Par Ahmed Assid *
L’étape actuelle que traverse notre pays est marquée par un grand décalage entre le code pénal marocain et la réalité de la société, ce qui conduit à trois remarques que tout le monde relève :
– La méconnaissance par de nombreux citoyens de certaines lois qui ne correspondent pas à leur mode de vie, en raison de l’incohérence des normes des valeurs déclarées avec les comportements réels.
– L’indulgence de l’autorité envers des pratiques hors « la loi », parce qu’elle sait que les textes juridiques sont intransigeants par rapport à la réalité des gens, à leur niveau de conscience et aux mutations qui ont touché la société pendant des décennies (cette indulgence qui se transforme en désir de vengeance quand il s’agit de la volonté de l’autorité de régler des comptes politiques avec une partie quelconque).
– De nombreuses contradictions entre les dispositions du code pénal en vigueur et le texte de la constitution, faute de la compatibilité nécessaire avec la constitution mise à jour et révisée depuis 2011.
Dès lors, la révision et l’achèvement du code pénal auraient dû constituer un moment décisif dans l’histoire du Maroc, et ce en prenant en compte les questions importantes qui font l’objet de débats dans la société, et en présentant un projet de code qui garantit la révision globale et radicale nécessaire.
Et s’il existe une collusion apparente entre les centres de pouvoir traditionnels au sein de l’État et le courant conservateur, qui gagne de nombreuses institutions, afin de reporter la question des libertés individuelles, en particulier, et de ne pas en assurer le respect dans le code pénal marocain, alors le courant moderniste démocratique, qui est censé défendre avec force un code pénal juste et garant du respect des libertés, devrait être au rendez-vous comme il se doit pour obliger l’État à reconsidérer le projet de loi et à y inclure les questions fondamentales qui sont à chaque fois repoussées en raison de calculs autoritaires circonstanciels.
Ainsi, les préalables essentiels à une révision effective du code pénal marocain auxquels le rang démocratique doit s’attacher et défendre sont principalement représentés dans les cinq points suivants :
1) Que le code pénal a été élaboré en 1962 dans une société, dont les structures ont été ébranlées et bouleversées au cours des 60 dernières années, et qu’il n’est en aucun cas permis de laisser le texte juridique en l’état alors que les rapports sociaux et le système des valeurs ont subi des transformations fondamentales.
2) Que les libertés individuelles sont étroitement liées au concept de citoyenneté et à la signification du citoyen « individu », sans lequel il ne peut y avoir de véritable justice ni égalité, ce qui nécessite d’évacuer la question hors du cadre de la conscience traditionnelle et de l’ancienne jurisprudence qui était en vigueur sous l’État religieux, et qui privilégie la « communauté » et le système des traditions au détriment de l’individu.
3) Considérer la religiosité comme un choix personnel et mettre fin à l’atmosphère autoritaire qui domine l’espace public au nom de la religion officielle de l’État.
4) Considérer les libertés individuelles comme faisant partie intégrante du système des libertés et des droits consacrés par la constitution marocaine, et un levier fondamental pour la réussite de la transition vers la démocratie, et les considérer, comme le stipule la constitution, comme un tout indivisible et supérieur à la législation nationale.
5) Reconnaître le droit de l’individu à disposer de son corps, qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme, et dépasser l’ancienne vision de la tutelle et de la curatelle qui fait du corps un sujet de contrôle strict lequel conduit à la criminalisation, la consécration de l’hypocrisie sociale, la perte de la dignité humaine et à la propagation de l’intolérance et de la violence parmi les gens au sein de la société.
*Ahmed Assid, universitaire et intellectuel Amazigh marocain
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