La Moudawana et la dernière ligne droite vers une révision de textes « désuets »…

– Par Ali Bouzerda –


À chaque sortie médiatique du leader du PJD, Abdelilah Benkirane, sur la question de la femme et le débat en cours sur la réforme de la Moudawana (Code de la famille), la classe politique donne l’impression d’être prise de court ou manquer d’arguments pour démystifier le discours démagogique de certains islamistes “donneurs de leçons”.

Le contexte: le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a reçu, samedi 30 mars 2024, le rapport final élaboré par six membres, dont deux femmes, de l’Instance chargée de la révision du Code de la famille et qui sera transmis au roi Mohammed VI, et ce après avoir achevé sa mission dans les délais fixés en septembre 2023.

À l’affût, comme d’habitude, Benkirane et son “frérot” Saad Dine El Otmani déclenchent « le tam tam » médiatique anti-réforme, accompagné de menaces et avertissements.

Selon Benkirane : « Toute atteinte à l’Islam ou au Coran ouvrait la voie à la discorde… », en d’autres termes “Attention… que personne ne bouge!”. Quant à El Otmani, il a averti ses auditeurs en termes annonciateurs de catastrophes : « La famille marocaine fait face à une menace existentielle à cause de l’idéologie occidentale que prône le courant moderniste ».

Toutefois, il s’est abstenu de citer des noms, mais on comprend bien que son message pointe du doigt la société civile et les personnalités politiques qui soutiennent la révision des textes de la Moudawana. Des textes qui sont dépassés par le temps, l’évolution du monde et de la société marocaine, ces 20 dernières années.

Le speech d’El Otmani lors d’un meeting estudiantin coïncidait comme par hasard avec le timing de la rencontre d’Akhannouch à Rabat avec les six membres de l’Instance chargée de la révision de la Moudawana.

Jouant la même « partition musicale » de Benkirane, El Otmani affirme que l’article 32 de la Constitution a établi “une approche islamique” dans le traitement des problèmes de la famille.

À noter que les deux leaders du PJD sont des ex chefs de gouvernement et savent pertinemment, mieux que quiconque, que personne au Maroc ne met en cause les principes fondamentaux de l’Islam relatifs à la famille. D’ailleurs, le chef de l’État avait bien tranché ce débat, il n’y a pas si longtemps, en des termes bien clairs:

“Le Code de la famille n’est spécifique ni aux hommes, ni aux femmes : il est dédié à la famille entière. Fondé sur la notion d’équilibre, il donne aux hommes et aux femmes les droits qui leur échoient respectivement et il tient compte de l’intérêt des enfants.

Il convient aussi de dépasser les défaillances et les aspects négatifs révélés par l’expérience menée sur le terrain et, le cas échéant, de refondre certaines dispositions qui ont été détournées de leur destination première.

En qualité d’Amir Al-Mouminine, et comme Je l’ai affirmé en 2003 dans le Discours de présentation du Code devant le parlement, Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels” (Discours royal du 30 juillet 2022).

Tout a été dit et toute polémique autour de ce sujet n’est que pure spéculation politicienne visant à redorer le blason du parti de la Lampe, lampe dont la lumière a perdu son attractivité, après une décennie dans les rouages du pouvoir.

Lors d’une rencontre à Casablanca, Salaheddine Aboulghali, membre du triumvirat qui dirige actuellement le Parti Authenticité et Modernité (PAM) n’est pas allé par quatre chemins pour dire des vérités qui fâchent. Il a dénoncé ce qu’il a qualifié “l’hypocrisie sociale” du PJD. Et d’ajouter que le PJD est un “mouvement passéiste… qui considère encore la femme comme une marchandise et la fille mineure un produit de consommation”.

En fait, Aboulghali a mis le doigt sur un point sensible, à savoir “le mariage des filles mineures”. Le PJD mène depuis un certain temps une campagne virulente contre l’appel de la société civile à l’instauration d’une sévère peine d’emprisonnement aux parents qui oseraient consentir à marier leurs filles avant l’âge de 18 ans ferme.

Une proposition qui a été fustigée par Benkirane, car dit-il ce ne sont que des cas isolés et insignifiants sur lesquels « les laïcs font une fixation ».

La réalité est tout autre : pas moins de 19,266 demandes de mariage de mineures ont été déposées au niveau des tribunaux du royaume en 2020. Et plus de 13,000 dérogations ont été délivrées par les juges des tribunaux de la famille au cours de cette même année. Incroyable mais malheureusement vrai.

Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi – – ex secrétaire général du PAM et membre de l’Instance chargée de la révision des textes obsoletes du Code de la famille – – est ferme et intransigeant à ce sujet : “La fille mineure, sa place est sur les bancs de l’école et non au foyer”.

Ouahbi, avocat et ancien militant des droits humains, souhaite mettre un terme au “mariage précoce” des mineures au Maroc, une union souvent nuisible à la santé physique et psychique de l’enfant.

En attendant l’annonce officielle de la nouvelle version de la Moudawana, le débat reste ouvert…

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