Si son mouvement, le PJD, a été sèchement battu et renvoyé dans l’opposition en 2021, le leader islamiste et ancien chef du gouvernement réussit toujours à faire parler de lui. Ses cibles favorites : l’actuel chef du gouvernement et son ministre de la Justice.
Visiblement, Abdelilah Benkirane n’a rien perdu de son goût pour la polémique. L’ancien chef du gouvernement ne manque pas une occasion de s’attaquer à l’actuelle formation de l’exécutif. Cela depuis son retour à la tête du parti de la Justice et du développement (PJD), après la défaite cuisante de celui-ci au triple scrutin législatif, régional et communal de 2021. Dans sa ligne de mire : Aziz Akhannouch, son successeur à la tête du gouvernement, mais aussi Abdellatif Ouahbi, le ministre de la Justice.
En cette rentrée, Abdelilah Benkirane a de nouveau défrayé la chronique en accusant Akhannouch d’être un « voleur de veuves ». Le 1ᵉʳ septembre, le chef du PJD intervenait lors du meeting d’ouverture de la campagne électorale de la législative partielle qui se joue dans la circonscription de Rabat-Océan. « Tu as volé 550 dirhams aux veuves qui percevaient 1 050 dirhams, et 200 dirhams aux veuves qui percevaient 700 dirhams. Tu as augmenté l’aide de celles qui percevaient 300 ou 350 dirhams, certes, mais tu as écarté un grand nombre de bénéficiaires en utilisant l’indicateur diabolique que tu as créé : celui qui possède un téléphone ou une bicyclette se voit confisqué. Tu ne sais pas ce que signifient 550 dirhams. Toi, tu peux facilement les donner à un gardien de voiture. Mais sache qu’il y a des gens qui vivent avec pendant tout un mois », tançait-il devant un parterre conquis de frères du parti islamiste.
Plus tôt, il lançait, dans un français inattendu : « Donner c’est donner, reprendre c’est voler. Ssi Akhannouch, vous êtes un voleur ».
Précisons que l’allocation aux veuves est l’œuvre du gouvernement Benkirane et l’une des avancées sociales phares de son mandat. Fin 2014, son cabinet publiait le décret définissant les conditions et les critères d’éligibilité au soutien direct des veuves en situation de précarité. Celui-ci fixait à 350 dirhams l’aide par enfant à charge, plafonnée à 1050 dirhams par mois. Pour cette catégorie de la population, la donne a changé en 2022 quand Fouzi Lekjaâ, ministre du Budget, a modifié le décret originel.
Depuis, la loi prévoit plusieurs critères. L’enfant ne doit pas bénéficier d’une bourse scolaire, le ménage doit être enregistré au registre national de la population et au registre social unifié (RSU). Mais surtout, le ménage dirigé par la veuve en situation de précarité doit afficher un score socio-économique inférieur au seuil d’éligibilité. Une trentaine de paramètres composent le calcul de ce fameux score. Parmi ceux-ci, le milieu de résidence du ménage (urbain ou rural).
Malheureusement, les veuves citadines sont d’ores et déjà exclues de cette aide, car la valeur de la résidence dans les villes est dès le départ supérieur au seuil d’éligibilité. Pis, par oubli ou par omission, Benkirane ne mentionne pas que la réforme de la protection sociale, qui a entraîné ce changement de calcul, a été menée par son successeur et frère du parti, Saâdeddine El Othmani. Cela à travers la loi n°09-21 publiée au bulletin officiel le 23 mars 2021. Soit près de six mois avant l’arrivée de l’actuelle majorité gouvernementale au pouvoir.
+ Ouahbi, la bête noire de Benkirane +
Autre cible privilégiée du leader islamiste : le ministre de la Justice. Il faut dire que, s’ils se sont côtoyés sur les bancs de l’opposition avant l’accession au pouvoir du PJD en 2011, Abdelilah Benkirane et Abdellatif Ouahbi n’ont quasiment rien en commun. Si ce n’est un faible à peine contrôlé pour la controverse et la joute verbale. D’un côté, le chef des islamistes, résolument conservateur. De l’autre, Ouahbi, défenseur autoproclamé des libertés individuelles. Qui serait, selon Benkirane, un « ministre corrompu du gouvernement de la Commanderie des Croyants, qui doit être démis de ses fonctions, car il appelle à la propagation du virus de l’adultère », dans une référence à la réforme interminable du Code pénal marocain.
En évoquant l’adultère, Benkirane fait allusion au fait que Ouahbi a plusieurs fois laissé entendre que le fameux article 490, qui prévoit « l’emprisonnement d’un mois à un an toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles », serait enfin abrogé. « Tant que vous n’avez pas de preuves formelles de l’existence de relations sexuelles hors mariage entre un homme et une femme, il est inadmissible de stigmatiser des couples, leurs familles et leurs enfants. En islam, le témoignage de quatre personnes est nécessaire pour prouver une relation sexuelle hors mariage », avait-il notamment déclaré au printemps 2023.
Plus tôt dans l’année, Benkirane affirmait que « ceux qui demandent l’égalité [entre hommes et femmes], qu’ils soient de gauche ou dans le Conseil national des droits de l’Homme, veulent nous transformer en Européens, ce qui conduira à l’absence de relations sexuelles entre les conjoints à l’avenir ». L’ancien chef de gouvernement faisait ici allusion à la très attendue réforme du Code de la famille, souhaitée par le roi en septembre 2023.
Il faut rappeler que si le PJD a perdu de sa force de frappe politique, sa position vis-à-vis de la réforme continue à être largement approuvée par l’opinion publique marocaine, du moins d’après les chiffres. Selon une étude effectuée en mars 2023 par le réseau panafricain de sondage Afrobaromètre, près de 8 Marocains sur 10 (78 %) estimaient que toute réforme du Code de la Famille visant à promouvoir l’égalité des sexes devrait être basée sur la loi islamique.
+ La réaction de Ouahbi +
En tout cas, les diatribes de Benkirane ont fini par irriter Abdellatif Ouahbi. Dans une interview exclusive accordée à la deuxième chaîne nationale le 2 septembre, le ministre a estimé que le chef du PJD « est la seule exception parmi les anciens chefs du gouvernement qui n’a aucun respect pour sa position et qui ne cesse de diffuser de fausses accusations ». Pour lui, « Driss Jettou, Saâd-Eddine El Othmani, Abbas El Fassi et Abderrahmane El Youssoufi ont toujours exercé leur fonction en respectant leur devoir de réserve, tout en étant un modèle en matière d’éthique politique ».
Par Omar Kabbadj
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