Au Maroc, est-ce une crise du journalisme ou plutôt des « pratiques journalistiques »?

Par Ali Bouzerda


Ce 14 juillet à Casablanca, le 10ème congrès de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) a rassemblé un bon nombre de journalistes professionnels, des jeunes et moins jeunes, ceux qui exercent et d’autres à la retraite, quoique dans ce noble métier il n’y a jamais vraiment de retraite.

Au menu : la question de la précarité des journalistes, la fragilisation du modèle économique des entreprises de presse, les flagrantes violations, par certains, de la déontologie et de l’éthique journalistique et enfin l’image du journaliste dans la société.

Vétéran journaliste et président sortant de la FMEJ, Noureddine Miftah n’a pas fait dans la dentelle. Devant ses pairs, il brossé un tableau peu luisant de l’exercice de cette profession censée jouer le rôle de « 4ème pouvoir » au Maroc.

« Le plus dangereux c’est que le lien de confiance entre la presse et la société s’est dégradé, puisque cette dernière ne voit de ce secteur que l’égoïsme, les querelles pour les subventions et l’abandon de sa mission qui consiste à critiquer, à questionner et à contrôler ceux qui sont en charge de la chose publique », s’indigne Miftah qui dirige avec rigueur et régularité l’hebdomadaire Al-Ayam, depuis près d’un quart de siècle.

Au cœur du débat actuel sur la mission du journaliste et du journalisme « chez nous », un feuilleton « kafkaïen » relatif au remplacement du Conseil national de la presse (CNP) par une Commission provisoire née à la dernière minute suite à un accouchement par « césarienne », et ce, sous la supervision directe du chef de gouvernement, Aziz Akhannouch et son jeune ministre de la Culture, Mehdi Bensaïd.

Ce nouveau né a été doté des mêmes prérogatives du CNP sur une période de six mois au début, avant de l’étendre à deux ans supplémentaires.

Le CNP est un organe indépendant censé rassembler « les sages » de la profession qui veillent au grain, notamment la qualité du travail journalistique loin des calculs politiques éphémères, et non par la nomination d’énergumènes devenus avec le temps des « ronds-de-cuir » qui s’accrochent aux mêmes sièges depuis 30 ans. « Conviendrait-il de s’éterniser en de vains et stériles regrets ? », s’interroge le dramaturge français, Georges Courteline au sujet de ce genre de personnages.

En fait, pas besoin de citer les noms de ces messieurs car leur travail durant toutes ces longues années est devenu synonyme d’opportunisme, népotisme, magouilles partisanes et de médiocrité qui ont tiré la profession vers le bas.

Cette nouvelle Commission controversée dont le texte fondateur sera bientôt validé et adopté par la Chambre des Conseillers malgré les protestations des professionnels.

Si Ssi Akhannouch respectait la Constitution à la lettre, cette fameuse Commission aurait dû être élue suite à un processus électoral régulier et transparent, sans l’intervention de quiconque, à l’instar de l’ordre des avocats, des médecins etc…

Cette interférence de l’Exécutif dans les affaires internes des journalistes – – abstraction faite des prétextes évoqués – -, ne fera qu’accentuer les dissensions au sein de la profession, ce qui a eu pour effet de dévier le débat et de relancer des polémiques byzantines, au lieu de se focaliser sur le rôle de la presse en tant que profession noble censée répondre au droit du citoyen à une information crédible et non biaisée qui incite à la confusion et la diffamation ou tout simplement au fake-news.

Il faut reconnaître qu’avec le temps on est en train de passer en douce du « contraste clair-obscur » à l’expression sombre… Curieux quand même pour un pays dont le nouvel ambassadeur de France à Rabat parle en termes élogieux : « Le Maroc est un pays modèle dans la région en matière de stabilité politique et sociale…le Maroc est une puissance régionale et africaine… ».

Ce qui est triste dans cette histoire de la Commission du CNP, c’est son impact catastrophique sur l’image des libertés publiques et la crédibilité des journalistes au Maroc.

“Ces choix ne font qu’aggraver la crise de la presse, et le non-respect de l’éthique est devenu un fonds de commerce pour certains, alors que la distribution des journaux s’est effondrée avec la baisse des ventes de 70% ”, avertit Miftah *, ce quinquagénaire qui a bien roulé sa bosse et qui tire aujourd’hui la sonnette d’alarme face aux pratiques machiavéliques de certains marionnettistes politiques.

Mutatis Mutandis

Lors cette rencontre médiatique et syndicale, notre cher Miftah m’a étonné par des citations dans son discours, passant du coup de la pensée de l’intellectuel marxiste italien, Antonio Gramsci aux versets du saint Coran. Sommes-nous dans la logique « le combat des idées précède le combat politique », me-suis-je demandé ?

Par contre, un journaliste d’un âge certain a pris la parole lors de la séance d’ouverture pour insister sur « الأمن الإعلامي » (La sécurité médiatique). Surpris, un journaliste et militant des droits humains n’a pas tardé à noter sur son calepin cette trouvaille insolite.

Il faut bien souligner que ce genre de discours a ramené les congressistes un quart de siècle en arrière, car cette expression a vu le jour au temps du puissant ministre de l’Intérieur, Driss Basri qui n’hésitait pas à mettre à l’index les journalistes récalcitrants et les détracteurs du système politique de l’époque.

J’aurais bien aimé demander à ce « collègue » de Casablanca de nous éclairer sur le modus operandi de la dite-« sécurité médiatique » en 2023 face à la nouvelle ère de l’Intelligence Artificielle avec ChatGPT comme illustration, sans oublier les réseaux sociaux etc…

Bref, nombreux journalistes pensent que « les nostalgiques » de l’époque du « strict control » des mots, des idées et des paroles des journalistes ont disparu.

Erreur!

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