Donald Trump ou la rhétorique d’un nouvel impérialisme américain Lors d’une conférence de presse en Floride, mardi, le président élu a réitéré ses ambitions territoriales, en évoquant le canal du Panama, le Canada et le Groenland.
Il n’a pas écarté l’idée de coercition pour obtenir gain de cause. On a souvent représenté, à tort, le trumpisme comme un isolationnisme. Si cette tendance existe dans une partie de la droite américaine, elle ne dit rien des ambitions territoriales que nourrit le président élu.
Lors d’une nouvelle conférence de presse à West Palm Beach, en Floride, mardi 7 janvier, Donald Trump a réitéré l’idée d’une expansion américaine, qui validerait la promesse d’un « âge d’or » faite aux électeurs. Elle concernerait – dans un monde de fantasmes géopolitiques à ce stade – le canal de Panama, le Canada et le Groenland.
Tout commence par des doléances
L’Amérique serait victime de sa générosité, de sa naïveté. Le premier exemple en serait le canal de Panama. Donald Trump a, une nouvelle fois, longuement évoqué la construction pharaonique de cette œuvre, qui représenterait « plus de 1 000 milliards de dollars au cours actuel » (966 milliards d’euros). Le président élu a cité le nombre d’ouvriers morts de la malaria sur ce chantier (soit 38 000) avant de dénoncer la décision du démocrate Jimmy Carter, en 1977, de transférer le contrôle du canal.
« Nous ne l’avons pas donné à la Chine et ils en ont abusé », a-t-il dit, se plaignant des taxes sur les bateaux de commerce et les navires militaires américains. Victime, l’Amérique le serait encore avec le Canada.
Donald Trump a dénoncé le coût de la protection américaine – « des centaines de milliards de dollars par an » –, sans que l’on sache à quoi correspond ce chiffre.
Exagérant une nouvelle fois l’ampleur du déficit commercial avec ce pays (41 milliards de dollars en 2023), Donald Trump a souligné que les Etats-Unis n’avaient besoin d’aucune importation canadienne, ni pour les produits laitiers ni pour le bois.
« Nous avons le droit de ne pas les aider dans leurs difficultés financières », a-t-il souligné. Usage de la force ces dernières semaines, Donald Trump avait qualifié le premier ministre canadien, Justin Trudeau, de simple « gouverneur » et évoqué le rattachement de son pays, comme 51e Etat.
Jusqu’où irait-il ?
Le président élu envisage seulement « la force économique », dans le cas du voisin du Nord. Pas de plan d’invasion à ce stade, donc.
« Le Canada et les Etats-Unis, ce serait vraiment quelque chose. On se débarrasserait de cette ligne tracée artificiellement et on regarderait à quoi cela ressemblerait. Et ce serait bien mieux pour la sécurité nationale. » Le fait même que Donald Trump n’invoque pas la volonté souveraine des Canadiens est significatif d’une idée sans avenir.
Enfin, le Groenland, territoire stratégique aux gigantesques ressources minières, est de longue date convoité par Donald Trump. En 2019, lors de son premier mandat, il en avait envisagé l’achat, présentant ce dossier comme une « grande affaire immobilière ».
Il pensait imiter ainsi Thomas Jefferson, qui avait acquis la Louisiane auprès de la France en 1803, ou encore Andrew Johnson achetant l’Alaska à la Russie, en 1867. Mais sa suggestion avait suscité alors amusement et scandale.
Six ans plus tard, Donald Trump n’écarte pas théoriquement l’usage de la force pour arracher le territoire semi-autonome, appartenant au Danemark.
« On ne sait même pas si le Danemark a des droits légaux dessus, mais s’il en a, il doit les abandonner, parce que nous en avons besoin pour une question de sécurité nationale. » Un mélange de frivolité et de brutalité à l’égard d’un allié au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Pendant que le président élu parlait, son fils aîné, Donald Trump Jr, effectuait une visite au Groenland, à bord de l’avion paternel. Il était accompagné de Charlie Kirk, fondateur de l’organisation Turning Point USA, acteur majeur du monde MAGA (« Make America Great Again »). Avec eux également, deux figures de la future administration : Sergio Gor, qui dirigera le bureau du personnel présidentiel, et James Blair, nommé chef adjoint de cabinet.
Quelques séquences avec de mystérieux partisans locaux de Trump et dans le grand froid, tels des conquérants armés de leur portable, et la mission virale était accomplie.
Le président élu, lui, en Floride, menaçait le Danemark de taxes « à un très haut niveau », s’il ne se soumettait pas à sa volonté.
Les pays de l’OTAN dans la ligne de mire
Propos à l’emporte-pièce, tactique préalable à des négociations commerciales ? Le fait même que Donald Trump adopte une grammaire de la contrainte, de la pression, voire de l’annexion, à l’égard de pays alliés, est une promesse de tourments supplémentaires pour le camp des démocraties libérales, déjà affaiblies.
Sa volonté de rebaptiser le golfe du Mexique en « golfe de l’Amérique » était, mardi, un message en soi. Ni l’histoire, ni le droit, ni les valeurs et encore moins les alliances ne compteront pour l’administration entrante, croyant plus que jamais dans les vertus de la force économique et militaire pour asseoir ses intérêts.
« Je parle de protéger le monde libre », a dit Donald Trump, pour justifier ses ambitions sur le Groenland.
Le milliardaire ne reviendra à la Maison Blanche que le 20 janvier, au terme de la cérémonie d’investiture. La préméditation de ses propos, leur répétition, leur gravité, dans la bouche d’un vétéran de la politique, disent la nature de l’administration sur le point de s’installer.
Donald Trump estime que l’ère Biden aurait été celle d’une relégation américaine, d’une perte de crédibilité et de force. Comme l’expliquent ses conseillers, le président élu cherche ainsi à repositionner les Etats-Unis comme un acteur proactif, imprévisible, capable de coups.
Les alliés et les voisins de l’Amérique ne doivent plus s’attendre au moindre égard, même si Donald Trump peut apprécier tel ou tel dirigeant, à l’image de la réception, à Mar-a-Lago, de la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni.
Toujours lors de sa conférence de presse en Floride, Donald Trump a d’ailleurs confirmé publiquement ce que les membres de l’OTAN escomptaient en privé : son administration veut fixer comme nouvel objectif de dépense en matière de défense pour les alliés 5 % du produit intérieur brut (PIB), contre 2 % actuellement.
Parmi les 32 membres de l’Alliance atlantique, 23 vont atteindre ce seuil de 2 % en 2024, un progrès considérable depuis 2018, où ils n’étaient que six. Les 5 % évoqués par Donald Trump paraissent irréalistes et ont tout d’un outil de pression.
Ils rappellent aussi que, dans sa conception du monde, tout est à vendre et à négocier. (Le Monde)
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