– Par Ali Bouzerda –
On est habitué aux sorties médiatiques insolites de l’ex-chef de gouvernement Abdelilah Benkirane mais pas celle de la sympathique ministre Awatef Hayar.
Tout d’abord, il faut rappeler que Mme Hayar a été sélectionnée en 2015 par l’African Innovation Foundation comme l’une des 10 meilleures femmes innovantes en Afrique. Mais, en ce mois de septembre 2023, elle a surpris les internautes par « une innovation » qui suscite nombreuses questions sur le bien-fondé de cette « opération de com » inédite à Moulay Brahim, une zone sinistrée du Haouz.
De quoi s’agit-il ?
La ministre, chargée des portefeuilles de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille s’est aventurée à arracher le crochet du marchand de beignets, pour montrer à ses accompagnateurs, lors d’une balade officielle dans le Haouz, son savoir-faire en matière de cuisson du « sfendj » (beignets traditionnels marocains).
Jusque-là, rien de surprenant. Mais, quand elle a commencé à divaguer en évoquant sa grand-mère à Casablanca et sa nostalgie pour les beignets d’une époque révolue, ses auditeurs se sont perdus en conjectures.
Personnellement, j’adore les beignets et je peux vous assurer que c’est un métier qui est en voie de disparition. D’ailleurs, à Rabat les marchands de beignets ou « donuts marocaines » se comptent sur les doigts de la main. Il y a un marchant de ce délicieux produit à base de farine dans le quartier Akkari, deux à l’Agdal, deux à Yacoub El Mansour, un dans le vieux quartier de l’Océan, deux ou trois dans l’ancienne Médina…
Bref, il faut reconnaître que notre ministre – universitaire- a réussi, par son action volontariste à réhabiliter ce noble métier de « sfenadj ».
Et dans le même ordre d’idée, avec la rentrée politique 2023, Mme la ministre pourrait peut-être proposer une approche « innovante » basée sur la politique du sfendj ou « Donuts Strategy » de développement social. En Anglais ça sonne bien ?
D’ailleurs, dans la perspective de préserver ce métier tant admiré par les Marocains – – qui fait partie de notre culture ancestrale – -, la formation professionnelle de cette catégorie de travailleurs et sa mise à niveau ne nécessiterait pas de gros moyens au ministère de Mme Hayar ni au gouvernement de Ssi Akhannouch.
Et pour consolider cette « vision stratégique innovante et structurante » (terminologie empruntée aux communikators new generation), pourquoi ne pas créer des écoles de « sfendjias » à travers le pays, calqué sur le modèle ISTA par exemple, mais sans l’exigence d’un diplôme ? Les candidats doivent juste savoir manier habilement le fameux crochet (ghanjou), avec le sourire tout en racontant des histoires à dormir debout, comme l’a si bien fait Mme la ministre.
Ce jeudi, quelqu’un m’a envoyé une vidéo où on peut suivre un monsieur d’un âge certain expliquer à son auditoire « la réussite spectaculaire » de Singapour. Et pour conclure, il conseilla aux autorités marocaines de « rapprocher les universitaires des enseignants des écoles publiques », tout en améliorant la situation financière de cette catégorie sociale. « Ainsi, dans 25 ans, on aura un prix Nobel de chez nous », affirma-t-il.
Ce que ce respectable monsieur a oublié de dire, c’est qu’on a des génies dans ce pays, mais malheureusement, la moitié de sa population est illettrée. À Singapour, cette cite-État au large du sud de la Malaisie, ils ont tout d’abord procédé par la mise à niveau éducatif de tout un peuple, comme la Corée du Sud. L’alphabétisation de tous les citoyens a été une condition sine qua none pour la mise en place d’une politique de développement efficace et rapide sans toutefois oublier la discipline et le sérieux de ses responsables.
Il est temps de tirer la sonnette d’alarme : si on continue à procéder par l’apprentissage du « comment manier » le crochet du sfenadj comme approche « innovante », j’ai peur qu’il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de devenir Singapour de la Méditerranée. Et comme nous le rappelle la diva égyptienne Oum Kalthoum : « إنت فين والحب فين ؟ »
Mesdames et Messieurs, soyons sérieux… les temps changent autour de nous à la vitesse de la lumière, surtout avec l’invasion en cours de l’Intelligence Artificielle, alors que certains continuent à se regarder le nombril.
À bon entendeur salut!
Article19.ma