Point de vue – Après le Séisme au Maroc, Rompre Avec le Paternalisme Humanitaire (Le Monde)

Par Jean-François Corty*


Pour le vice-président de Médecins du monde, le Maroc est tout à fait capable de gérer une crise sanitaire d’ampleur sur son territoire sans que l’Occident ait son mot à dire.

Le violent séisme qui a frappé, le 8 septembre, les régions montagneuses du Sud marocain, faisant près de 3 000 morts et des milliers de blessés et provoquant la destruction de villages entiers, n’a pas échappé aux controverses sur l’aide d’urgence et sa géopolitique. En effet, cette crise sanitaire, qui fragilise les autorités marocaines sur l’échiquier politique interne, a pris une dimension nouvelle lorsque celles-ci n’ont pas répondu favorablement à la pro- position d’assistance de plusieurs pays, dont celle de la France.

Faut-il y voir, comme certains le suggèrent, les symptômes du mépris de son ancien protectorat qui lui doit tant ? Alors que de telles catastrophes permettent de transcender des tensions diplomatiques les plus exacerbées, comme en témoigne l’intervention américaine lors du tremblement de terre en 2003 à Bam, en Iran, il n’en serait pas de même dans le cas d’une amitié franco-marocaine historique au point mort dont nous serions les victimes. En réalité, cette susceptibilité témoigne moins d’une réalité diplomatique que de la difficulté à nous départir d’une vision néocoloniale de l’aide et de considérer le Maroc, au même titre que l’ensemble des pays du Sud global, capable de gérer une crise sanitaire d’ampleur sur son territoire sans que l’Occident ait son mot à dire.

Dès les premières heures du drame, la cinquième puissance économique d’Afrique a pu évaluer les besoins en équipes de sauveteurs en tenant compte de l’étendue du territoire concerné, sa faible densité de population et le type d’habitats précaires de ces zones rurales. L’armée et la sécurité civile marocaine ont été envoyées sur le terrain pour déblayer les routes, distribuer des vivres, de l’eau et des couvertures par hélitreuillage lorsque cela était nécessaire dans les villages les plus reculés de cette région du Haut Atlas.

Les blessés et les survivants sortis des décombres nécessitant des soins de traumatologie, de dialyse, entre autres, ont été orientés vers des postes médicaux avancés, des hôpitaux de campagne installés en urgence, puis transférés pour certains vers ceux de Marrakech, qui n’ont jamais été engorgés au point de devoir négliger des patients. La prise en charge médicale a été proportionnée et efficace dans un pays où les soignants bénéficient d’une formation de qualité et oùl’on vient de toute l’Afrique pour se spécialiser.

+ EN ÉTAT SOUVERAIN, LE PAYS A FAIT LE CHOIX DE SES PARTENAIRES DE SECOURS NÉCESSAIRES DANS CE CONTEXTE DE CRISE +

Missions multiples

De fait, ce sont les acteurs locaux, voisins, familles, soutenus par les institutions nationales, qui ont le plus d’impact sur les mortalités dans ces phases d’urgence ultime, rompant ainsi avec les figures héroïques fantasmatiques d’une aide extérieure exclusive et salvatrice.

Même si la catastrophe est réelle, nous sommes loin des séismes tels que ceux du début de l’année en Turquie et en Syrie, avec plus de 50 000 morts, et en Haïti en 2010, avec plus de 280 000 victimes. Dans ces conditions, les autorités marocaines n’ont pas lancé d’appel à l’aide internationale, dont l’afflux massif, spontané et souvent anarchique, peut aggraver une situation déjà complexe.

En Etat souverain, le Maroc a donc fait le choix de ses partenaires de secours nécessaires dans ce contexte de crise, en premier lieu l’Espagne, le Royaume-Uni, le Qatar et les Emirats arabes unis, sans altérer les chances de sauvetage pour ses citoyens. Dans le même temps, des ONG internationales, y compris françaises, ont pu engager des missions exploratoires dans les zones sinistrées.

Cela dit, les inégalités restent fortes dans ce pays, que l’indice de développement humain situe à la 123e place mondiale. L’enjeu principal consiste à inscrire l’assistance humanitaire dans la durée pour des populations rurales précaires aux ressources limitées, qui ont pour la plupart tout perdu et qui, pourtant, sortiront du paysage médiatique, et probablement politique, d’ici quelques jours. Plusieurs mois après le séisme de février, des milliers de civils restent sans logement pérenne en Turquie et en Syrie.

Pour répondre à ces défis humanitaires colossaux, les organisations humanitaires internationales ainsi que les aides interétatiques peuvent s’appuyer sur des associations marocaines aux missions sociales multiples. Elles sont l’émanation d’une société civile forte, de ressources humaines compétentes, soucieuses du renforcement de leur capacité d’agir, avec laquelle il est possible d’établir des partenariats opérationnels fondés sur des principes, des valeurs et des causes communes. Ces acteurs sauront décider par eux-mêmes, en connaissance de cause, ce qui est bon ou pas pour leur avenir.

* Jean-François Corty est médecin, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques et vice-président de l’association Médecins du monde.

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