Par Dr Jaouad MABROUKI
Depuis quelques années, j’ai constaté un phénomène assez nouveau sur Facebook, des publications de photos de classe d’école des années soixante-dix, ou celle des instituteurs, ou bien des femmes de l’époque, ou des photos de plage, ou des photos des produits comme le sucre (forme conique enroulée de papier violet) ou les boissons gazeuses (la cigogne, Cruch, Youki) ou bien des jeux et des jouets des enfants de ces années-là. Ces publications portent le titre « la génération d’or » ou bien « la belle époque ».
De ce que j’ai compris, ces publications considèrent que les générations des années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, ont vécu heureux et sont plus chanceux par rapport à celle d’aujourd’hui.
Personnellement, à mon adolescence, j’ai pris consciences des phénomènes sociétales, entre la période de 1975 et 1980. Je ne vois en rien que notre génération était chanceuse ou bien supérieure à celle d’aujourd’hui ni pourquoi la qualifier de génération d’or ni notre temps de la belle époque. Je trouve plutôt que ces anciennes générations, vivaient dans la pauvreté, dans le mépris, dans la hogra, on manquait de tout, on s’ennuyait en tant qu’enfants et adolescents, il n’y avait même pas assez de lait disponible même si tu as de quoi acheter 10 litres par jour. La télévision, une seule chaine bien contrôlée et qui ne commençait qu’à 18h30, les jouets étaient rares et chers, l’école était un centre de torture, les médecins étaient très peu nombreux et les prix des médicaments hors de la portée de tout le monde. La frustration de la liberté d’expression était à son zénith, un mot déplacé et la disparition assurée. C’était les années de plomb ! Comment ces publicateurs de « la génération d’or » ont oublié la souffrance de cette époque ?
En fait ces publicateurs sont des personnes qui ont connu l’époque des années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, ils avaient bien vécu cette période de plomb, pourquoi alors sont-ils dans le déni et le mensonge et veulent tromper la génération actuelle et lui faire croire qu’ils ont vécu « une période d’or » ?
Très probablement pour ces raisons suivantes, selon mon analyse :
• Depuis l’année 2000 et en si peu de temps, la société Marocaine, a changé avec une rapidité brutale, une vraie révolution sur tous les plans et ces publicateurs n’ont pas pu suivre cette évolution et sont restés prisonniers du passé.
• Dans les années de plomb, la religion était presque absente, la société était très ouverte d’esprit, et même les mosquées étaient très peu nombreuses et se comptaient sur les bouts des doigts dans chaque ville et d’ailleurs elles ne faisaient même pas le plein comme aujourd’hui.
Mais à partir des années quatre-vingt, avec le mouvement des frères musulmans et la montée des ayatollahs au pouvoir en Iran, il s’est produit un retour intense et massif à la religion au Maroc et essentiellement chez les jeunes. Ces publicateurs ont-ils oublié la guerre civile dans les cités universitaires entre les frères musulmans et les gauchistes et les affrontements avec les forces de l’ordre ? En quoi est-ce une génération d’or où le droit de l’expression était interdit ?
Ces publicateurs se trompent et pensent que la religion est moins présente actuellement dans la vie sociale et si la société marocaine est devenue ouverte d’esprit, avec un grand pas de la liberté individuelle, c’est à cause de l’absence de la religion !
• Si ces publicateurs trouvent que dans les anciennes générations régnaient le respect, la droiture, le respect de l’école et des valeurs morales, ceci n’était pas le résultat de la religion ni de l’éducation, mais plutôt celui des contraintes de la dictature qui traçait le chemin des conduites des citoyens.
Enfin, j’invite ces publicateurs de cesser de tromper la génération actuelle et de déformer l’histoire sociale du Maroc et qu’il est plus instructif de publier plutôt la réalité des générations des années de plomb et de féliciter les générations actuelles de la chance qu’elles ont de vivre dans un pays de plus en plus ouvert et respectant d’année en année les droits de l’homme.
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