Vidéo / Interview – Viol de la fille de Tifelt : « Il faut réformer les lois afin de protéger les mineurs »

Le procès en appel des trois violeurs de la jeune fille de Tifelt reprendra cette semaine, ce mardi 11 avril à Rabat. Afin d’éclairer l’opinion publique sur les circonstances de cette triste affaire et le jugement « laxiste » en première instance, qui a provoqué la colère et l’indignation générale, au Maroc et à l’étranger, Article19.ma a posé trois questions à Me Mohamed Essabbar, membre du barreau de Rabat et avocat de la défense de la victime.

+ L’interview d’Article19 +
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Question : Dans quelle ambiance se déroule ce procès en appel ?

Réponse : Comme on le sait, le système judiciaire marocain comprend trois degrés ; des juridictions dites de première instance (premier degré) et des Juridictions de second degré (les cours d’appel) et la cour de cassation.

La cour d’appel a pour mission d’examiner l’affaire comme si elle était devant le tribunal de première instance, dans le but de corriger ce qui a résulté du verdict primaire, qui a vraisemblablement enfreint la loi, ou s’il n’est pas raisonnable, la cour d’appel a ainsi le droit au contrôle judiciaire envers les verdicts prononcés des tribunaux de première instance. Et c’est pareille pour la cour de cassation qui a également le droit au contrôle judiciaire au sujet des verdicts et décisions prononcées de la cour d’appel, ce qui est nouveau à ce propos, c’est qu’il y a actuellement un contrôle et une pression populaire, car cet affaire a suscité l’indignation d’un certain nombre d’associations des droits humains et de la société civil… Par ailleurs il y a aussi les déclarations de certains responsables, et c’est ce qu’on peut appeler le contrôle populaires. Sans doute le Maroc a connu par le passé ce genre d’affaire, notamment le procès des « huiles frelatées « à Meknès, dans les années 60, ce qui a poussé le législateur marocain à modifier la loi et faire recours à un jugement rétroactif…

Maintenant, on espère que la cour d’appel traite cette affaire avec « un regard légal pure », et qu’elle applique la peine appropriée pour les actes criminels commis par les trois accusés. L’étrange coïncidence, c’est qu’au cours de la même semaine où a été prononcé ce jugement loin de la raison par le tribunal de première instance à Rabat, un verdict a été prononcé en Espagne, plus précisément à Alicante, à l’encontre d’un citoyen koweïtien qui a violé la femme de ménage marocaine. Il a été jugé d’une peine de 36 ans de prison ferme. Personnellement je suis contre les peines de longue durée, mais il doit y avoir une proportionnalité avec l’acte incriminé et les dégâts causés par cet acte…

Question : Le verdict en première instance à Rabat a déclenché un tollé général et certains l’ont décrit comme étant un verdict « léger » et « laxiste », qu’en pensez-vous ?

Réponse : Evidemment, parce que le texte de loi dans cette situation, où il y a un mineur, un viol… et où toutes les circonstances aggravantes sont réunies, dans cette affaire, les peines sont comprises entre 10 et 20 ans, alors que le verdict, lors de ce procès de Rabat, n’était que de 2 ans pour le père biologique du bébé de la fillette Sanaa, qui est malheureusement devenue maman…

Je n’ai jamais assisté durant toute ma carrière professionnelle, à un verdict pareil prononcé dans de ce type d’affaire…Ce qui est étonnant, — parce que même dans la justification du jugement de première instance, ils ont parlé d’absence d’antécédents judiciaires chez les accusés—, c’est inacceptable logiquement et moralement et même au niveau des lois marocaines…

Question : Suite à ce scandale, est-ce que la défense va s’adresser au ministère de la Justice pour réformer les lois afin de protéger les mineurs à l’avenir ?

Réponse : Je pense que ce verdict et comme on dit « à quelque chose, malheur est », car cette affaire a provoqué des dynamiques dans ce sens… il y a des associations féminines actuellement qui réclament la réforme des textes juridiques relatifs aux crimes de viol, surtout quand il s’agit de viol des mineurs (es)… il y a évidemment des associations des droits humains qui ont la même orientation, surtout à un moment où le ministère de la Justice est sur le point de présenter un projet du code pénal pour qu’il soit examiné par le Parlement.

Je pense que c’est l’occasion pour que le législateur marocain intervienne, comme il a fait pour l’affaire de la fille Filali qui s’est suicidée à Larache, et par conséquent le texte juridique a été modifié et qui stipule que marier le coupable à la mineure, n’exempte pas ce dernier du châtiment.

Par ailleurs, dans le cas de la fille de Tifelt, il est peu probable que le tribunal fasse recours à des peines extrêmement sévères, tout d’abord en raison de l’absence des antécédents judiciaires pour les accusés. Mais on espère que la justice tranche en faveur de la victime Sanaa, et qu’il réconforte sa petite famille, et que ça puisse dédommager la pauvre victime ainsi que ses parents.

C’est ce qu’on souhaite dans ce genre d’affaire, et je pense qu’il est nécessaire de ne pas se contenter de la dissuasion, il faut travailler absolument sur la sensibilisation et l’éducation, et mobiliser toutes les moyens qui contribuent à la sensibilisation, tels que les médias et les écoles.

Article19.ma