évolution dans la perception sociale.

Il aborda ensuite un sujet souvent absent des discours officiels : le recul préoccupant des droits des migrants et des minorités, qualifiant cette situation de “terrifiante”.

Il ne s’est pas contenté d’un constat, évoquant aussi le prix personnel qu’il paie pour ses prises de position audacieuses, accusé — selon ses propres mots — de blasphème ou d’être un ennemi des traditions. Pourtant, il persiste, affirmant que le véritable avocat ne cède pas à la pression populaire, mais se tient du côté de la justice, quel qu’en soit le coût.

Sur le plan international, M. Ouahbi a soulevé une contradiction flagrante dans les relations du Maroc avec ses partenaires occidentaux : on lui demande constamment d’ouvrir ses frontières aux capitaux et aux entreprises, tout en lui imposant de reprendre les migrants. Il s’est interrogé, non sans amertume :

« Sommes-nous un supermarché dont on prend ce qui plaît et qu’on rejette aussitôt ce qui dérange ? » — une critique de l’attitude sélective et déséquilibrée de l’Occident, qui contribue à une injustice mondiale.

Enfin, il conclut son intervention en affirmant que le Maroc aussi a besoin de ses compétences — médecins, ingénieurs, chercheurs — formés à grands frais par l’État. Il n’est pas juste que le pays soit réduit à un simple “fournisseur” de talents pour le reste du monde, sans retour équitable.

En somme, le discours d’Abdellatif Ouahbi fut franc, parfois dérangeant, mais authentique. Il ne cherchait pas l’ovation facile, mais voulait laisser une empreinte durable : celle d’un ministre qui ose parler quand d’autres se taisent, et qui affronte la désinformation avec une vérité sans détour.

Ainsi est M. Ouahbi : il peut choquer par certaines de ses déclarations, et l’on peut ne pas toujours partager son ton ou son style, mais il met sur la table de vraies questions. Il mène ses combats en tant que responsable, non en démagogue. Et à l’approche de la réforme du Code de la famille, il semble bien que les eaux troubles de l’immobilisme soient en train d’être remuées, révélant au grand jour ceux qui préfèrent la confusion aux réformes sérieuses.

Source: Express TV

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