ANALYSE – L’élection de Trump à la présidence des USA devrait accélérer « la fin de l’ordre mondial actuel »

Par Montacir Zian *


Du chaos naîtra l’ordre, une perspective qui pourrait sembler optimiste. Toutefois, il est indéniable que le monde dans lequel nous évoluons est gouverné par un ordre naturel. La notion d’ordre et d’organisation est essentielle. Je n’entends pas ici exposer une réflexion philosophique sur les concepts d’ordre et de désordre. J’évoque l’idée que nous traversons une époque troublée, marquée par des incertitudes concernant notre avenir et celui de nos proches. Les prédictions d’une possible troisième guerre mondiale se font entendre régulièrement. Mais qu’en est- il réellement ?

+ Une crise de confiance…+

Nous vivons dans un monde où le chaos et le désordre semblent prévaloir. Les grandes démocraties sont en proie à une crise politique qui remet en question la légitimité des pouvoirs. Des manifestations éclatent quotidiennement, révélant une crise de confiance et un fossé croissant entre gouvernants et gouvernés. Les peuples cherchent de nouveaux leaders tandis que les gouvernants semblent désemparés, incapables de fournir les réponses attendues.

En France, les élections législatives de juillet 2024 n’ont conduit aucune force politique à obtenir une majorité absolue. C’est une tendance qui se généralise en Europe, comme en témoignent les résultats en Belgique en 2019, en Italie en 2021, aux Pays-Bas en 2021, et en Espagne en 2023.

+ Et une globalisation des tensions +

géopolitiques Les conflits armés éclatent de manière ubiquitaire à travers le monde, augmentant les tensions entre États et au sein des États eux-mêmes.

De nouvelles alliances se forment tandis que d’autres se désagrègent, comme en témoigne le recul de la France en Afrique au profit des puissances chinoises et russes. Les tensions entre voisins s’intensifient, comme en Afrique du nord où la confrontation politique entre le Maroc et l’Algérie atteint un sommet. En mer de Chine méridionale, la montée en puissance de la Chine exacerbe les tensions régionales. La Chine, en tant que superpuissance, renforce ses revendications sur Taïwan. Le Japon et la Chine se disputent l’hégémonie régionale.

Le conflit entre l’Ukraine et la Russie semble loin de s’achever, et l’Arménie et l’Azerbaïdjan continuent de se quereller pour la région du Haut- Karabakh. Le risque de voir ces tensions se transformer en conflits armés est réel et nécessite des efforts diplomatiques soutenus pour parvenir à des solutions pacifiques durables.

Les Nations Unies ne remplissent plus leur rôle de plateforme de paix.
Incapables de contenir les tensions et d’offrir des solutions d’apaisement, elles voient leur autorité érodée, particulièrement depuis que les pays du bloc occidental ont progressivement abandonné l’organisation. Le système actuel semble à bout de souffle et incapable de se renouveler, ce qui engendre un chaos institutionnel croissant et menace de déchirer certains pans de la société.

+ Le nouvel ordre mondial renvoie à une vision du monde suggérant des transformations profondes dans les structures économiques, politiques et sociales au niveau global +

Les peuples cherchent des solutions. De nouvelles alliances se dessinent et un nouveau modèle doit émerger, tout comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide. La nécessité d’un nouvel ordre mondial Le terme « nouvel ordre mondial » désigne une vision ou une idéologie suggérant des transformations profondes dans les structures économiques, politiques et sociales au niveau global. Cette expression a souvent été utilisée en période de crise pour décrire des changements majeurs dans les relations internationales ou la gouvernance mondiale. Elle est généralement portée par la puissance dominante de l’époque, comme les États-Unis après les deux guerres mondiales.

Après la Première Guerre mondiale, cette idée a conduit à la création de la Société des Nations[1]; après la Seconde Guerre mondiale, elle a engendré la création des Nations Unies[2]. Avec la fin de la guerre froide, le Président américain George H. W. Bush a exprimé son soutien pour un monde uni par les valeurs de paix, de sécurité collective et de coopération internationale. Le 27 mai 1999, le tribunal des Nations Unies pour les crimes de guerre à La Haye a confirmé qu’il avait inculpé le président yougoslave Slobodan Milosevic comme criminel de guerre.

L’ancien ordre mondial reposait sur l’hégémonie des États-Unis, avec les Nations Unies jouant un rôle prépondérant dans la promotion de la paix et de la sécurité mondiales. Le respect du droit international était un principe fondamental des relations internationales, servant de garde-fou entre les États. Des initiatives telles que le procès de Nuremberg, le procès de Tokyo, la poursuite de Slobodan Milošević pour crimes contre l’humanité en 2001, et la création de la Cour pénale internationale en 2002 ont contribué à imposer le droit international à l’échelle mondiale et à promouvoir la sécurité en envoyant un message fort aux États enfreignant les règles.

+ L’ordre mondial en mutation +

Cependant, l’ordre mondial actuel est remis en question par l’émergence de nouvelles puissances. La Chine se positionne comme la principale puissance économique mondiale, renforçant ses alliances, notamment avec des partenaires historiques des États-Unis comme l’Arabie Saoudite. La Russie, depuis la fin du printemps arabe, s’affirme comme un allié puissant et fiable. Le maintien de Bachar al-Assad au pouvoir avec le soutien russe illustre les avantages de disposer de la Russie comme alliée en période de conflit ou de déstabilisation. L’Union européenne souhaite se démarquer des États-Unis et s’imposer comme une puissance stabilisatrice dans la région EMEA[3].

La stratégie de pivot américaine, initiée par l’administration Obama en 2011[4], vise à accroître la présence des États- Unis dans la région Indo-Pacifique et à renforcer leur coopération avec les alliés régionaux. Ce pivot crée un vide à combler au Moyen-Orient et en Afrique, laissant place à une potentielle prise de position par l’UE dans ces régions. J. D. Vance au Munich Security Conference Cette stratégie pourrait s’accentuer avec la probable victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines de 2024. Son colistier, James David Vance, avait récemment souligné[5], lors du Forum de sécurité de Munich, la nécessité pour l’Europe de prendre en charge sa propre sécurité, suggérant que la priorité des États-Unis serait de pivoter vers l’Asie pour freiner la stratégie « hégémonique » de la Chine. La Russie et la Chine, avec leur projet de Route de la soie, ont anticipé ce retrait et cherchent à occuper l’espace laissé vacant.

+ La bataille avec l’UE a déjà commencé +

Le modèle « occidental » qui régissait la région est en train de vaciller. Au-delà du pivot stratégique vers l’Asie, c’est l’ensemble du modèle de gouvernance mondiale qui est remis en cause. Trump et la remise en question de l’ordre établi L’arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2016 et ses décisions unilatérales de retrait de certaines organisations internationales ont gravement entamé leur légitimité.

Après avoir largement inspiré la création des Nations Unies, les États-Unis ont entrepris de les déconstruire. En 2018, les États-Unis quittent le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies[6] . En 2020, ils annoncent leur retrait de l’OMS[7]. L’OTAN, outil de puissance post- seconde guerre mondiale et essentielle pour la sécurité de certains pays européens face aux menaces étrangères, est également en péril. En 2020, Donald Trump avait menacé certains pays européens de ne pas leur venir en aide s’ils ne « réglaient pas leurs factures », menace réitérée en 2024[8].

+ L’élection de Trump à la présidence des USA devrait accélérer la fin de l’ordre mondial actuel +

Le droit international est mis en retrait et n’est plus respecté, générant un sentiment d’injustice parmi les populations, les organisations non gouvernementales et les États les plus vulnérables. Un chaos ambiant généralise devrait perdurer, au moins jusqu’à la fin du mandat du futur président américain. Bien que le président Joe Biden ait réagi en revenant sur certaines décisions de retrait des organisations de l’ONU prises par son prédécesseur, il semble que l’ordre mondial voulu et instauré par les États-Unis soit en voie de déconstruction par… les États-Unis eux- mêmes.

+ Autour de quoi construire ce nouvel ordre mondial ? +

Pour retrouver la stabilité, le monde a besoin d’un équilibre. Il existe un principe physique, la première loi de Newton, qui énonce que la somme de toutes les forces agissant sur un objet doit être nulle pour que cet objet reste en équilibre. Or, face aux rapports de force actuellement déséquilibrés, il est difficile de trouver un équilibre juste.

Henry Kissinger, dans son ouvrage sur le nouvel ordre mondial, souligne l’importance de l’équilibre des puissances pour maintenir la paix mondiale. Il soutient que l’absence d’un tel équilibre mène souvent à des conflits, comme avant les deux guerres mondiales. Les puissances doivent garantir cet équilibre en évitant d’exercer une domination sur un État ou un groupe d’États, ce qui conduira inéluctablement à une paix globale.

+ Comment cet équilibre sera-t-il atteint ? +

Par un retour au droit international garantissant un équilibre des forces entre les puissants et les plus faibles ? Par une coopération accrue des États au sein d’une plateforme telle que les Nations Unies ? Par une meilleure gestion des menaces hybrides ? En rendant les organisations internationales plus crédibles et efficaces ? En mettant l’accent sur l’accès universel à l’éducation et à la santé ?

Le point de départ de tout nouveau modèle de gouvernance devra également tenir compte de la restructuration de la population et des mentalités. Le monde évolue avec les changements d’habitudes des populations. Plus de 98% de la population mondiale n’a pas connu la Seconde Guerre mondiale. La majorité n’a vécu que dans une période de paix, bien que marquée par la guerre froide, mais globalement axée sur le progrès. Cela est particulièrement vrai pour la majorité des dirigeants et chefs d’État du bloc occidental, qui n’ont pas connu directement la guerre, mais sont prêts à s’engager dans un conflit armé. 30% de la population, celle âgée de 24 ans ou moins, a grandi dans un monde perpétuellement en crise, marqué par le terrorisme de masse et les conflits frontaliers.

Cette génération, qui formera les cadres et les leaders de demain, a été façonnée par les tensions et les crises économiques omniprésentes. Ce contraste est frappant avec celui des cinquantenaires et soixantenaires, générations des gouvernants actuels, ayant évolué dans un monde de paix et d’opulence. Cette nouvelle génération est mieux informée et a accès à l’information de manière quasi-instantanée. Elle est hyper-connectée.

En 2022, on comptabilisait 3 jeunes âgés entre 15 et 24 ans connectés sur internet[9]. Ce taux est en hausse constante. Ils passent en moyenne 2 heures et 31 minutes par jour sur les réseaux sociaux[10]. Pour eux, tout devient accessible et compréhensible, et les émotions traversent les frontières. Les événements survenus à l’autre bout du monde les affectent directement. Cette génération est également autonome, débrouillarde et mature, évoluant dans un modèle de coopération et de partage, comme le démontre l’essor des plateformes de partage et le nombre croissant d’utilisateurs[11].

L’Allied Market Research rapporte que le marché mondial des services de partage de voitures était évalué à environ 2.9 milliards de dollars en 2022 et devrait atteindre 17.8 milliards de dollars d’ici 2032[12], soit un taux de croissance annuel moyen de 20.2%.

+ D’un monde conflictuel à un nouveau modèle de gouvernance collaboratif +

La période trouble que nous traversons, marquée par une incertitude omniprésente, constitue une conséquence inévitable de la transition vers un nouveau modèle. Les structures internationales actuelles apparaissent inadéquates face aux défis contemporains ; la gouvernance mondiale doit donc évoluer pour s’adapter aux réalités politiques, économiques et sociales nouvelles.

Ce modèle émergent finira par se stabiliser, mais les générations qui ont dirigé au cours des vingt dernières années ont échoué à répondre aux aspirations des populations. Ces générations ont choisi de se détacher des précédentes, qui avaient acquis savoir et expérience, établi des relations et façonné le monde tel qu’il est aujourd’hui. Il devient indispensable d’instaurer un système de tutorat pour faciliter le transfert de connaissances entre les générations expérimentées et les jeunes dirigeants. Cette démarche contribuera à éviter la répétition des erreurs passées, d’autant plus que la nouvelle génération valorise la collaboration et le partage.

Cependant, tout changement de modèle entraînera nécessairement des modifications significatives dans les modes de consommation, les processus décisionnels et les modèles de travail. Pour éviter une rupture avec l’évolution mondiale, il est essentiel de rester informé des évolutions en cours et de développer des perspectives prospectives. Il sera également crucial d’encourager la coopération et les échanges avec la nouvelle génération pour garantir une transition harmonieuse.


[1] En janvier 1918, le président américain Woodrow Wilson expose une idée similaire en prônant la création de la Société des Nations.

[2] En 1941, durant la seconde guerre mondiale, le Président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt et le Premier ministre britannique, Winston Churchill proposent une série de principes devant inspirer la collaboration internationale aux fins du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cela a donné lieu à la Charte de l’Atlantique du 14 août 1941

[3] Europe Middle East & Africa

[4] Engagement militaire, économique et diplomatique des États-Unis dans le but d’accroître sa présence et son influence au sein de l’espace indopacifique

[5] “Vance, a Ukraine Critic, Worries Europe”, article publié sur The Wall Street Journal le 18/07/2024

[6] https://www.lemonde.fr/ameriques/arti cle/2018/06/19/les-etats-unis- quittent-le-conseil-des-droits-de-l- homme-de-l-onu_5317855_3222.html

[7] https://www.lemonde.fr/international/a rticle/2020/07/07/washington-se- retire-officiellement-de-l- organisation-mondiale-de-la- sante_6045530_3210.html

[8] https://www.lemonde.fr/international/a rticle/2024/03/19/donald-trump- assure-que-ses-recentes-menaces- sur-l-otan-etaient-une-maniere-de- negocier-avec-ses- membres_6222943_3210.html

[9] https://www.itu.int/fr/mediacentre/Pag es/PR-2022-11-30-Facts-Figures- 2022.aspx

[10] We Are Social & Hootsuite, « Digital 2023: Global Overview Report »

[11] En 2023, la plateforme de covoiturage Blablacar comptait à elle seule plus de 100 millions d’utilisateurs.

[12]https://www.alliedmarketresearch.com /car-sharing-market-A07125

* Mountacir Zian est le directeur du pôle Etudes, Stratégie et Prospective (ESP) au cabinet CMAIS – Rabat

Article19.ma