Édito – Au Maroc, « les prédateurs » ont-ils des limites ?

Par Ali Bouzerda


La sagesse populaire nous enseigne que « quand les vautours volent bas, la tempête est proche ». Cette métaphore, qui illustre la capacité à repérer les signes avant-coureurs de mauvais augure, semble particulièrement pertinente face à la situation économique actuelle au Maroc.

Dans la jungle, les prédateurs chassent pour se nourrir, et une fois rassasiés, ils ne tuent pas par plaisir. Il existe un code tacite qui régit la vie sauvage. Mais dans le milieu des affaires chez nous, les prédateurs ne semblent pas avoir de freins.

Le dernier rapport du Conseil de la Concurrence sur l’évolution des marges brutes des distributeurs de carburants pour le troisième trimestre de 2024 met en lumière une situation préoccupante. Selon ce rapport, les marges brutes des distributeurs ont connu une « hausse notable », s’accompagnant d’une progression des volumes de ventes et des importations.

Les chiffres sont clairs : les marges brutes moyennes pour le gasoil et l’essence ont atteint 1,46 dirham par litre et 2 dirhams par litre, respectivement, contre 1,21 dirham et 1,79 dirham au trimestre précédent.

L’augmentation des marges commerciales brutes des distributeurs de carburants, observée au cours du troisième trimestre de 2024, suggère un effet de rattrapage par rapport au trimestre précédent.

Toutefois, ce phénomène soulève des interrogations sur la réalité des coûts pour les consommateurs marocains. En comparaison avec les prix des carburants chez nos voisins du Nord de la Méditerranée, le Maroc semble se distinguer par des prix excessivement élevés, bien au-delà de ce que le niveau de vie moyen et le SMIG pourraient supporter.

Le marché marocain des carburants est dominé par 31 sociétés impliquées dans l’importation de produits pétroliers liquides. Cependant, 9 entreprises de distribution — dont Afriquia, propriété du chef de gouvernement Aziz Akhannouch — représentent près de 84% du volume et de la valeur des importations de carburants durant ce troisième trimestre. Ce groupe de « neuf sœurs » semble détenir une position de pouvoir écrasante, mais cela pose la question : où est le problème ?

Le problème réside dans l’accessibilité des carburants pour la population marocaine. Avec des prix de l’essence et du gasoil constamment en hausse, la facture est de plus en plus lourde pour le citoyen moyen.

L’impact direct de cette situation se fait ressentir dans le coût du transport des marchandises et des services, ce qui, in fine, fait grimper le prix des denrées de première nécessité. Le Marocain lambda, dont le salaire dépasse à peine le SMIG ou l’équivalent de 300 dollars par mois, se trouve pris au piège d’une spirale inflationniste.

Cette situation s’est aggravée depuis l’arrivée d’Akhannouch à la tête du gouvernement. Les prix de tous les produits consommation ne cessent de grimper, et les politiciens de son camp pointent sans cesse la « conjoncture internationale » comme bouc émissaire, justifiant ainsi les hausses successives des prix des carburants et des taxes…

Les citoyens sont contraints de subir une politique économique qui semble prioriser les intérêts des « puissants » et des spéculateurs au détriment de leur pouvoir d’achat.

+ Messieurs, la patience des pauvres a des limites… +

Et sans prétendre avoir « une boule de cristal », la Coupe du Monde 2030, un événement tant attendu par « les prédateurs », va attirer des millions de touristes à la découverte de « plus beau pays du monde », mais il va aussi déclencher une flambée des prix dans nombreux secteurs y compris de la restauration et de l’hôtellerie, entre autres.

Actuellement, le citoyen marocain est choqué par le prix de la sardine qui a atteint dans les marchés populaires 30 DH/kg sans parler des prix scandaleux de la viande rouge.

L’autre jour, une « junior minister » du Cabinet Akhannouch a avoué publiquement qu’au Maroc, le prix de la sardine « ne doit pas dépasser 20 DH/kg ». Oui Madame la ministre, vous avez tout à fait raison. D’ailleurs, les manifestants qui arpentent les avenues des grandes villes chaque semaine chantent ce slogan qui reflète une triste réalité : » جوج بحورا، والعيشة مقهورا »(Le Maroc est entouré de deux mers, et la vie y est amère).

« Les rapaces » économiques, comme l’a bien décrit l’écrivain Tahar Benjelloun dans une récente chronique, soutenus par des spéculateurs voraces et intouchables, trouvent un terrain fertile dans ce contexte.

Tout ce « beau monde » cherche à maximiser ses profits de manière agressive, souvent au détriment du bien-être collectif. Les entreprises prédatrices dans le cadre d’un libéralisme débridé, pour ne pas dire « un capitalisme sauvage », semblent avoir tous les leviers nécessaires pour contrôler une large part du marché et étouffer la concurrence.

Le Maroc, comme beaucoup d’autres nations, se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, les impératifs de croissance et de développement économique. De l’autre, l’impérieuse nécessité de protéger les plus fragiles dont la patience a des limites et afin de garantir un accès équitable aux ressources essentielles, comme l’énergie, un paramètre fondamental dans la fluctuation des prix.

N’est-il pas grand temps de mettre en place des instruments de contrôle et de dissuasion plus strictes et d’imposer des limites à ces « prédateurs » économiques, avant le tonnerre ?

À bon entendeur, salut!

Article19.ma