L’affaire de l’autodafé : « La liberté d’expression ne doit pas contredire les croyances des autres peuples »

Après l’approbation récente par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une résolution novatrice sur la tolérance, la paix et la sécurité mondiale, avec la participation active des Émirats arabes unis et du Royaume-Uni, le monde a été surpris par l’incident de l’incendie du Coran en Suède.

En réalité, ces deux événements sont liés par leur sujet. Le second événement n’aurait pas eu lieu si les principes de tolérance et de coexistence avaient été correctement appréhendés et si la liberté d’expression, ses limites et ses règles avaient été comprises de manière « floue » et peut-être erronée.

C’est précisément ce contre quoi la résolution internationale a mis en garde, reconnaissant que les propos haineux et le radicalisme peuvent favoriser l’extrémisme, la violence, l’escalade et la recrudescence des conflits mondiaux.

Cette résolution est essentielle non seulement pour lutter contre le discours de haine, l’instigation et l’extrémisme, mais aussi pour traduire les convictions des États, des gouvernements et des autres partenaires en matière de responsabilité sociale en valeurs de tolérance et de vie en commun, et les transformer en pratiques publiques et en réglementations contraignantes applicables à tous sur leur territoire.

Ainsi, l’un des aspects de l’importance de cette résolution réside dans la réaffirmation de l’engagement mondial à défendre les principes de tolérance et de coexistence. Elle met en lumière leur lien étroit avec la sécurité et la paix mondiales, ainsi qu’avec la stabilité et le progrès durable, puisqu’il s’agit de conditions et de facteurs interdépendants qui ne peuvent être dissociés les uns des autres. Un véritable progrès est impossible sans stabilité, et la stabilité est impossible sans la sécurité et la paix.

La résolution 2686 est la première résolution des Nations unies à reconnaître que le racisme, la xénophobie, la discrimination raciale et la discrimination fondée sur le sexe sont des facteurs essentiels qui contribuent à l’éclatement, à l’intensification et à la réapparition des conflits. Elle appelle explicitement et sans équivoque à la condamnation pure et simple de ces pratiques préjudiciables.

La résolution vise à encourager la collaboration entre tous les acteurs de la société pour lutter contre la violence et les discours de haine. Elle implore les parties prenantes responsables au sein des communautés, notamment les chefs religieux et sociaux, les médias, les plateformes de médias sociaux et les faiseurs d’opinion influents, de jouer leur rôle en dénonçant ouvertement les discours de haine dès qu’ils apparaissent et en encourageant le développement et la diffusion d’approches exemplaires qui favorisent un climat de tolérance et de coexistence harmonieuse.

+ Un acte de provocation irrespectueux  qui reflète des manifestations de racisme et de xénophobie +

L’incident de l’incendie d’un exemplaire du Coran sacré en Suède est un événement durable qui refuse de tomber dans l’oubli, car ses ramifications et ses répercussions refont surface avec chaque nouvel auteur.

Il s’agit indéniablement d’un « acte de provocation irrespectueux » qui reflète des manifestations de racisme et de xénophobie. Nous citons ici une déclaration de l’Union européenne, et non une déclaration du ministère des affaires étrangères d’un pays arabe ou islamique. L’UE a dénoncé l’incident et exprimé des remords pour sa survenue pendant les festivités musulmanes mondiales de l’Aïd Al Adha.

Il ne fait aucun doute que la lutte contre l’extrémisme, les extrémistes, les préjugés et les fanatiques exige une action résolue de la part d’individus conscients du danger que ces pratiques représentent pour la cohésion sociale et les intérêts nationaux. Ces pratiques ne doivent pas être considérées comme des expressions de la liberté d’expression. La récurrence de cette situation, en particulier en Suède, exige une introspection de la part du pays concerné, avant les autres. Les autorités suédoises ne doivent pas interpréter la liberté d’opinion et d’expression d’une manière qui contredit les croyances d’autres peuples, y compris les sociétés occidentales qui partagent un ensemble de valeurs fondamentales communes.

Le problème est que les nations qui autorisent de telles pratiques extrémistes ouvrent grand la porte à la propagation mondiale des préjugés. Ils offrent en effet aux extrémistes un cadeau sans restriction ou une puissante « bouffée d’air frais », favorisant la résurgence de la violence et du terrorisme par la diffusion de discours de haine et de contre-discours de haine.

Nous sommes fermement convaincus qu’aucune nation responsable à l’échelle mondiale n’approuve cette tendance ou n’aspire à la prolifération de la violence et du terrorisme, y compris le recrutement et la radicalisation, en particulier au sein des sociétés européennes qui ont souffert de nombreux actes terroristes odieux au cours des dernières années.

Par conséquent, le problème réside dans l’erreur de jugement des autorités ou des entités concernées dans certains pays européens lorsqu’il s’agit de discerner les limites de la liberté d’expression, ses réglementations et les ramifications de l’interprétation des textes constitutionnels indépendamment de leurs contextes et de l’évolution du paysage temporel.

Ils nourrissent une appréhension injustifiée à l’idée d’établir des limites, les considérant comme des fixations sociétales profondément ancrées, inconscients de l’équilibre délicat entre la responsabilité et l’insouciance. Un choix qui peut sembler louable du point de vue de ces autorités peut déclencher la malveillance dans le monde entier. En témoignent les condamnations générales de l’acte consistant à brûler un exemplaire du Coran sacré, ainsi que l’exploitation et la manipulation opportunistes de cet incident à des fins politiques sans rapport avec la défense de la foi islamique ou de toute autre cause.

La vérité réside dans la résistance initiale de la police suédoise à autoriser l’incinération d’une copie du Coran, puis dans son respect de la décision d’une cour d’appel qui a annulé le refus initial. Cette séquence d’événements atteste que les autorités chargées de la sécurité sont conscientes des répercussions qu’entraîne la sanction de telles pratiques.

Néanmoins, le tribunal, fixé sur un point de vue purement juridique, n’a pas reconnu les ramifications politiques de son jugement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Elle s’est contentée de mettre en balance les problèmes de sécurité liés à ces manifestations et le droit constitutionnel à la liberté de réunion et de protestation, comme si elle cherchait à sauvegarder ou à garantir ce droit constitutionnel, tout en tombant par inadvertance dans le piège méticuleusement tendu par ceux qui ont orchestré l’exploitation de ce « droit », même aux dépens de l’intérêt public.

En outre, je préfère ne pas aborder la question de la manipulation politique de l’incident, que je ne perçois pas comme l’incarnation d’un « point de vue occidental » contraire à la position russe concernant le respect et l’estime de l’islam et des musulmans, comme l’illustre l’image du président Poutine embrassant un exemplaire du Coran sacré.

En tant que peuple arabe et musulman, nous ne devrions pas nous impliquer dans la confrontation actuelle entre la Russie et l’Occident à propos d’un incident isolé qui ne fait que refléter les préjugés individuels d’un extrémiste ou d’un collectif d’extrémistes et de fanatiques, répandus à la fois en Orient et en Occident. Notre effort collectif devrait plutôt viser à démasquer leur esprit de clocher et à freiner leur emprise.

Salem Alketbi

Politologue et chroniqueur émirati

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