Par Ali Bouzerda
« Les propos des sages sont exempts d’absurdité » (كلام العقلاء منزه عن العبث), nous enseigne le proverbe arabe. Et pour cause : ces derniers temps, plusieurs personnalités influentes sur la scène politique marocaine, notamment Nizar Baraka et Nabil Benabdallah, ont déclenché une polémique sur la question épineuse des prix de la viande rouge, notamment l’importation subventionnée des bovins et des ovins.
Une chose est sûre, il n’y a ni élections législatives dans l’immédiat ni sacrifice de moutons à l’occasion de la fête de l’Aïd Al-Adha. Et pourtant, la controverse continue de s’intensifier.
En fait, de quoi s’agit-il au juste ?
Débat sur les soutiens publics : Nabil Benabdallah vient de dévoiler les chiffres officiels, selon nos confrères du site arabophone alyaoum24.com:
Dans un post publié sur Facebook, le leader du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS – opposition) a écrit : « Pour éclaircir cette question, devenue une préoccupation d’opinion publique, il ressort d’un document officiel que le montant total des exonérations fiscales a atteint 13,3 milliards de dirhams, et que le nombre total des importateurs bénéficiaires est de 277. »
Un pavé dans la mare
Ancien ministre de la Communication, Benabdallah a tenu à appeler « un chat noir », un chat noir et pas autrement. Ainsi, il a répondu du tac au tac à la récente déclaration de Talbi Alami, président de la Chambre des représentants et membre influent du Rassemblement national des indépendants (RNI), parti du chef de Gouvernement, Aziz Akhannouch.
Talbi Alami a affirmé lors d’un débat public à la Fondation Lafqui Titouani à Rabat, que, contrairement à ce qu’avait dévoilé Nizar Baraka, le secrétaire général du parti de l’Istiqlal (membre de la coalition gouvernementale), « l’aide de l’État s’élève à 300 millions de dirhams et non 1,3 milliard comme prétendu, et qu’elle concerne 100 importateurs et non 18 ».
En d’autres termes, une affaire de gros sous, car convertis en dollars, ces hommes politiques disputent les chiffres, qui varient entre 30 millions et 1,3 milliard…une sacrée différence.
Nabil Brnabdallah a expliqué à ses lecteurs, chiffres à l’appui, le topo de la situation comme suit : pour ceux qui souhaitent vérifier ces informations, il les renvoie aux pages 84 et 196 du document officiel intitulé « Données et informations supplémentaires demandées par les groupes parlementaires à la Chambre des Représentants », suite à une demande d’éclaircissements en octobre 2024 dans le cadre du débat au parlement sur le projet de loi de finances 2025.
Les exonérations et avantages accordés par le gouvernement, tels que décrits dans le document du Ministère des Finances, sont détaillés comme suit :
Importation de bovins :
- Suspension des droits de douane sur les bovins domestiques (21 octobre 2022 au 31 décembre 2024) pour un maximum de 120 000 têtes : 7,3 milliards de dirhams.
- Prise en charge par l’État de la TVA à l’importation (3 février 2023 au 22 octobre 2024) pour 120 000 têtes : 744 millions de dirhams.
- Nombre total de bénéficiaires : 133 importateurs (21 octobre 2022 – 22 octobre 2024).
Importation d’ovins :
- Suspension des droits de douane sur les ovins (février 2023 au 18 octobre 2024) : 3,86 milliards de dirhams.
- Prise en charge par l’État de la TVA à l’importation (10 février 2023 au 18 octobre 2024) : 1,16 milliard de dirhams.
- Suspension supplémentaire des droits de douane et de TVA (19 octobre 2024 au 31 décembre 2024) : 15,7 millions de dirhams (droits de douane) et 1,6 million de dirhams (TVA).
- Nombre total de bénéficiaires : 144 importateurs (10 février 2023 – 22 octobre 2024).
Soutien forfaitaire pour l’importation d’ovins à l’occasion de l’Aïd al-Adha 2024 :
- Nombre total d’ovins importés : 474 312 têtes.
- Montant du soutien forfaitaire : 500 dirhams par tête, totalisant 237 millions de dirhams.
Résultat des courses :
Comme mentionné par Nabil Benabdallah, la somme totale des exonérations et soutiens évoqués ci-dessus s’élève à environ 13,3 milliards de dirhams ($130 millions).
En attendant une clarification officielle en bonne et due forme, une chose est certaine : malgré ces millions de dirhams ou de dollars, argent des contribuables marocains, le prix de la viande est encore cher et au-dessus de la barre des 100 DH/kg (date du 30 mars 2025).
En principe, le consommateur marocain aurait dû bénéficier de ces aides « sélectives », mais malheureusement, ce sont « les prédateurs » qui en profitent en toute impunité.
De son côté, Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce a fustigé « la concentration » du marché entre les mains d’une poignée d’acteurs : « 18 importateurs de viande rouge ne doivent pas tenir en otage 37 millions de Marocains », avait-il déclaré sur Medi1 TV.
In fine, on pointe du doigt « l’absence de conditions imposées » à ces subventions faramineuses par le gouvernement Akhannouch.
En attendant que Ssi Mustapha Baïtas, porte-parole de ce gouvernement hétérogène, daigne se donner la peine de nous éclairer, les spéculations vont bon train.
À noter, Ssi Baïtas semble admirer plutôt la viande de chameau, surtout après son retour du pèlerinage à la Mecque en juin 2023. D’ailleurs, lors de cette occasion, qui a fait le buzz, il a bénéficié en tant que Haj de dons en nature : des dizaines de chameaux « dents de lait » de la part de ses « admirateurs » au sein des tribus de Guelmim.
Les mauvaises langues disent que le fait que chaque donateur ait marqué son nom sur son chameau indique une dimension « personnalisée ou politique » derrière ces gestes.
No comment!
Article19.ma