Par Salem AlKetbi*
Les récents événements survenus dans la République du Niger avec le coup d’Etat contre l’autorité du président Mohamed Bazoum ont attiré l’attention de la communauté internationale, mettant particulièrement en évidence les divisions croissantes dans les relations mondiales, qui atteignent des niveaux exceptionnellement élevés. Personnellement, je n’arrive pas à comprendre comment le secrétaire d’État américain Antony Blinken a pu assurer le président nigérien détenu de la détermination des États-Unis à rétablir le gouvernement démocratiquement élu dans son pays.
Je me demande s’il a laissé entendre que le contingent d’un millier de soldats américains déployés au Niger dans le cadre de la lutte contre le terrorisme pourrait être chargé de rétablir le président Bazoum dans ses fonctions, en collaboration avec les pays concernés de la région. Le Niger est l’une des nations les moins riches du monde, mais il conserve une valeur stratégique cruciale pour diverses raisons.
Parmi ces attributs, on trouve ses vastes réserves d’uranium (le Niger possède l’un des plus grands gisements d’uranium au monde et est le septième producteur mondial), qui couvrent environ 35 % des besoins en uranium de la France. En outre, le Niger possède des réserves considérables d’or, de pétrole de qualité supérieure et de charbon. Un gazoduc complexe relie le Nigeria aux pays européens en passant par le Niger et l’Algérie, pour un coût de 13 milliards de dollars. Ce vaste conduit devrait fournir à l’Europe environ trente milliards de mètres cubes de gaz. En outre, le Niger sert de plaque tournante pour les efforts occidentaux de lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel.
Les appréhensions croissantes de l’Occident à l’égard des coups d’État africains se sont accentuées au Niger, qui a connu son troisième coup d’État depuis 2020, après des événements similaires au Mali et au Burkina Faso. M. Blinken, qui s’est rendu au Niger à la mi-mars, a souligné l’importance des relations avec ce pays dans une région où l’influence russe est en plein essor.
Les États-Unis ont renforcé leur aide humanitaire aux pays de cette région, pour un montant total d’environ 235 millions de dollars cette année. Parallèlement à cet effort, il existe une autre initiative financée par les États-Unis visant à réhabiliter et à réintégrer les anciens combattants des organisations terroristes. Washington souhaitait que l’expertise du Niger dans ce domaine serve de modèle aux pays voisins confrontés à la diffusion du terrorisme. Suite au retrait brutal de l’influence française au Mali et dans le contexte de l’ambition de l’administration américaine d’amplifier son emprise sur l’Afrique dans le contexte plus large de la lutte de pouvoir entre la Chine et la Russie, le coup d’État du Niger a pris l’Occident au dépourvu.
En tant que pays contigu au Mali, qui est passé du statut d’allié principal de la France dans les efforts de lutte contre le terrorisme à celui de pays où le groupe Wagner russe étend son influence, le coup d’État du Niger a été particulièrement surprenant.
Parmi les six pays qui ont apporté leur soutien à la Russie lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur l’Ukraine en février, figurait le Niger.
+ Une lutte de pouvoir, opposant les États-Unis et la France d’un côté, et la Russie et la Chine, de l’autre +
Le dilemme auquel est confronté l’Occident au sein du Niger va au-delà du coup d’État militaire ; il concerne davantage ses conséquences, comme en témoignent les développements au Mali et au Burkina Faso. Ces deux pays se sont alignés sur la Russie. Il s’agit également de la lutte contre le terrorisme. Le Niger est notamment le principal partenaire des opérations militaires françaises en Afrique de l’Ouest. En outre, une base aérienne au centre du Niger a été construite et est exploitée par les États-Unis, servant de site de lancement pour les drones ciblant les djihadistes et surveillant leurs activités.
Les événements qui se déroulent au Niger constituent sans aucun doute un revers important pour l’Occident, en particulier pour la France et les États-Unis. La vague de rejet de l’influence occidentale par les Africains prend de l’ampleur, tandis que les alliances africaines émergentes gravitent autour de la Russie et de la Chine.
Cela porte un coup aux efforts occidentaux visant à contrebalancer l’influence de ces deux pays dans la phase post-Ukraine de remodelage de l’ordre mondial.
La série de coups d’État qui se déroule en Afrique de l’Ouest constitue également un défi pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une assemblée de 15 pays. La CEDEAO cherche à adopter une position résolue contre les coups d’État, mais jusqu’à présent, elle a eu du mal à exercer une pression sur les nouveaux dirigeants du Niger, malgré les allusions à la possibilité d’une intervention militaire.
La question de savoir s’il faut intervenir militairement au Niger est difficile, étant donné les ramifications négatives potentielles et les incertitudes persistantes quant à la faisabilité d’un succès. En outre, le spectre d’une animosité croissante à l’égard de la France et du monde occidental en Afrique, accompagnée d’accusations de chercher à imposer une forme contemporaine de colonialisme à certains pays africains, se profile à l’horizon.
En outre, les nouveaux dirigeants du Mali et du Burkina Faso ont lancé des avertissements d’intervention pour soutenir leurs homologues du Niger contre toute implication militaire régionale ou internationale potentielle, affirmant que de telles actions seraient considérées comme une « déclaration de guerre ».
Par conséquent, les stratégies occidentales pourraient s’orienter vers d’autres voies, notamment en fomentant des perturbations au sein de la structure de gouvernance naissante du Niger et en provoquant des bouleversements internes qui entravent l’instauration de la stabilité. Cela permettrait de contrecarrer les conditions propices à la transformation du Niger en un nouvel allié de la Russie dans la région. Cela explique l’évaluation faite par le Washington Post, selon laquelle les Etats-Unis ne toléreront pas le coup d’Etat au Niger et s’abstiendront de reproduire leur tolérance à l’égard des coups d’Etat antérieurs observés dans certains pays africains.
Pour la France, l’érosion de son influence au sein de son ancienne colonie est une indication forte de « l’effet domino » – un reflet du déclin du rôle et de l’influence de la France en Afrique et sur la scène mondiale.
Le coup d’État au Niger a eu lieu quelques jours seulement après que le président Mohamed Bazoum se soit abstenu de participer au récent sommet Russie-Afrique qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg. Il convient de noter que le chef du groupe Wagner, Evgeniy Prigozhin, a été l’un des premiers à adresser ses félicitations aux putschistes nigériens.
Les événements en cours au Niger ne sont qu’un coup d’État, mais une lutte de pouvoir intense, opposant les États-Unis et la France d’un côté, et la Russie, ainsi que la Chine, de l’autre.
* Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral