Focus – Maroc : « La sentinelle du Sahel »

Par Manuel Gath


Le Maroc est en passe de devenir un partenaire sécuritaire clé dans un Sahel en proie à des crises. Le royaume devient ainsi de plus en plus important pour l’Europe.

Dans un monde arabe en crise, le Royaume du Maroc est un modèle de stabilité et de fiabilité. C’est du moins ce qu’il souhaite être perçu. Mis à part un conflit de longue date avec l’Algérie voisine, ce pays du nord-ouest de l’Afrique a tendance à éviter les conflits majeurs. Mais dans l’ombre de son voisin, le Maroc apparaît aujourd’hui comme le premier partenaire sécuritaire au Sahel.

Faisant preuve d’une grande patience stratégique, Rabat s’efforce depuis quelque temps de renforcer son influence religieuse en Afrique de l’Ouest, en formant des imams et en promouvant un islam modéré. Il a également conclu divers accords de sécurité et partenariats militaires, tout en poursuivant une stratégie de diplomatie économique qui l’a conduit à réaliser de nombreux investissements directs chez ses voisins du sud. Face aux tensions régionales provoquées par le djihadisme, le trafic d’êtres humains, de drogue et d’armes et, surtout, les coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger , le Maroc est aujourd’hui plus important que jamais pour le développement économique du Sahel.

L’influence croissante du royaume dans ce domaine est renforcée par quatre facteurs géopolitiques.

+ Offensive de charme régionale +

– – En premier lieu, le retrait des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger, précipité par de puissants mouvements populaires antifrançais, a laissé un vide sécuritaire au Sahel .

De son côté, le Maroc dispose d’une expertise dans la lutte contre le terrorisme, d’une armée puissante et d’académies militaires réputées qui forment de plus en plus de personnels militaires originaires d’Afrique subsaharienne.

Son influence militaire croissante au Sahel a donc une saveur presque postcoloniale qui contraste avec les sentiments à l’égard de l’ancien colon européen de la région.

– – Deuxièmement, les nouveaux régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger cherchent à renforcer leurs positions en s’assurant des alliés régionaux fiables.

Après le coup d’État de 2021, l’ambassadeur du Maroc au Mali, Hassan Naciri, a été le premier diplomate à établir un contact direct avec le nouveau régime, et le nouveau Premier ministre du Niger a fait de Rabat l’une de ses premières escales à l’étranger, emmenant avec lui plusieurs officiers issus des académies militaires marocaines.

Alors que la communauté internationale regardait encore avec appréhension ces nouveaux dirigeants, le Maroc les accueillait à bras ouverts.

Du point de vue du Maroc, développer le port de Dakhla en tant que cœur industriel d’un nouveau centre économique régional pourrait offrir à l’Afrique de l’Ouest une porte d’entrée vers le monde.
– – Troisièmement, les sanctions économiques et politiques imposées par la CEDEAO au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont isolé économiquement ces trois pays. En réaction à ces sanctions, leurs gouvernements de transition ont décidé de se retirer de la CEDEAO. Le Maroc, dont la candidature à l’adhésion à la CEDEAO est en suspens depuis 2017, a profité de l’occasion pour lancer son « Initiative atlantique », promettant à ces pays l’accès aux infrastructures routières, portuaires et ferroviaires du Maroc.

Récemment, les trois pays du Sahel ont conclu un nouveau pacte de sécurité, l’ Alliance des Etats du Sahel . A première vue, l’objectif est de renforcer la coopération régionale en matière militaire et de politique de sécurité, mais la nouvelle alliance a également des projets ambitieux pour l’avenir, envisageant rien de moins qu’une union économique et monétaire entre les trois Etats. Du point de vue du Maroc, le développement du port de Dakhla en tant que cœur industriel d’un nouveau centre économique régional pourrait alors offrir à l’Afrique de l’Ouest une porte d’entrée vers le monde . Cela lui permettrait de consolider davantage sa revendication hégémonique sur le Sahara occidental et de créer des faits sur le terrain. Ce serait un véritable coup de maître pour la stratégie établie du Maroc en matière de coopération Sud-Sud.

– – Quatrièmement, en janvier 2024, le Mali s’est retiré des accords d’Alger , un accord de 2015 entre le gouvernement malien et les rebelles de l’Azawad visant à mettre fin au conflit qui durait depuis 2012. Ce retrait intervient dans un contexte d’accusations selon lesquelles l’Algérie, qui avait joué le rôle de médiateur, soutenait les mouvements séparatistes dans la région du Sahel et interférait dans les affaires intérieures du pays. Que ces accusations soient justifiées ou non, cette discorde est un cadeau au Maroc et une raison supplémentaire pour lui d’intensifier son offensive de charme dans la région.

+ Un allié de longue date +

Bien que le Maroc n’ait jamais été membre officiel du G5 Sahel, un groupe de développement régional regroupant la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, il en a été, grâce à des pactes de sécurité et des accords militaires, un allié privilégié. La lutte commune contre le terrorisme, la formation commune d’officiers militaires et les exercices militaires conjoints étaient ainsi déjà une caractéristique des relations du Maroc avec les États membres. Ce fait sera un atout pour le royaume si le G5 Sahel est dissous comme prévu après le retrait du Mali en 2022 et du Niger et du Burkina Faso en 2023.

Différents accords entre le Mali et le Marocexistent depuis des années, portant notamment sur la formation d’officiers et de sous-officiers maliens, l’échange de renseignements et la fourniture de matériel militaire. Le Maroc entretient également des liens militaires étroits avec le Burkina Faso. L’actuel président, Ibrahim Traoré, et le général de corps d’armée Daniel Sidiki Traoré, qui a dirigé la force de l’ONU MINUSCA jusqu’en 2023 et est aujourd’hui conseiller militaire du chef d’état-major du ministère burkinabé de la Défense, ont tous deux suivi une formation militaire au Maroc .

Jusqu’à présent, l’Europe a surtout considéré le Maroc sous l’angle des partenariats énergétiques et de son potentiel à freiner les migrations.
La libération de Jörg Lange, un coopérant allemand kidnappé au Mali, après des années de captivité, illustre à quel point les liens du Maroc avec les services de sécurité du Sahel peuvent être précieux pour l’Allemagne. Il ne faut pas oublier que l’altruisme du Maroc dans cette affaire est en partie motivé par son intérêt personnel, compte tenu de son conflit avec l’Algérie, qui a parfois dégénéré en violences .

Mais si Rabat poursuit ses propres objectifs à long terme, cela ne veut pas dire qu’il n’a pas d’intérêts communs avec l’Europe. Le Maroc craint par exemple depuis longtemps que le groupe russe Wagner n’étende ses activités dans la région. A cet égard, il est très proche du camp occidental, mais il bénéficie également d’un accès privilégié aux nouveaux régimes de la région et, via son appareil sécuritaire, d’une réelle influence.

Jusqu’à présent, l’Europe a surtout considéré le Maroc sous l’angle des partenariats énergétiques et de son potentiel à freiner les migrations. Alors que les pays de l’UE semblent presque s’agenouiller sur ces questions, une promesse de soutien au Maroc dans ses efforts pour développer ces partenariats de sécurité avec le Sud serait quelque chose que l’Europe pourrait offrir en retour. D’un côté, cela pourrait marquer un tournant dans l’histoire de la région.

De l’autre, cela pourrait être une police d’assurance contre une dépendance critique à l’égard du Maroc, par exemple sur les questions migratoires, où la tolérance des sociétés européennes semble actuellement diminuer. (Source IPS Journal)

Manuel Gath
Rabat

Manuel Gath est responsable du bureau de la Friedrich-Ebert-Stiftung au Maroc. Il était auparavant responsable de l’intégration européenne au sein du département d’analyse politique internationale.

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