Par Salem AlKetbi*
Alors que les scénarios pour la phase d’après-guerre à Gaza font l’objet de discussions dans les milieux politiques et les médias, plusieurs points méritent une attention particulière. Le plus important d’entre eux est qu’il est très difficile d’élaborer un scénario pour cette phase dans les circonstances actuelles. Il ne s’agit pas seulement du sort du mouvement terroriste Hamas et de ses dirigeants, mais aussi d’autres questions complexes. Il convient de prêter attention à ces questions afin d’éviter que Gaza ne devienne un point d’ignition régional et international sans que les aspects principaux et secondaires de la question palestinienne ne soient abordés.
Parmi les points qui doivent être pris en compte dans la phase post-Gaza, il y a la forte émergence du facteur iranien en tant qu’acteur influent dans la question palestinienne. Il est difficile de nier que l’Iran est sorti de l’ombre et a réussi à marquer de son empreinte la question palestinienne. Toutefois, il est important d’empêcher Téhéran de transformer ces gains en influence politique et diplomatique. Cette influence lui permettrait de s’imposer à toute table de négociation future avec les Palestiniens. Il est difficile de faire disparaître le facteur iranien de la scène même si le Hamas et ses dirigeants sont éliminés dans le conflit actuel. Un autre point est que l’Iran ne resterait pas silencieux alors que le conflit à Gaza se rapproche de l’objectif de mettre fin à l’influence du Hamas dans la bande de Gaza.
On peut s’attendre à ce que l’Iran s’efforce d’élargir le cercle des conflits avec ses différents mandataires. Il s’agit d’un scénario prévisible, car la défaite du Hamas motivera Israël à faire face aux autres menaces terroristes auxquelles il a été confronté lors de la guerre de Gaza. Nous faisons ici principalement référence au Hezbollah au Liban et, dans une moindre mesure, à la milice Houthi.
La question des groupes fidèles à l’Iran en Irak et, dans une moindre mesure, en Syrie est laissée aux forces américaines. Les dirigeants des Gardiens de la révolution procèdent actuellement aux mesures et comparaisons habituelles de l’équilibre des forces. Ils risquent de tirer de fausses conclusions sur les limites de la puissance américaine et israélienne. Cela signifie que le déroulement des combats sur le terrain à Gaza, quelles que soient les pertes humaines et matérielles qui n’importent pas aux Iraniens, et quelle que soit la nature des guerres non conventionnelles qui ne reflètent pas l’efficacité réelle du combat des armées régulières, aussi avancées soient-elles, pourrait les inciter à élargir le cercle du conflit afin de réaliser un grand rêve stratégique, à savoir la défaite d’Israël et des Etats-Unis derrière lui. Cela explique, par exemple, la déclaration de l’ambassadeur iranien en Azerbaïdjan, Abbas Mousavi, qui a affirmé que « si l’Iran intervient dans le conflit, Israël sera enterré dans la Méditerranée ».
Le commandant adjoint des Gardiens de la révolution iranienne, le général de brigade Mohammad Reza Naghdi, a également déclaré que « les États-Unis seront humiliés dans cette guerre ». Il a souligné que les intérêts américains sont confrontés à la colère des peuples dans toutes les parties du monde.
Une autre raison qui pourrait inciter le régime iranien à pousser ses milices à étendre le conflit est sa conviction croissante que l’attitude du public mondial et du public américain à l’égard d’Israël et de l’administration américaine actuelle est en train de changer. C’est une conviction dans laquelle les Gardiens de la Révolution pourraient voir un environnement propice à la décision de mener un conflit de grande envergure contre Israël. Ils ne craignent guère la réaction américaine compte tenu des freins à la décision de la Maison Blanche. Ces freins sont soit traditionnels (volonté de l’administration Biden de ne pas s’engager dans un conflit militaire), soit issus des changements au sein des Etats-Unis et de l’attitude des grandes puissances face aux événements du Moyen-Orient.
Un autre point important est que l’influence internationale et régionale sur la décision israélienne concernant l’avenir de Gaza dépendra de l’issue de cette guerre. Il est donc difficile de délimiter les rôles à un moment où les données qui les détermineront sont incomplètes.
Les preuves suggèrent qu’Israël a affirmé son opinion en rejetant initialement tout cessez-le-feu. Il n’a cédé à aucune pression à cet égard.
Elle était en mesure d’orienter le cours de la guerre comme elle l’entendait. On peut donc dire que le même scénario se répétera si elle parvient à imposer définitivement sa volonté à la bande. C’est elle qui décidera de qui gère quoi et de la nature et des limites des rôles de chaque partie. Dans ce cas, il est difficile d’accepter qu’elle remette la bande à l’Autorité palestinienne, au moins dans la phase initiale après la fin de la guerre.
Pour expliquer l’escalade de la position israélienne, on peut rappeler que la condition posée par le Hamas au début de la guerre était la libération de tous les otages en échange de l’évacuation des prisonniers palestiniens des prisons israéliennes. Cette condition a été retirée et remplacée par la possibilité de libérer les otages en échange d’un cessez-le-feu. C’est un signe de la forte pression militaire exercée par Israël. C’est aussi l’expression de la volonté du Hamas de souffler un peu et de rééquiper ses forces. Le Hamas est conscient que la poursuite de la guerre au rythme actuel détruira le réseau de tunnels, qui constitue le fil conducteur du mouvement, de ses activités et de ses dirigeants.
Ma conviction personnelle est qu’Israël n’acceptera aucun des scénarios actuellement discutés entre les parties internationales et régionales, y compris le scénario américain.
Tous ces scénarios seront des scénarios consultatifs, ni plus ni moins, avec une confiance totale dans le soutien total des Américains à la décision d’Israël sur cette question, quoi qu’il arrive. C’est un élément qui donne à Israël une grande marge de manœuvre, en refusant de maintenir la bande de Gaza sous l’administration complète d’un parti palestinien ou la présence d’autres partis arabes dans le cas improbable où un État arabe voudrait jouer ce rôle. Cela signifie qu’il existe une nouvelle équation pour les frontières égyptiennes avec Israël, car l’autorité des postes-frontières changera très probablement dans ce cas avec le départ du Hamas de l’équation. Israël pourrait être tenté de répéter le même scénario avec la Cisjordanie et de saper l’influence de l’Autorité palestinienne.
Cela dépend de l’issue des événements à Gaza et des conclusions privées qu’Israël tirera militairement et politiquement pour faire face à ce qui s’est passé le 7 octobre et s’assurer que cela ne se reproduise pas. En tout état de cause, la bande de Gaza d’après-guerre ne sera pas la même qu’avant.
Il est prématuré de se faire une idée de la situation future. La situation sur le terrain est très complexe et sans précédent, de sorte que de nombreuses parties régionales et internationales tentent de peser l’équilibre de chaque partie au conflit. Gaza peut répondre à de nombreuses questions et dessiner les traits du nouveau Moyen-Orient.
* Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral
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