ENTRETIEN. Xavier Driencourt, ambassadeur à deux reprises en Algérie, décrypte la réélection d’Abdelmadjid Tebboune avec 94,65 % des voix.
Abdelmadjid Tebboune est réélu » avec un score pharaonique, un chiffre à la soviétique : 94,65 %. Rendez-vous compte, même Bouteflika n’avait jamais été crédité d’un résultat pareil malgré quatre élections. Les résultats sont étranges : 24 millions d’inscrits, une participation annoncée de 48 %, ce qui représente près de 11 millions de voix, dont 5 millions pour Tebboune. Cela signifierait qu’il y a 5,6 millions de bulletins blancs et donc que le « blanc » l’aurait emporté. La question reste posée en attendant les nouveaux chiffres sur la participation promis par l’autorité électorale (Anie).
L’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt en décrypte les enjeux.
– Question : Quelle est la signification de ce score massif de 94,65 % ?
C’est la confirmation de la continuité. Ce qui a été fait durant le premier mandat ne sera pas modifié d’un iota. En affichant un score pareil, le régime n’a aucune volonté de changement. Sur le plan économique, les finances publiques tiennent par le pétrole. La grande répression va se poursuivre. Par contre, sur le plan international, le pays est significativement isolé. On n’entend plus la grande voix diplomatique de l’Algérie. Elle n’a plus de relations diplomatiques avec le Maroc, est en froid sur son flanc sahélien, en conflit avec la junte au pouvoir au Mali, elle a « retiré » son ambassadeur à Paris, sa relation avec la Russie est troublée, tout cela esquisse un pays isolé. La Palestine et le Sahara occidental restent ses seuls grands dossiers, les seuls sur lesquels elle s’exprime. Avec cette élection, l’Algérie va continuer à regarder le monde se développer.
– Question : Quid de la crise avec la France ? Après la prise de position de Paris en faveur du Maroc sur le dossier du Sahara occidental, on s’attendait à de fortes mesures de rétorsion et il y en a eu peu
Ils hésitent à ouvrir un nouveau front en raison de leur isolement à l’international et de leur fragilité intérieure, six ans après le hirak. Ouvrir un front avec Paris, c’est très risqué. Pour l’instant, pour rétorsion, Alger accorde très peu de laissez-passer consulaires pour les OQTF des Algériens en France, restreint les visas, multiplie les tracasseries administratives envers les diplomates nouveaux arrivants (déménagements bloqués), mais, pour l’instant, cela ne va pas plus loin. Sur plusieurs dossiers, l’Algérie a besoin de la France. Que ce soit sur le plan migratoire, sur la Méditerranée, à l’ONU, où elle est actuellement membre du Conseil de sécurité. Je pense que les choses vont aller en s’atténuant, que l’Algérie va observer la scène politique française jusqu’aux élections de 2027. Il faut noter que le « projet de visite officielle en France » de Tebboune n’a jamais été annoncé mais n’a jamais été annulé non plus. Il était prévu fin septembre.
– Question : La nomination de Michel Barnier peut-elle modifier la politique de la France vis-à-vis de l’Algérie ?
Si la politique étrangère n’est pas du ressort du Premier ministre, un pan entier de notre politique intérieure impacte notre politique étrangère. Le dossier le plus sensible est celui de l’immigration. Michel Barnier, avec son expérience, pourrait mettre en œuvre un politique migratoire plus ferme.
– Question : 70 % de la population a moins de 40 ans ; son président réélu a 78 ans. Quel est le devenir du pays ? Un nouveau hirak ?
En Algérie, comme dans le reste de la région, la structure démographique et l’immobilisme politique ne vont pas de pair. Mais le hirak est mort et enterré car l’armée a tellement tremblé en 2019 quand les manifestations frôlaient les 10 millions de personnes qu’elle a décidé de mater toute insurrection « quoi qu’il en coûte ». Les militaires sont décidés à faire en sorte que ça ne se reproduise pas. Ils ont étouffé toute montée d’une nouvelle génération. Elle est soit en prison, soit sous surveillance.
– Question : Comment la France peut-elle officiellement réagir à la réélection d’Abdelmadjid Tebboune ?
J’étais ambassadeur en Algérie en 2019 lorsqu’il a été élu avec 58 % des suffrages. Avec 94,65 %, c’est plus délicat. Peut-on saluer une élection de pharaon ? Ça paraît compliqué de s’en féliciter, de s’en réjouir. C’est très embarrassant pour nous. (Source: Le Point)

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