[Chronique] – Le topo de la situation politique en Libye ?

Par Salem AlKetbi*


Au milieu du paysage arabe tumultueux, et nonobstant la crise soudanaise qui occupe actuellement le devant de la scène pour tous les Arabes, l’arène libyenne apparaît également comme remarquable par sa complexité et l’ampleur des controverses qu’elle engendre concernant le façonnement de l’avenir du pays. À tel point que la Libye rivalise avec d’autres questions arabes brûlantes et alambiquées, en particulier le Liban.

Récemment, des médias libyens ont rapporté que la ville de Misrata avait accueilli des discussions entre personnalités politiques concernant la mise en place d’un « troisième » gouvernement libyen chargé de superviser les affaires du pays et de faciliter l’organisation d’élections.

Selon les rapports, les efforts en vue de la formation d’un troisième gouvernement qui unit les factions et dirige les efforts visant à garantir des élections équitables constituent une étape favorable qui renforce les perspectives de résolution de l’impasse entre les deux gouvernements rivaux actuels de la nation.

La mise en place d’un troisième gouvernement rappelle la politique de la troisième voie qui s’est imposée au début du siècle, en tant que solution modérée s’écartant des approches conventionnelles en matière de politique et d’économie.

Néanmoins, en Libye, cette question n’a pas de fondement idéologique tel que vu dans les doctrines occidentales, et apparaît comme un remède modéré dans l’éventualité où les dirigeants des deux administrations actuelles se présenteraient à la prochaine course présidentielle en Libye.

Cependant, ces propositions restent des notions théoriques difficiles à mettre en œuvre, pour la raison fondamentale que les différends ne tournent pas autour de mécanismes institutionnels, mais plutôt autour de conflits d’intérêts et d’influence, à la fois politiques et économiques. Par conséquent, il est difficile pour toute partie de renoncer à ses intérêts en faveur du recours aux urnes.

La perspective de voir les administrations de l’Est et de l’Ouest de la Libye se réunir à Misrata, ville dont sont originaires Abdul Hamid Dbeibeh, le chef du gouvernement d’unité, et Fathi Bashagha, le chef de l’administration nommée par le parlement qui contrôle les régions du Sud et de l’Est de la nation, apparaît comme un défi.

Il est difficile d’imaginer les rivaux politiques libyens renoncer à leur position actuelle pour participer aux élections présidentielles. Les éléments disponibles depuis le début de la crise libyenne mettent en évidence la difficulté de parvenir à une concorde entre les deux gouvernements actuels.

Le seul moyen de résoudre le problème pourrait être de parvenir à un consensus régional et mondial sur la conduite des élections en Libye, et non de les conclure à la hâte. Un tel consensus contraindrait probablement les parties à faire des compromis cruciaux pour préserver leurs chances dans toute entreprise politique plausible.

En l’absence d’un tel consensus, il est difficile d’affirmer qu’il existe quoi que ce soit qui puisse obliger les deux factions à adopter la notion de troisième voie ou de troisième gouvernement. La déduction précédente n’est pas pessimiste, mais plutôt une manifestation de la réalité, qui est devenue évidente le premier jour de l’Aïd Al Fitr, où le schisme politique a été mis en évidence par l’observation du croissant de lune.

L’intersection de la religion et de la politique a donné lieu à une scène tumultueuse. La région orientale a commémoré l’Aïd le vendredi, tandis que la région occidentale l’a célébré le samedi. Cette étrange division de la Libye et de son peuple s’est ajoutée aux événements déjà particuliers de la scène libyenne et arabe.

La réalité est que la crise en Libye, tout comme les autres crises arabes, n’est pas exclusivement liée aux élections. Les conflits d’intérêts persisteront même en cas de résultats électoraux. Dans un contexte de division, de scepticisme et de collusion, il est difficile pour toute partie d’accepter les résultats des élections tels qu’ils sont.

C’est pourquoi un consensus régional et international est indispensable, de même que de solides efforts collectifs pour réunifier, réconcilier et apporter le soutien régional et international nécessaire à toute feuille de route convenue au niveau interne. Il est très difficile pour les personnes extérieures de comprendre les complexités et les subtilités de la situation intérieure libyenne, en particulier les dynamiques tribales et politiques.

Le déficit de confiance entre les partis en Libye et dans d’autres zones de crise arabes pose un problème délicat et risque de persister même si les élections se déroulent selon des règles et des normes méticuleuses. La crise de confiance s’est infiltrée dans la société libyenne, aujourd’hui divisée territorialement et tribalement comme jamais auparavant, chaque faction ayant ses propres intérêts et visions de l’avenir.

Toutefois, une solution possible pourrait résulter d’une volonté régionale unifiée et résolue qui s’accorderait sur une feuille de route pour l’avenir de la Libye, associée à un soutien global pour sa mise en œuvre.

Mais avant tout cela, il faut un effort concerté pour débarrasser le pays du chaos des milices et de la prolifération des armes dans toutes ses régions, une tâche ardue qui ne peut être accomplie qu’avec la capacité des partenaires internationaux à s’y attaquer de la manière souhaitée.

La présence d’armes entre les mains d’un ou de plusieurs partis continuera à menacer gravement tout processus de paix ou toute élection future, indépendamment de leur transparence ou de l’intégrité des procédures suivies.


* Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral

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