Il y a seulement deux ans, Abdesselam Ichou a commencé à cultiver du cannabis légalement dans le cadre de la légalisation de la plante par le Maroc à des fins médicinales et industrielles dans une région pauvre du pays, à rapporté cette semaine le site américain barrons.com.
Il fait désormais partie des milliers d’agriculteurs légaux dont la superficie de culture a atteint de nouveaux sommets et a réduit le commerce illégal toujours dominant au Maroc, le plus grand producteur mondial de résine de cannabis, selon les Nations Unies, ajoute la même source citant l’AFP.
Le pays d’Afrique du Nord a adopté une loi en 2021 autorisant la culture de cannabis à usage médical et industriel dans les zones du Rif, une région montagneuse qui a longtemps été une source majeure de haschisch illicite – un dérivé plus fort du cannabis – introduit en contrebande en Europe.
« Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je pourrais cultiver du cannabis sans avoir peur et angoisse d’être arrêté, volé ou de ne pas pouvoir vendre ma récolte », a déclaré Ichou, 48 ans.
« Aujourd’hui, nous travaillons en plein jour, de manière libre et digne », a-t-il ajouté, montrant fièrement ses cultures de feuilles dans la commune de Mansoura, dans la région de Chefchaouen, au sud-est de Tanger.
Chefchaouen est l’une des trois provinces où la culture du cannabis est autorisée en vertu de la loi de 2021 pour un usage non récréatif.
+ Le nombre d’agriculteurs est passé de 430 à 3 000 en un an +
La légalisation partielle du cannabis au Maroc vise à lutter contre le trafic de drogue et à améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs, en soutenant jusqu’à 120 000 familles de la région dont l’économie repose sur le cannabis qui y est cultivé depuis des siècles.
L’an dernier, le pays a produit 296 tonnes de cannabis légal à faible teneur, selon l’ANRAC, l’agence marocaine de régulation du cannabis.
Pour Ichou, c’est « une récolte record de près de huit tonnes sur un hectare » qui lui a procuré un revenu plus stable que la culture illégale.
Il a déclaré avoir vendu sa récolte à 80 dirhams (8 dollars) le kilo, ce qui lui a permis d’engranger un revenu brut de 64 000 dollars. L’entreprise marocaine qui l’a achetée a décidé d’investir dans deux hectares supplémentaires pour la prochaine récolte.
En 2023, Ichou était le seul agriculteur de son village à cultiver légalement du cannabis. Cette année, dit-il, ils sont environ 70.
À Chefchaouen, Hoceima et Taounate – les provinces du Rif où la culture non récréative du cannabis est légale – le nombre d’agriculteurs est passé de 430 à 3 000 en un an, selon l’ANRAC.
+ 2 700 hectares cultivés en 2024 +
Selon l’agence, la surface des cultures légales de cannabis a presque décuplé, passant de 286 hectares en 2023 à 2 700 hectares en 2024. Mais c’est loin d’être comparable aux 55 000 hectares qui, selon les chiffres officiels, étaient cultivés illégalement en 2019.
La répression du commerce clandestin a fait chuter les revenus annuels du trafic illégal de cannabis d’environ 540 millions de dollars au début des années 2000 à près de 350 millions de dollars en 2020, selon les chiffres officiels.
« Au début, il y avait beaucoup d’appréhension », a déclaré Said El Gueddar, 47 ans, un autre cultivateur légal de cannabis, qui attend sa prochaine récolte en octobre. « Mais petit à petit, cela s’est estompé, car finalement, la légalisation est la bonne voie à suivre ».
El Gueddar, qui appartient à une coopérative, a ajouté qu’il avait « beaucoup d’espoir, car cela ne peut être que mieux que de vivre dans la précarité de l’illégalité ».
Après avoir misé sur des graines importées pour la culture légale, le beldia, une variété locale de la plante résistante à la sécheresse, sera récolté pour la première fois en août.
Alors que le Maroc est frappé par une sécheresse depuis six ans, « le beldia est un atout majeur pour nous », a déclaré Ichou.
Avec des dizaines d’autres agriculteurs, il a créé une coopérative dédiée à la culture de la variété locale sur plus de 200 hectares. « Nous voulons la promouvoir autant que possible », a-t-il déclaré.
+ L’ANRAC a délivré plus de 200 permis +
Pour l’usage industriel du cannabis, l’ANRAC a délivré plus de 200 permis, dont une soixantaine pour la transformation du cannabis, 20 pour l’importation de graines et une trentaine pour l’exportation de cannabis.
Aziz Makhlouf a saisi l’opportunité en créant Biocannat, une usine de transformation de cannabis employant 24 personnes à Bab Berred, au sud-est de Chefchaouen.
« Il y a pas mal d’opportunités avec le cannabis », estime Makhlouf. « C’est un secteur attractif ».
Depuis le début de l’année, son usine a transformé une trentaine de tonnes de cannabis en différents produits : résine de CBD, huile, farine, crèmes, bonbons et compléments alimentaires.
Mais si la réglementation du cannabis permet de « construire petit à petit une économie fiable et résiliente », il reste difficile « d’absorber le secteur illégal pour l’instant car il a son marché », explique Mohamed El Guerroudj, le patron de l’ANRAC.
Les cultivateurs légaux pourraient à terme réaliser 12% de chiffre d’affaires contre 4% sur le marché illégal, selon des études officielles.
Pour l’heure, la priorité du royaume est d’aider à améliorer la vie des populations qui dépendent économiquement de la plante, a-t-il expliqué à l’AFP.
« Traiter la production de cannabis comme un secteur agricole normal », a déclaré Guerroudj, leur permettra de sortir « de l’ombre… vers la lumière ».
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