Par : Ornella Sukkar *
Le Liban, qui a toujours été un terrain de tir pour des tensions politiques et économiques, fait face à de grands défis sur plusieurs fronts. Après des années de crises financières et économiques colossales, d’interventions régionales et internationales, de corruption endémique, de guerres civiles, ainsi que des erreurs stratégiques liées à ce qui est appelé le « Front de soutien », qui ont conduit le pays à la destruction sous prétexte de combattre l’occupation et de soutenir Gaza ou ce que l’on désignait sous le nom de « l’unité des fronts fictifs », qui s’est avérée être une simple manipulation médiatique ayant mené à l’explosion du port et à la martyrisation du Sayyed Nasrallah, un leader et un symbole des chiites radicaux à tendance politique islamique.
Les expériences passées ont montré que l’incapacité du Liban et les blocages historiques étaient principalement liés à une idéologie défaite, incarnée par ce parti qui a persisté pendant des décennies à travers une culture du déni et de l’hostilité envers Israël, tout en élevant un discours de désir irréaliste sans avoir jamais concrétisé ces ambitions ou créé une expérience surclassant Israël.
Dans ce contexte, l’idée d’un « gouvernement technocratique » a émergé comme une solution temporaire susceptible de rétablir une partie de l’équilibre économique et politique du Liban. Un gouvernement composé de spécialistes que certains considèrent comme non-politiciens et non-partisans, mais qui depuis le début a dû faire face à une route semée d’embûches. Cet article examine l’expérience libanaise avec ce modèle de gouvernement, en se demandant quelles sont les opportunités et les problèmes qui l’entourent.
+ Le gouvernement technocratique : définition et naissance +
Le gouvernement technocratique se compose d’experts dans divers domaines comme l’économie, les finances, la santé, l’éducation et la justice, dans le but de proposer des solutions efficaces, loin des affiliations politiques et confessionnelles qui dominent la politique libanaise.
Cette idée a pris forme après la crise économique qui a frappé le Liban, conduisant aux manifestations du 17 octobre 2019, qui ont réclamé la formation d’un gouvernement technocratique pour apporter des changements fondamentaux dans le système politique et économique.
Cependant, la question demeure : un gouvernement technocratique peut-il être efficace dans un environnement libanais dominé par le confessionnalisme, la corruption et les pratiques de clientélisme et de partage des postes selon les sectes ?
+ Les défis internes : le confessionnalisme et le clientélisme +
L’un des plus grands défis auxquels le gouvernement technocratique doit faire face est le système confessionnel qui domine la vie politique et sociale du Liban. Ce système impose la distribution des postes gouvernementaux selon les communautés religieuses, ce qui empêche toute administration, même technocratique, de sortir du cercle vicieux de la politique de partage des pouvoirs.
Ainsi, un gouvernement technocratique pourrait être contraint de satisfaire les exigences des partis confessionnels au détriment des priorités réformatrices. En outre, la politique et l’économie au Liban sont intimement liées ; les grandes forces politiques contrôlent les secteurs économiques majeurs, ce qui empêche la mise en œuvre des réformes économiques nécessaires. Les défis économiques : réformes et exigences internationales
Le Liban fait face à une crise économique grave, caractérisée par une dette énorme, un effondrement de la monnaie, une dégradation du niveau de vie et de la corruption dans les ministères, en particulier dans le système judiciaire.
Cette crise nécessite des réformes structurelles profondes dans des secteurs clés tels que l’électricité, le système bancaire et la lutte contre la corruption. Toutefois, la mise en œuvre de ces réformes ne peut se faire sans un soutien international.
La communauté internationale, à travers des institutions comme le Fonds Monétaire International (FMI), impose des conditions strictes, plaçant ainsi le gouvernement technocratique sous une pression considérable. Bien que les technocrates adoptent des politiques économiques plus efficaces, ils se heurtent à la résistance des partis politiques qui perçoivent ces réformes comme une menace pour leurs intérêts.
Dans un entretien avec le Dr. Makram Rabah, professeur d’histoire à l’Université Américaine de Beyrouth et analyste pour le site « Article19.ma », il affirme : « Le gouvernement du président Joseph Aoun et du Premier ministre désigné Nawaf Salam fait face à de nombreux obstacles, car le gouvernement libanais est habitué à la politique du partage des pouvoirs. Le succès de ce gouvernement dépend de la compétence de son soutien politique et du cadre qui lui est donné pour éviter tout retour à cette pratique.
En outre, la nomination du président Joseph Aoun et du Premier ministre désigné Nawaf Salam a été influencée par un consensus externe, en raison de l’impression qu’ils étaient des personnalités dignes de confiance et intègres. Cependant, l’astuce de la classe politique, en particulier du duo chiite, a conduit à l’échec de la nomination de Najib Mikati, remplacé par Nohad Salam, un nom désormais accepté par les blocs politiques souverainistes. »
Il poursuit : « Dans ce contexte, il est évident que le gouvernement technocratique ne réussira pas, car ces gouvernements manquent souvent de la dimension politique nécessaire pour prendre des décisions cruciales. Bien que les technocrates puissent être compétents sur le plan technique, le pays a besoin d’une décision politique forte et d’efforts administratifs qui respectent les principes démocratiques inscrits dans la Constitution libanaise. Ainsi, des réformes profondes sont nécessaires pour remettre le Liban sur la voie de la normalité et pour renforcer ses institutions. » Les pressions régionales et internationales
D’autre part, un gouvernement technocratique ne peut fonctionner en isolation, loin de l’environnement régional et international. Les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite jouent un rôle majeur dans la formation de la politique interne libanaise, et le Hezbollah est un acteur clé dans l’équation libanaise. Cependant, la position du Hezbollah reste basée sur l’ancienne rhétorique d’un spirituelisme paralysant, sans prendre en compte que des équations profondes ont changé, et que le régime syrien, corrompu et défaillant, qui a longtemps dominé, est désormais effondré. De même, l’Iran n’a plus l’influence qu’elle exerçait sur les quatre capitales arabes comme autrefois.
Par conséquent, un gouvernement technocratique qui cherche à adopter une politique neutre pourrait être confronté à des pressions considérables de ces puissances régionales. De plus, les réformes économiques nécessitent une coordination avec la communauté internationale, ce qui ajoute un défi supplémentaire : tout réajustement au Liban est soumis à des dictats occidentaux qui obligent le pays à respecter des conditions rigides en vue de sa reconstruction et de son soutien économique.
+ Le gouvernement technocratique réussira-t-il au Liban ? +
Le succès du gouvernement technocratique dépend de plusieurs facteurs, principalement de sa capacité à établir un consensus politique entre les parties en conflit. Si le gouvernement échoue à mettre en place de véritables réformes, il continuera à faire face à la résistance des forces traditionnelles qui bénéficient du système actuel. Bien que le gouvernement technocratique puisse être un pas vers le changement, il ne constitue pas une solution miracle.
La crise que traverse le Liban nécessite des réformes structurelles profondes du système politique et économique.
+ Conclusion +
Le gouvernement technocratique au Liban représente une étape vers le changement, mais il se heurte à de nombreux défis internes et externes. La réussite de ce gouvernement dépend de plusieurs facteurs essentiels, notamment le soutien politique interne, le consensus national et le soutien international.
Finalement, ce gouvernement pourrait bien marquer le début d’une transformation réelle vers un État de droit et de souveraineté, mais son succès sera conditionné par sa capacité à surmonter les obstacles politiques, économiques et confessionnels.
Ce qui est sûr, c’est que le Liban entre dans une phase historique sans précédent, se détachant lentement de l’héritage du « Pacte du Caire » de 1969, de l’hégémonie iranienne de 1979 et des armes de la résistance. Le Liban semble aujourd’hui engagé sur une nouvelle voie : celle du redressement et de la guérison, loin des guerres et des destructions, et se dirigeant vers un Moyen-Orient de l’économie, du développement, de l’intégration et de la paix, tout en retrouvant sa place naturelle dans le « giron arabe ».
* Ornella Sukkar, journaliste spécialisée dans les relations internationales et les études orientales, directrice du site « Générations du XXIe siècle ».
Article19.ma