Par Ali Bouzerda
L’adage populaire nous enseigne : « Quand les taureaux s’affrontent au printemps, c’est l’herbe et les fleurs autour qui en pâtissent. » Cette image illustre avec acuité la situation des journalistes marocains à Washington, pris dans l’engrenage d’une lutte politique acharnée entre l’administration Trump et les médias publics américains.
Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump n’a cessé de critiquer la chaîne Voice of America (VOA) et d’autres médias financés par l’État fédéral, les accusant de « partialité en faveur de la gauche ». Le 17 mars, les tensions ont atteint leur paroxysme lorsque Michael Abramowitz, directeur de VOA, a déclaré que son institution s’opposait au « totalitarisme, à la tyrannie et à l’autorité ». Cette prise de position a été perçue comme une provocation par la Maison-Blanche, offrant à Trump le prétexte idéal pour agir, surtout qu’il était depuis longtemps « allergique » aux journalistes qui refusent jouer aux « violonistes » de l’ère de l’Ordre Nouveau.
Par un simple décret présidentiel, Trump a ordonné le démantèlement de l’US Agency for Global Media (USAGM), l’organisme supervisant VOA, Al-Hurra, Radio Free Europe, Radio Free Asia et d’autres médias internationaux américains. Cette décision a plongé plus de 1 300 journalistes et techniciens dans une situation précaire, sous couvert d’un « congé payé », un euphémisme masquant des licenciements massifs.
Les journalistes marocains face à l’incertitude
Parmi les victimes de cette purge, plusieurs dizaines de journalistes marocains se retrouvent dans une incertitude totale. La nouvelle directrice de l’USAGM, proche alliée de Trump, a immédiatement annoncé la suspension de tout financement supplémentaire, arguant que ces médias étaient devenus « inutiles ».
« Des centaines de millions de dollars sont dépensés dans des entreprises de fausses informations, un produit qui répète souvent les arguments des adversaires de l’Amérique », affirme de son côté, sa conseillère républicaine au sein de l’USAGM.
Fondée en 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, la VOA a pourtant été un pilier de la diplomatie américaine, accueillant des figures emblématiques comme Dwight D. Eisenhower, Ronald Reagan et George W. Bush. Mais pour Trump et ses conseillers, elle n’est plus qu’un bastion de la gauche, justifiant ainsi sa mise à l’écart et sa fermeture, exactement ce qui se passe actuellement avec le ministère de l’Education.
Au-delà des enjeux politiques, ce sont les répercussions humaines qui préoccupent. Aux États-Unis, le principe de « l’emploi à volonté » permet aux employeurs de licencier leurs salariés sans motif précis. Si certains employés syndiqués peuvent contester ces décisions en justice, les démarches sont longues, coûteuses et incertaines.
Un drame social en pleine année scolaire
Pour les journalistes marocains, la situation est d’autant plus critique que leurs salaires étaient bien inférieurs à ceux de leurs homologues d’Al Jazeera ou d’autres grandes chaînes internationales. Beaucoup doivent désormais faire face à des difficultés financières croissantes, tout en subvenant aux besoins de leurs familles.
Le timing de ces licenciements aggrave encore la situation. Avec des crédits immobiliers à rembourser et des loyers exorbitants à Washington, de nombreux journalistes risquent de perdre leur logement. Pire encore, ceux qui ne disposent ni de la nationalité américaine ni d’une carte de résident permanent (Green Card) sont contraints d’envisager un retour forcé au Maroc, synonyme de réinsertion professionnelle difficile et de bouleversements familiaux.
La réinsertion aux États-Unis ou au Canada reste théoriquement « possible », mais les opportunités dans le secteur médiatique sont rares, et les restrictions liées aux visas compliquent davantage les choses. Comme l’a résumé un journaliste marocain avec une ironie amère : « Que doit-on faire ? Transformer nos véhicules en Indrive ou chercher un boulot dans une pizzeria ?»
Ce drame humain, fruit d’un jeu de pouvoir, rappelle que derrière chaque décision politique se cachent des vies bouleversées.
Une affaire à suivre de près…
Article19.ma