Opinion – Règlement des impôts ou la redoutable patrouille qui cible le portefeuille du contribuable

Par Samir Chouki


Il y a six mois, Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib avait affirmé que le montant total des transactions en espèces au Maroc s’élevait à 403 milliards de dirhams (40 milliards $), mettant ainsi en garde contre son impact négatif sur l’économie nationale. Mais ce qu’il n’a pas dit, c’est que la majorité de cette argent provient de l’épargne personnelle ou de ce qu’on appelle économiquement la « thésaurisation ».

L’argentier du royaume alertait le gouvernement Akhannouch, peut-être sans le savoir, qu’il existait un véritable « trésor » sur lequel il devait mettre la main pour peut-être renflouer les caisses. Cela se fait dans un contexte financier difficile marqué par une incapacité majeure du gouvernement à formuler des solutions créatives à sa crise financière structurelle et avec un endettement atteignant des niveaux records.

À cet égard, le génie du gouvernement a donné lieu à une circulaire, publiée il y a un an, mais dont personne n’y a prêté attention, et qui s’applique aujourd’hui. De quelle amnestie parle-t-on ?

La circulaire 735, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est à mon sens la directive financière la plus redoutable des dix dernières années, car elle met directement la main dans la poche du citoyen marocain. Si payer l’impôt est un acte de citoyenneté, certains dispositions de la circulaire prêtent à confusion, surtout en l’absence d’explications détaillées et d’une communication transparente.

1 – Actifs déposés sur des comptes bancaires :

Il n’a pas été expliqué s’il s’agissait d’actifs ou de ce qui a été collecté à partir d’activités non déclarées. Cette ambiguïté a créé une panique et une confusion qui pourrauent coûter cher au système bancaire marocain, et donc le contraire à quoi s’attendait et aspirait la Banque Centrale. Car, au lieu de pousser les Marocains à utiliser des comptes bancaires pour des opérations privées, et améliorer ainsi le taux de bancarisation, cette pratique de cibler les comptes bancaires est de nature à encourager davantage la thésaurisation, ce qui est complètement contre-productif.

2 – Actifs détenus sous forme de billets de banque :

S’agissant des cash gardé chez-soi, certains citoyens qui ont interrogé des agences de l’administration des impôts ont été informés qu’ils devraient placer leurs billets de banque sur des comptes bancaires, et procéder ensuite au paiement de 5% pour régulariser leur situation fiscale.

Que signifie demander à quelqu’un de payer un impôt sur l’épargne personnelle de toute une une vie ?

Comment forcer les gens à faire affaire à domicilier leur épargne dans les banques, alors que nombreux Marocains refusent encore de le faire, soit par manque de confiance, soit pour des raisons religieuses? S’agit-il d’une ingérence dans la liberté personnelle garantie par la Constitution et la loi ?

3 – Les biens mobiliers et immobiliers acquis et non affectés à un usage professionnel :

Dans ce cas, il s’agit d’une double imposition indue et injustifiée. Car, pour les acquisitions immobilières les frais d’imposition sont payés en amont chez le notaire frais d’enregistrement et de conservation foncière).

De cette façon, le total des impôts et frais payés à l’acquisition d’un bien immobilier atteindrait environ 10 %, ce qui est un montant énorme. Cela risque d’entraîner une récession du marché immobilier et de toutes les professions annexes, y compris les frais d’enregistrement et de dépôt, les frais de notaire, etc…

La circulaire a tout mis dans le même panier en ignorant de différencier au moins entre habitation principale et propriété secondaire, ce qui est injuste et ne reflète aucun réalisme fiscal. Enfin, il faut préciser que le paiement du montant du règlement fiscal estimé à 5% n’est pas considéré comme un chèque en blanc, car il ne dispense pas le citoyen de la procédure de contrôle de sa situation fiscale globale.
Cette décision, qui vise à récolter environ 10 milliards de dirhams ($1 millard), un montant montant qui pourrait être dépassé, comporte ainsi plusieurs risques qu’il ne faut pas sous-estimer, notamment la question de la confiance dans les banques, de la bancarisation et de la préservation du patrimoine personnel des citoyens.

Il est clair que si l’Administration fiscale se servirait directement des comptes bancaires, elle pousserait des Marocains à quitter le système bancaire, et c’est exactement le contraire qui se qui est attendu par les autorités monétaires. La thésaurisation pourrait alorsgagner des jalons.

Quant à l’administration fiscale qui attend que les propriétaires de liquidités en billets de banque les placent dans le système bancaire ou les déclarent de cette façon et dans ce contexte redouté, il font preuve de naïveté. C’est mal connaître la cartographie des milliards thésaurisés.

Les seuls qui feront affaire de cette circulaire seraient les commerçants des coffres-fort. Dernière question et non des moindres, c’est pourquoi ces importantes dispositions sont restées absentes du débat public, notamment sur les médias officiels et sur les réseaux sociaux, alors qu’il s’agit défaites majeurs touchant à l’intégrité financière du citoyen.

Et là aussi, la responsabilité du pouvoir exécutif est entière car il est le premier responsable de ce processus et de son devoir de l’expliquer aux Marocains dans ses moindres détails afin de dissiper toute confusion et risque de panique, et c’est ce qui ne s’est pas produit, malheureusement.

Source: alyaoum24.com

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